Food

Dans le MacDo abandonné qui nourrit gratuitement 2 000 familles par semaine

Les anciens employés ont transformé l'adresse marseillaise en banque alimentaire et veulent désormais ouvrir leur propre restaurant.
MacDo Marseille
La devanture de L'après M. Photo de l'auteur.

[Note de la rédaction] : racheté par la Ville de Marseille en juillet 2021, l’après M sera ouvert au public à partir du 5 décembre ont annoncé les équipes du Fast Social Food dans un communiqué relayé par BFM.

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« Il n’y a rien de plus dangereux que le capitalisme, il est insatiable, » explique Fathi Bouaroua. « On a vu que manifester dans les rues et crier, ça n’a pas beaucoup d’impact, donc on se doit de proposer des alternatives sociales qui ne puissent pas être écrasées par le capital. Et on n’a pas peur, le seul sentiment qui nous anime, c’est la détermination. »

Bouaroua est un militant, éloquent et passionné, d’origine algérienne, qui a grandi dans les quartiers les plus pauvres de Marseille. Il est à l’origine de l’après M, un McDonald’s squatté que lui et d’autres personnes ont décidé de transformer en une importante banque alimentaire au cœur de Sainte-Marthe, un quartier pauvre du Nord de Marseille. Et à mesure qu’il parle, Fathi devient de plus en plus bouillonnant en décrivant la direction qu’il souhaite donner à cet établissement pour en faire un nouveau restaurant socialiste destiné à aider cette communauté démunie.

Alors qu’il a passé sa vie à travailler sur des questions sociales, à organiser et coordonner des groupes de bénévoles, Fathi Bouaroua perçoit parfaitement le symbole fort que représente la réappropriation de ce restaurant. Ce local qui appartient à une multinationale de la restauration rapide, est désormais un outil qui permet de nourrir plus de 2 000 familles par semaine.

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« Lorsque le premier confinement a été déclaré, les gens du quartier avaient plus peur de mourir de faim que d’attraper le COVID, » raconte-t-il. « Tout était fermé. Même les associations caritatives et l’aide sociale. Les gens étaient livrés à eux-mêmes. Qu’ils aient des papiers ou qu’ils soient sans papiers, ils n’avaient rien. »

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Lorsque l’on quitte le centre de Marseille pour aller vers le Nord, il est difficile de fermer les yeux sur l’évolution du paysage, sur la façon dont la deuxième ville de France tourne à la dystopie. Des blocs d’immeubles aux couleurs pastel où s’entassent des immigrants, autour de places qui ne sont que de grosses dalles de béton. Ici ou là, des migrants syriens qui gribouillent des messages de supplique sur des morceaux de carton et présentent leurs mains, la paume vers le ciel, aux fenêtres des voitures attendant que le feu passe au vert.

« Quand MacDo a décidé de fermer ce restaurant, le seul autre endroit où l’on pouvait trouver du boulot, c’était le supermarché du coin, » explique Bouaroua. « C’était trop pour les gens du quartier. Ça devenait inacceptable. »

Situé entre les quartiers de Sainte-Marthe et Saint-Barthélémy, tous deux à prédominance musulmane, ce restaurant McDonald’s était le premier du pays à voir le jour au milieu d’un quartier pauvre comme on en trouve autour de toutes les grandes villes du pays. Largement soutenu par des financements gouvernementaux, le restaurant avait ouvert ses portes en 1992, comptant jusqu’à 77 employés issus de ces quartiers, avec des contrats inhabituellement longs et favorables aux travailleurs du fait des protections qu’ils impliquaient.

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« Ce modèle n’est pas seulement destiné à aider les plus démunis, l’idée est aussi de lutter, de contre-attaquer, face aux méfaits du capitalisme. » - Fathi Bouaroua

Ce restaurant avait été une véritable bulle d’air frais pour les nombreux jeunes sans emploi des quartiers, mais il leur avait également offert un endroit où sortir pour manger un morceau. C’était littéralement tout ce qu’ils avaient. Mais lorsque le gouvernement a fermé le robinet des subventions, en 2018, la direction de McDonald’s a décidé de baisser le rideau, au désespoir de ses équipes et des habitants du quartier.

Les employés du restaurant avaient vu leur lieu de travail se vider mais, avec à leur tête leur ancien manager Kamel Guemari, ils n’avaient pas envie de se laisser faire. À l’époque, sans aucune mauvaise intention envers quiconque, Guemari, qui est aujourd’hui le leader de l’après M, avait décidé de s’asperger d’essence et il avait menacé de s’immoler si la procédure de fermeture devait aller à son terme. La demande qui accompagnait son geste était le maintien du restaurant et la garantie pour les 77 employés qu’ils garderaient leurs emplois. Voyant son lieu de travail comme un endroit favorable à la diversité et une source d’espoir pour des populations marginalisées, Guemari, spectateur du désespoir, avait essayé de prendre la défense des populations des quartiers nord à travers ses déclarations face à ce qu’il considérait comme une terrible attaque contre eux.

