colleuse viol féminisme
Nantes. Photo de Elsa Gambin.
Société

Une soirée avec les colleuses féministes

Parce que le collage, « ça fait réfléchir ou ça fait chier ». L’un n’empêchant pas l’autre.

Le 14 juillet dernier, pas de feu d’artifice en soirée à Nantes, mais un début de garde à vue pour 6 colleuses interpellées par la police, devant la phrase qu’elles venaient d’afficher, « Liberté, égalité, impunité ». Le communiqué du « collectif de colleu.r.se.s nantais.es » fait état de l’agressivité des agents, téléphone arraché, clés de bras et d’étranglement, bleus, insultes sexistes. Quatre des colleuses seront convoquées devant le tribunal en 2021 pour rébellion en réunion, dont une pour violences volontaires sur personne dépositaire de l’autorité publique. Lors d’une précédente session, d’autres colleuses avaient été contrôlées par les forces de l’ordre et leurs seaux renversés. Le collage de rue serait-il devenu gênant au fil des mois et des messages ?

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Dans la cité des Ducs, où les murs ont commencé à parler dès septembre dernier, et le collectif créé dans la foulée, elles sont aujourd’hui plus d’une centaine, avec un objectif commun, mis en avant sur leur page facebook : « Nous sommes un collectif de collages féministes sur Nantes et ses alentours, avec pour objectif de lutter contre la domination patriarcale sous toutes ses formes. Nous condamnons les comportements et propos transphobes, homophobes, putophobes, racistes, islamophobes, antisémistes et validistes ».

colleuse affiche viol féminisme

À l’origine de ce mode d’action, l’ancienne Femen Marguerite Stern qui a commencé par coller seule plusieurs mois à Marseille, pour dénoncer les chiffres des féminicides et l’inaction de l’État. Une féministe dont se détache aujourd’hui avec véhémence le groupe nantais, intersectionnel, qui rejette la pionnière et son discours de Terf (Trans-exclusionary radical feminist. Un courant du féminisme qui refuse d’associer à cette lutte les personnes transgenres).

Mais le mode d’action, lui, continue de faire des émules, partout en France, et même ailleurs dans le monde. « Pour beaucoup, le collage est un premier acte militant, observe Alice, 23 ans, victime d’agression sexuelle dans son enfance. Tout le monde ne peut pas aller en manif, le collage est un moyen accessible de militer, c’est aussi un tremplin ». Peu coûteux, et visuellement percutant. Dans son salon, penchée sur une immense table protégée d’une bâche plastique, la jeune femme peint des lettres noires sur des feuilles A4 verticales. Une lettre, une feuille. Mises bout à bout, ces lettres majuscules formeront une phrase visible des passants comme des automobilistes.

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« On atteint un large public. Même si les gens ne veulent pas, ils voient ton message. S’ils n’entendent pas parler du sujet, ou l’esquivent, ils voient. Ils lisent. Donc ils entendent ces slogans. T’as pas le choix de le lire » – Alice

Ici, le fonctionnement du groupe est horizontal, une AG mensuelle est mise en place, tout le monde communique par la messagerie chiffrée Signal, et les colleuses, qui disposent d’une charte et prônent pour leurs slogans l’écriture inclusive pour que personne ne se sente stigmatisé ou oublié, vont plutôt « coller par groupe de 3 ou 4 dans leur quartier ». Ce qui permet de parer la ville entière de punchlines souvent incisives, parfois délibérément provocatrices, et ainsi de sortir du sacro-saint centre-ville. Des séances de collages qui se font sans mineurs et sans hommes cisgenres. Avec, elles y tiennent,  une forte « adelphité » (à Nantes, le collectif de colleuses préfère ce terme à celui de sororité. Plus neutre, il permet d’élargir aux personnes transgenres ou non-binaires, pas seulement aux femmes cisgenres).

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« Au 100ème féminicide, et après un grenelle qui n’a vu émergé qu’un énième numéro de téléphone, je n’en pouvais plus, se souvient Alice. Le collage, c’est le résultat d’une colère, il fallait que je fasse quelque chose de cette colère, c’était un trop-plein, j’avais envie de péter des trucs ». Diplômée des beaux-arts, la jeune femme enchaîne les lettres noires avec aisance. À ses côtés, Zoé, même âge et même rage. Comme Alice, elle a rejoint le groupe des colleuses nantaises dès le début. « C’est lié à un vécu personnel. Harcèlement de rue, violences conjugales. J’avais envie de faire quelque chose, d’être actrice, raconte Zoé. Les gens se plaignent parfois de la violence des slogans. Mais c’est ce qu’on dénonce qui est violent ! Si c’est violent à lire, qu’en est-il alors des actes subis ? »

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Arrivée avec un paquet de feuilles déjà préparées, la jeune femme a une autre idée de slogan, se demande si ce dernier n’est pas « trop long ». Finalement, elles se lancent. Les messages, validés précédemment au fil des échanges chiffrés, sont le plus souvent en lien avec l’actualité ou le vécu d’une des colleuses. Le lieu du collage aussi peut être primordial. Pour certaines femmes, voir ce qu’elles ont vécu en immense sur un mur, participer à cette visibilité, a un effet cathartique. Le travail manuel est rapide, efficace. La peinture sèche vite. Les feuilles sont étalées au sol. Rendez-vous est donné à celles qui veulent plus tard dans la soirée.

