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Dernière tendance : cambrioler des caves à vin

Avec l'explosion du marché du pinard, les bouteilles de grands crus sont devenues une cible de choix pour les malfrats et les vols se multiplient.
Alexis Ferenczi
Paris, FR
vin vol

C’est un cambriolage comme on en constate des centaines chaque année dans les grandes villes de France (le taux de vols par effraction est deux fois plus élevé dans les agglomérations de plus de 200 000 habitants selon les chiffres de l’Observatoire national de la délinquance publiés en 2018). Une banale histoire de malfrats venus faucher quelques objets de valeur en l’absence des propriétaires. Sauf qu’ici, les babioles en questions ne sont pas des bijoux de famille ou des vieux bons du Trésor mais des bouteilles de Vosne-Romanée ou de Château d’Yquem, flacons de pif extrêmement convoités.

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Au 228 de la rue du Faubourg Saint-Honoré, dans le très cossu VIIIe arrondissement de Paris, les Caves du Taillevent, filiale dionysiaque du restaurant du même nom, ont reçu, dans la nuit du samedi 3 octobre, une visite un peu particulière rapporte Le Parisien : des cambrioleurs qui n’ont pas mis les pieds dans le magasin – équipé d’alarmes et de caméras – mais qui sont quand même repartis avec 70 000 euros de grands crus. Les bouteilles ont été subtilisées par un tour de « perce-muraille » : un trou d’une vingtaine de centimètres, diamètre amplement suffisant pour faire passer quille, magnum ou jéroboam, creusé dans le mur depuis le cabinet d’avocat mitoyen et une pince pour attraper le butin.

Le vol de pinard est probablement aussi vieux que le pinard lui-même. On raconte (l’historien Henri-Robert en l’occurrence) que Louis Dominique Garthausen dit Cartouche, célèbre bandit de grand chemin du XVIIIe siècle, aurait appris son métier en dérobant d’abord des flacons de vin et d’eau-de-vie. Les larcins se sont juste faits plus fréquents. Depuis quelques années, le vin est une cible récurrente des cambrioleurs qui rivalisent de stratagèmes pour mettre la main sur les plus grands crus. Des combines qui font parfois passer le gang des souris vertes pour de gentils amateurs.

Sans discrimination de cépages, de cuvées ou de régions, les caves sautent comme des fourgons de la Brinks. L’été dernier, c’est celle de la Maison Rostang, autre adresse parisienne de renom, qui perdait une partie de son catalogue ; un demi-million d’euros de Champagnes millésimés eux aussi exfiltrés par un trou creusé dans le mur. En décembre, c’est la cave d’un domaine, Mas Coris dans l’Hérault, qui était touché ; 300 bouteilles de Pic de Vissou rouge 2014 disparaissaient. Pour le vigneron Jean Attard, qui se confiait à France TV Info : « C’est un préjudice certes financier, mais surtout patrimonial et sentimental, c’est notre histoire que l’on a volée. » En février, c’est le chais d’un négociant de Bordeaux qui était visé ; 100 000 euros de quilles envolés dans la nature.

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Le confinement n’a même pas freiné l’activité puisqu’en mai, c’est un restaurant étoilé au Michelin, l’Auberge de l’Île Barbe près de Lyon, qui voyait sa cave délestée de 200 000 euros de pinard. Pour la Revue du vin de France, si les cambrioleurs ont décidé de taper au flacon, c’est surtout parce que le marché du pinard a pris des proportions « gargantuesques », brassant des millions d’euros alimentés par les ventes et autres enchères de Petrus, Latour, Romanée-conti ou même whiskys japonais. Probablement aussi parce que, malgré toutes les précautions prises, les lieux de stockage ne ressemblent pas encore tous à des coffres-forts suisses.

Ce fléau touche aussi les entreprises de transport (certaines, comme Vinoptimo, proposent de camoufler les bouteilles les plus précieuses dans des « emballages neutres : palettes filmées en noir, serties de bandes de garanties spécifiques ») et surtout, les particuliers. En 2014, Michel-Jack Chasseuil, collectionneur de vins, racontait sa rencontre avec des braqueurs venus lui réclamer les clés de sa cave et repartis bredouille. Plus de réussite pour les cambrioleurs franciliens qui, en 2017, empruntent les catacombes pour atterrir dans la réserve d’un particulier près du jardin du Luxembourg.

Le vol de pif n’est même pas une spécialité française. De l’autre côté des Alpes, ce sont des caisses de Barolo (célèbre vin du Piémont) qui sont régulièrement la cible du crime organisé. De l’autre côté de la Manche, on préfère retenir un cambriolage spectaculaire ; 2,4 millions d’euros de cuvées anciennes – dont certaines destinées à la famille royale – s’évaporent dans la nature en 2015, les voleurs ayant même l’audace de sabrer quelques bouteilles de Moët & Chandon sur les lieux de leur maraude.

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Preuve qu’en France, les forces de l’ordre prennent la menace qui plane sur les quilles très au sérieux, l’opération « CASSEVIN », lancée en 2014 devait mettre fin à un vaste réseau opérant notamment en Gironde. Bilan du coup de filet mobilisant presque 300 gendarmes ? Une vingtaine d’interpellations allant du receleur au patron de brasserie en passant par trois enseignants passionnés d’œnologie qui avaient acheté des bouteilles sans être trop regardant sur leur provenance. À l’époque, le président du tribunal correctionnel de Bordeaux, Denis Roucou, déclarait dans des propos rapportés par l’AFP : « Il existe bien une action concertée des cambrioleurs et des receleurs, motivée par l’appât du gain pour des produits de prestige, qui ont contribué à la mise en place d'une filière d'approvisionnement ».

Une filière d’approvisionnement qui ne s’est pas tarie depuis. Sans demande, pas de cambriolages et si les bouteilles quittent une cave, c’est souvent pour en garnir une autre – par l’entremise d’un receleur promettant une revente sans traces. Un peu comme les mallettes de billets piégés à la peinture, certains sommeliers envisagent de marquer les bouteilles d’un tampon pour empêcher leur circulation après le vol. Magali Sulpice, sommelière de l’Auberge du Père Bise, deux étoiles au Michelin installé sur les rives du lac d’Annecy et dépossédé en 2018 d’une partie de sa cave, le suggérait après avoir constaté que les seules quilles épargnées par les voleurs étaient « quelques raretés marquées d’une contre-étiquette Ginestet, du temps où un négociant pouvait mettre un fût en bouteilles pour son client ».

Si jamais vous êtes l’auteur de ce genre d’acrobaties, le meilleur moyen de ne pas se faire choper est encore de réserver le fruit de vos rapines à une consommation personnelle. Si possible sans trop se vanter sur les réseaux sociaux puisque c’est la photo d’une des bouteilles dérobées dans la cave de l’Auberge de l’Île Barbe publiée sur Snapchat par la femme d’un des suspects qui a permis aux enquêteurs de remonter la piste.

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