dérapage bmw johannesburg
Toutes les photos sont de Ryan Cookson
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Avec les amateurs sud-africains de dérapages en BMW

On a rencontré le photographe Ryan Cookson pour discuter de l’évolution du « spinning », ancienne tradition des gangsters devenue un véritable sport mécanique.

Si vous allez sur YouTube et que vous tapez « street spinning in South Africa », vous allez tomber sur une longue liste de vidéos mettant en scène des BMW sorties de la fin des années 1980 qui crament du pneu dans les faubourgs de Johannesburg, entourées de foules de gamins qui demandent à grands cris que les pilotes fassent « tournoyer leurs caisses ! »

Cette pratique, qui porte le joli nom de « spinning », est devenue très à la mode à la fin des années 1980, où l’essor de la culture gangster a rencontré la toute nouvelle BMW 325i, ou « Gusheshe ». Au début, le spinning était lié à la grande criminalité, et la plupart des pratiquants avaient probablement kidnappé quelqu'un ou volé la voiture dans laquelle ils tournoyaient. Mais aujourd’hui, le spinning a évolué, il est devenu un véritable sport, avec ses règles, ses traditions, et certains arrivent même à gagner leur vie avec, comme dans n’importe quel autre sport. En 2014, le spinning a même été reconnu officiellement comme un sport mécanique par l’Association sud-africaine des sports mécaniques, lui permettant ainsi de rentrer dans les stades du pays sous forme de spectacle. Mais si cela était vu comme une victoire par les communautés de spinneurs des faubourgs qui voyaient leur pratique enfin prise au sérieux, le manque de structures formelles et de soutien commercial place les pilotes dans une situation où ils ont des revenus extrêmement irréguliers, et qui couvrent rarement les dépenses engagées.

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Dans son dernier livre, Tell Them About Me (Parlez-leur de moi), le photographe Ryan Cookson, qui vit à Melbourne en Australie, nous offre un instantané de ce qu’est le spinning aujourd’hui, en tant que sport mais aussi que sous-culture. Réalisé sur deux ans, ce livre retrace l’évolution de ce sport, évitant soigneusement les efforts sensationnalistes de ceux qui sont passés par là avant lui. Cherchant à aller au-delà du spinning en tant que pratique purement sportive, les photos de Ryan nous donnent à voir les communautés qui ont consacré des décennies à la propagation de cette activité.

Nous avons eu l’occasion de partager un moment avec Ryan pour qu’il nous raconte ce qu’il avait appris pendant qu’il se baladait, appareil à la main, cherchant les meilleures images des faubourgs de Jo’burg.

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VICE : Salut Ryan, peux-tu me raconter comment est né ce projet ?
Ryan Cookson : J’ai découvert le spinning sur YouTube il y a plusieurs années, mais je n’aurais peut-être jamais mis les pieds là-bas sans le concours de mes potes Andy et Jason, qui dirigent le Hillvale, un labo photo indépendant installé à Melbourne. Ils m’ont dit : « Mec, on aimerait t’aider à mener à bien un projet photo, et il y a quelque temps, tu nous avais parlé de ton obsession pour le spinning en Afrique du Sud. Ça te dirait d’aller là-bas pour mettre tout ça en images ? » Et j’ai immédiatement accepté.

Je suis allé en Afrique du Sud pour la première fois en août 2016, et c’était vraiment éprouvant nerveusement. Surtout parce que je ne connaissais absolument personne sur place. Finalement, j’ai réussi à contacter un type, Pule, qui a dit qu’il pouvait me présenter des gens de la communauté des spinneurs. En 2017, je suis revenu sur place pour prendre de nouvelles photos et tourner un court métrage qui accompagnerait le projet.

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Comment as-tu rencontré Pule ?
Au début, je l’ai contacté par email, et après, on a discuté sur Skype quelques fois. Quand je suis arrivé, il avait la BMW classique aux formes rectangulaires qui est LA voiture du spinning. Honnêtement, mon premier tour en bagnole avec lui a été une expérience fantastique. Parce que quand cette caisse – la BMW 325i ou tout autre BM – roule à vive allure, les gens courent derrière dans la rue, ils sifflent et on les entend crier « Spin the car ! Spin the car ! » (Fais tournoyer la caisse !) C’était vraiment incroyable. Je n’ai jamais rien vu d’aussi fou de toute ma vie ; une voiture qui puisse avoir un tel impact sur les gens.

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Où est-ce que tu as passé le plus de temps ?
Je suis resté autour d’un coin qui s’appelle Pimville, dans les townships au sud-ouest de Johannesburg. J’avais entendu qu’il y avait pas mal de spinneurs dans Soweto, mais j’ai fini par rencontrer des gens de tous les coins de Johannesburg et des environs. Partout où je pouvais rencontrer des gens, j’y allais.

