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Sur les traces du « huitlacoche », ce maïs pourri au goût de champignon

Au Mexique, ce maïs victime d'une attaque fongique est considéré comme un produit noble. En France, il commence progressivement à se faire un nom.
Maïs Huitlacoche

Dans la main de Pierre Gayet, l’épi est boursouflé. Ses grains tuméfiés ont pris une drôle de couleur noire. « On appelle ça du charbon de maïs », précise le maraîcher, installé à Dornes dans la Nièvre, en arrachant le plant malade de son champ. L’épi a été victime d’une attaque fongique et « il ne faudrait pas qu’il contamine les autres ». 

Voir ses récoltes ravagées par un champignon est une crainte partagée par l’ensemble des agriculteurs de la planète. Pourtant, dans le cas d’une rencontre fortuite entre l’ustiligo maydis et le maïs, comme c’est le cas pour la céréale que fait pousser Pierre, les conséquences ne sont pas systématiquement dramatiques.

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Au Mexique, on en consomme le résultat depuis des siècles, sous le nom de huitlacoche. L’ustiligo maydis n’entame pas la comestibilité du maïs. Au contraire, il lui donne même une saveur champignonneuse très recherchée dans la cuisine mexicaine. Le huitlacoche est considéré comme un produit noble dont les épis sont vendus deux fois plus cher que leur version saine.

« Pour moi, le huitlacoche c’est un aliment de base. En général je le mange avec une tortilla et un simple bout de fromage. »

Enrique Cassarubias, chef du restaurant OXTE à Paris, en mange d’ailleurs « depuis qu’il est tout petit ». « Je viens d’une région qui s’appelle Tenango, où il y a énormément de producteurs de maïs. Pour moi, le huitlacoche c’est un aliment de base. En général je le mange avec une tortilla et un simple bout de fromage. »

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Enrique Cassarubias en pleine lecture.

Aussi, quand il ouvre son restaurant, auréolé depuis quelques semaines d’une première étoile au Michelin, le chef cherche à se fournir en huitlacoche. Malheureusement il doit se contenter d’une version déshydratée, venue d'un grossiste espagnol, qu’il retravaille ensuite avec du maïs frais. Trop instable, le maïs en décomposition ne peut être acheminé depuis le Mexique sous sa forme fraîche.

C’est Pierre Gayet et son compte Instagram qui vont tout changer. Sur son Domaine des Vernins, une petite exploitation bio, le maraîcher expérimente de nombreuses choses. « Avant de me lancer dans l’agriculture, j’ai fait les 3/4 d’un master en éthologie, j’ai toujours aimé le jardinage et la diversité qu’offraient les plantes ». Pierre découvre un jour le huitlacoche, sa consommation qui remonte aux Aztèques et décide d’en proposer aux chefs mexicains installés en France, notamment à Enrique Cassarubias avec qui il « commence à travailler en juillet 2019 ».

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« C’est un peu comme la lotte. Si tu le fais juste cuire c’est moche. Donc moi, je dis au client : ‘Mange d’abord et ensuite je te montrerai une photo’. »

« J’avais vu son huitlacoche en photo sur Instagram et j’en ai immédiatement commandé », explique le cuisinier à la fière moustache. Pourtant le défi de faire manger du « maïs pourri » dans un restaurant gastronomique est un sacré challenge. « Dans le resto on a besoin d’avoir une véritable pédagogie pour expliquer ce que sont nos produits notamment le huitlacoche. C’est un peu comme la lotte, ce n’est pas beau. Si tu le fais juste cuire c’est moche. Donc moi, je dis au client : ‘Mange d’abord et ensuite je te montrerai une photo’ ». 

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Pourtant le pari est immédiatement réussi. Les clients sont ravis et découvrent la saveur concentrée et terreuse de la « truffe mexicaine » avec une curiosité jouissive. Rien de surprenant dans un pays où certains gamins mangent du Roquefort au goûter.

Pour faire glisser le huitlacoche sur les palais locaux, le chef et son équipe ont bien entendu travaillé le produit : « On a fait énormément d’essais, on l’a congelé, mélangé et transformé. On en a fait des purées, on l’a fait au siphon, on en a même préparé avec du foie gras. »

Depuis, le marché français du huitlacoche est en croissance constante. Et de nouveaux clients font régulièrement leur apparition. « Le Plaza Athénée, Mory Sacko ou Victor Mercier m’ont récemment contacté pour se renseigner ou se fournir en huitlacoche », explique Pierre Gayet.

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Petit à petit, le huitlacoche trouve son public, même si les volumes de production sont encore très faibles dans l’hexagone. « L’année dernière j’en ai récolté à peine cinq kilos » détaille Pierre en emballant soigneusement l’épi qu’il vient d’arracher. En France, on ne « produit » pas encore de huitlacoche à proprement parler – l'apparition de l'ustiligo maydis reste totalement aléatoire. Peut-être qu’un jour, certains imiteront les Mexicains qui ne se privent pas d’inoculer volontairement le champignon dans des épis sains pour obtenir ce fameux « caviar aztèque ».

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