Pendant le confinement, Zoé a eu besoin d’une « pause réseaux sociaux ». Il est parfois difficile de s’extraire des multiples témoignages de violences. Lorsque la vie a repris hors les murs, le « groupe accueil » du collectif a vu les demandes affluer. Pour les deux jeunes femmes, la pertinence du mode d’action repose d’abord sur la visibilité contrainte. Et Alice d’expliquer : « On atteint un large public. Même si les gens ne veulent pas, ils voient ton message. S’ils n’entendent pas parler du sujet, ou l’esquivent, ils voient. Ils lisent. Donc ils entendent ces slogans. T’as pas le choix de le lire ». Avec ce mode d’action « qui ne dégrade pas », les colleuses se réapproprient ainsi l’espace public.

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Sur celui-ci justement, à l’heure où dans les quartiers résidentiels chacun est rentré chez soi, se forme un petit ballet de voitures sur un parking calme. Habillés plutôt de couleurs sombres, pots de colle calés dans les coffres, gros pinceaux, des membres du collectif discutent. Bonne entente, rires, questions sur la logistique de la soirée. Elles ont déjà collé dans ce quartier, connaissent les endroits propices, murs vastes visibles par le plus de monde possible. Dans leurs mains, des chemises pleines de lettrages, avec un slogan sur chaque couverture. Lise, 22 ans, est arrivée à Nantes pour ses études d’orthophonie 3 ans plus tôt. Elles y a découvert les manifs, « des actions qui pesaient ». « Le milieu militant n’est pas évident si tu n’as pas les codes. Le collage, tout le monde peut le faire ! » Venue avec le slogan « tes potes forceurs sont des violeurs », la jeune femme voit bien que « tout le monde ne va pas se remettre en question » mais constate surtout le bien que leurs messages font aux victimes. « Des femmes nous contactent via Instagram pour pour nous dire c’est super, ou encore merci, merci beaucoup. »

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« On n’a pas forcément besoin de projecteurs. De manière clandestine, ça marche aussi. L’importance est la récurrence du message. On ne que colle “que” des feuilles A4 sur des murs, mais nos messages ont du poids » – Laurane

Il fait encore jour. Après un premier collage rapide, « pompiers, policiers, ministres : violeurs partout », qui sera enlevé dès le lendemain par les services de la Ville, les deux véhicules s’arrêtent près d’un mur « autorisé ». La nuit est tombée lorsque le long message de Zoé a pris place. Une voiture de police a ralenti devant les jeunes femmes en train de coller. Le passager a lu, la voiture de patrouille est repartie. Deux femmes se sont arrêtées, l’une traduisant à l’autre en espagnol. Des poings levés et fiers de cyclistes, des coups de klaxons agacés. « Parfois des hommes s’arrêtent pour nous poser des questions, relate Lise. Il leur arrive aussi de faire des blagues bien pourries ». La pédagogie ne suffit pas toujours. Quelquefois, assez vite, les collages sont arrachés par des passants. Alors le collectif évite « les petits mots arrachables type ‘pas’. ‘On n’en veut pas’. Si on arrache le mot, ça change la phrase ». Quoi qu’il en soit, personne ne reste indifférent.

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Troisième arrêt, trois collages en bord de Loire. Par une erreur d’inattention, un des pots de colle a une teinte framboise. Les jeunes femmes s’en amusent, et le rose disparaît sous un nouveau message, qui fait référence à la fois à la nomination de Gérald Darmanin et à l’épisode du 14 juillet. Il manque un « U », piqué dans une autre chemise. Il sera fait à la bombe sur une feuille. Laurane, 34 ans, imprime ses slogans, elle ne peint pas. Le rendu est le même. Elle a rejoint le groupe à la sortie du confinement avec l’envie « de construire quelque chose. Un bout de société égalitaire. La rue est faite par les hommes, pour les hommes. Avec ces messages, on peut planter des graines dans la tête des gens ». Chloé Madesta, Irene Vrose, les auteures de Clit Révolution… Laurane s’intéresse de près aux activistes féministes. « Mais on n’a pas forcément besoin de projecteurs. De manière clandestine, ça marche aussi. L’importance est la récurrence du message. On ne que colle “que” des feuilles A4 sur des murs, mais nos messages ont du poids ». En témoignent les réactions, de soutien ou de rejet.

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Tenace, le groupe nantais compte continuer sur sa lancée, malgré les risques, qui vont à présent au-delà de la simple amende. Et apprend, comme tout militant, à « se former à la répression, comme dit Laurane. « Tant qu’il n’y aura rien de concret, on ne lâchera pas », insiste la jeune femme, arrivée à la séance collage avec le message « vous ne nous ferez plus jamais taire ».

Une des gardées à vue a choisi de suivre les collages ce soir-là, se tenant un peu à distance. De l’importance de remonter en selle après une chute. Un dernier « j’avais 7 ans », et la nuit noire et l’air frais laissent penser qu’une bière amicale serait de bon ton avant de se quitter. Les collages de la soirée seront, comme toujours, postés sur le compte Instagram du collectif. « On est conscientes que ça va pas révolutionner la politique, de coller, admet Alice. Mais si on arrive à sensibiliser une personne, c’est déjà ça ». Parce que le combat n’est pas seulement revendicatif mais aussi solidaire, sous l’éclairage des réverbères, on peut lire en partant « soutien et forces à nos adelphes ».

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