Tu peux me parler un peu de tes sujets et des gens que tu as rencontrés ?
J’ai passé une grande partie de mon temps avec 3 ou 4 crews. Les Seku Rite, les Rich Gang, les DK Spinners et le Ruffy’s Westside Crew. Un crew, c’est un pilote, un copilote, et souvent, une autre personne qui va faire des cascades et faire réagir la foule pendant que la voiture fait ses spins. Il arrive parfois que le pilote fasse des cascades pendant que la voiture est en train de tournoyer. Les crews que j’ai rencontrés étaient si synchronisés les uns avec les autres que ça ressemblait à une chorégraphie parfaitement préparée, et ça, je ne l’avais pas compris jusqu’à ce que je les voie dans la rue. Chaque crew a son propre style et vient d’un quartier spécifique de Johannesburg qui a aussi joué un rôle dans ledit style.

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Pule était vraiment généreux, il acceptait de changer son programme quotidien pour m’emmener rencontrer tel ou tel crew. Et à partir de là, je rencontrais d’autres personnes et d’autres crews. Mais lui, Pule, on pourrait dire qu’il est au centre de ce petit monde, parce qu’il a beaucoup travaillé pour que le spinning devienne officiellement un sport mécanique. Il a commencé à créer une école de pilotage, et une arène dans laquelle les spinneurs pourraient se produire afin que plus de pilotes puissent gagner leur vie avec ça.

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Johannesburg a un taux de crimes violents très élevé. Est-ce que tu te sentais en sécurité pendant ton séjour ?
Au début, une partie de moi se sentait un peu mal à l’aise. Les documentaires que j’avais vus et les trucs que j’avais entendus me revenaient en tête et influençaient mon état d’esprit. Mais finalement, comme j’étais avec Pule et d’autres gars du coin, je me sentais en sécurité et je me sentais bien avec eux, où que j’aille. Je les écoutais et je m’inspirais d’eux, et au bout du compte, ça a été une expérience incroyable, très agréable, avec des personnes amicales et accueillantes. Quand j’y repense, je suis heureux que le spinning ait été un moyen pour moi de rencontrer tous ces gens, aux quatre coins de Johannesburg, des gens vraiment ouverts, sympas et qui m’ont accepté comme l’un des leurs.

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Parmi les pilotes que tu as rencontrés, combien vivent ou gagnent de l’argent grâce au spinning ?
En Afrique du Sud, les gens sont si habitués à voir du spinning, qu’il faut vraiment être très talentueux pour sortir du lot et gagner de l’argent avec. Les foules qui regardent les spinneurs vous disent très vite qui est mauvais. Lucas, du crew des Seku Rite, que j’ai suivis, gagne sa vie avec le spinning. Les autres crews qui j’ai rencontrés gagnent aussi de l’argent avec le spinning, mais ils ont des boulots à côté.

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Est-ce qu’il y existe aussi une communauté de femmes pratiquant le spinning ?
Il y a beaucoup de femmes qui pratiquent, oui. Stacey-Lee est certainement la plus connue et l’une des meilleures spinneuses du pays. Je l’ai rencontrée brièvement en 2016, on a passé un moment ensemble, j’ai fait quelques photos et je l’ai vue spinner lors d’un gros événement. C’était vraiment très cool. Malheureusement, je n’ai pas réussi à rencontrer de femmes spinneuses qui pratiquaient dans la rue, et mon projet tournait vraiment autour de ça. Le spinning dans les arènes, c’est intéressant, mais je trouvais que le sujet avait déjà été traité maintes fois, et très bien traité en plus, notamment par les gars de Top Gear et d’autres.

J’ai rencontré un spinneur super doué, Rio, qui pratique avec ses filles dans la voiture, au milieu de son quartier, à Florida. J’ai cette photo où sa fille est accrochée à la voiture qui est en train de tournoyer, mais je ne l’ai pas mise dans le livre. Je voulais réserver quelques images pour mon exposition fin mai.

D’où vient le titre ?
Lucas, dont je parlais un peu plus tôt, a un autocollant sur la côté de sa voiture. Ça dit « Tell Them About Me ». On peut le voir sur certaines images, mais il faut regarder de très près.

Quelle évolution le spinning va-t-il connaître selon toi ?
Je ressens une véritable différence entre, d’un côté, un spinning qui va se produire spontanément dans la rue, des gens qui sortent de chez eux en courant pour le voir, et d’un autre côté, le spinning confiné dans des arènes. Je ne dirais pas que c’est dommage, mais c’est vraiment deux expériences complètement différentes. J’ai bien conscience que ça peut être extrêmement dangereux pour les spectateurs sans les mesures de sécurité présentes dans les arènes. On m’a raconté des histoires de personnes qui ont été gravement blessées voire tuées, et les pilotes risquent également de se faire arrêter, aujourd’hui bien plus qu’hier. Avant, la police s’arrêtait, et elle regardait, comme tout le monde, quand ça arrivait dans la rue. Aujourd’hui, c’est tolérance zéro en dehors des arènes.

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La suite des photos :

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Le livre Tell Them About Me a été lancé à la foire aux beaux livres de New York, l’an dernier, aux Éditions Knowledge avec la collaboration de Hillvale, et il sera exposé à la Hillvale Gallery, à Melbourne, avec un court métrage, fin mai.

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