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Malgré tout, Guemari n’est pas parvenu à obtenir l’annulation de la fermeture du restaurant. L’établissement est resté en sommeil jusqu’au début du premier confinement, en mars 2020. Là, avec le soutien d’une grosse campagne médiatique sur les réseaux sociaux, Guemari et d’autres employés – ainsi que des artistes et des militants de la gauche dure – ont commencé à lever des fonds pour réformer le bâtiment dont ils s’étaient emparés et qu’ils avaient ressuscité afin d’aider les habitants de leurs quartiers.

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En changeant les lettres de l’enseigne, en les retournant et en les réordonnant, ils ont donné naissance à « l’après M ». Un phare au milieu d’une longue nuit de misère : des agriculteurs venaient déposer des fruits et des légumes qui, autrement, auraient fini à la poubelle ; des magasins offraient de la nourriture ; des habitants du quartier donnaient de l’argent pour soutenir ce mouvement naissant. Au cours des cinq premières semaines après son ouverture, l’après M avait déjà offert des colis alimentaires à plus de 100 000 personnes.

« On a déjà eu près de 50 000 donateurs à 25 € chacun, » explique Bouaroua, fier de ce chiffre. « Le maire du quartier a déjà promis que la municipalité allait lancer un rachat obligatoire du restaurant et de la parcelle sur laquelle il se trouve. Ensuite, on aimerait pouvoir leur racheter l’endroit ou avoir un bail à long terme. On a également lancé une société qui s’appelle ‘La Part du Peuple’. Tous ceux qui font un don à cette société obtiennent des parts. Mais personne n’est propriétaire. C’est une société dirigée un peu comme une ONG. »

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« Ici, on a envie de créer un établissement de restauration sociale rapide. Un restaurant où on te donne le menu, mais où les prix sont déterminés en fonction de tes revenus. Si tu es sans papiers, alors tu peux venir manger gratuitement deux fois par semaine. Les personnes qui sont au SMIC paieront leur repas trois euros, et ainsi de suite. Une restauration à tarification évolutive. On compte réintégrer 37 des anciens employés, et les autres postes seront occupés par 40 bénévoles qui nous donneront une demi-journée par mois de leur temps pour aider à ce que les choses avancent. Ce modèle n’est pas seulement destiné à aider les plus démunis, l’idée est aussi de lutter, de contre-attaquer, face aux méfaits du capitalisme. »

Certaines personnes ont dit que cette entreprise était une utopie idéaliste, mais les idéaux qu’elle prône sont partagés très largement, et par des gens de tous âges, dans les rues de Marseille. La ville nourrit une rancœur très fortement enracinée à l’égard des réglementations strictes et de l’injustice sociale, et ce sentiment a été largement renforcé par les couvre-feux interminables, et les nuages de gaz lacrymogène tirés par la police pour faire respecter cette mesure pendant la pandémie. La ville de Marseille est profondément fière de sa nature rebelle, de cette idée de combattre jusqu’à la mort. Mais il y a un sentiment de ras-le-bol général, et plus encore chez ceux qui n’ont pas grand-chose.

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Des produits donnés dans la salle de l’ancien McDonald’s

Cela dit, en entrant dans l’après M, on a une agréable sensation de surréalisme : des femmes en burqa rangent des boîtes de mangues très mûres contre des posters de cheeseburgers et des personnages de dessins animés ; des jeunes hommes chargent des litres de boissons sucrées et des pastèques dans des petites voitures qui seront conduites par des petits groupes d’individus à travers la cité phocéenne, afin de distribuer de la nourriture aux réfugiés et autres SDF du centre-ville ; des Français d’âge moyen tendent des colis, par la fenêtre de livraison des repas, à des familles venues du Maghreb et désormais installées dans le quartier.

L’après M est une bouée de sauvetage pour des gens qui ont décidé de venir démarrer une nouvelle existence en Europe – une tâche qui n’a jamais été facile, mais qui l’était encore moins pendant la pandémie. Et l’engagement des gens qui accomplissent ces tâches est vraiment palpable.

Avant de repartir, je demande à Bouaroua de me dire quelles sont ses craintes quant au projet qu’est l’après M. « Ce qu’on peut inspirer aux gens est bien plus important que le résultat en soi, peu importe où on arrivera, » lance-t-il. « Des gens qui se réunissent pour devenir propriétaires d’un restaurant, créer des emplois et aider leurs voisins, c’est ça l’après M. C’est une philosophie de la motivation.

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