Cet article a été initialement publié sur VICE Allemagne.
L’alcool est une substance amusante – du moins, jusqu’à un certain seuil. Une consommation excessive peut avoir des conséquences désastreuses sur la santé – ainsi que sur vos relations et votre porte-monnaie. En France, en 2014, selon les estimations de l’Inpes, 14,6 % des hommes et 4,9 % des femmes consommeraient quotidiennement de l’alcool – sachant qu’une forte diminution a été constatée au cours de la seconde moitié du XXe siècle, en lien avec la réduction de la consommation de vin.
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Murat*, 37 ans, est originaire de Berlin ; ancien alcoolique, il a récemment rejoint les Alcooliques Anonymes (AA). Il buvait une demi-bouteille de vodka par jour et, au bout d’un moment, il a commencé à contrer les effets de l’alcool en prenant de la cocaïne, du Valium et du Tramadol. Comme beaucoup d’autres alcooliques, Murat était convaincu d’être en parfaite santé ; c’est lorsqu’il est allé à sa première réunion AA qu’il s’est rendu compte de son problème. Personne autour de lui ne se doutait de son addiction, car il donnait l’impression d’avoir sa vie en main : propriétaire d’un bar, il avait récemment ouvert un restaurant dans Berlin. Mais son addiction a fini par le rendre dangereux, pour lui-même et pour ses proches.
Je l’ai rencontré dans un café du centre-ville de Berlin. De taille moyenne, musclé et aux cheveux grisonnants, il semblait sûr de lui – jusqu’à ce que le sujet de l’alcool soit abordé.
VICE : Quelle est la pire chose que vous ayez faite en étant soûl ?
Murat : Je me battais souvent, parce que j’avais l’impression d’être surpuissant. J’ai trompé mes copines. Je menaçais et j’insultais des gens dans la rue. Une fois, j’ai tabassé un videur qui avait refusé de me laisser entrer en boîte. Mais le pire, c’est que je frappais mes ex. J’ai été violent envers les quatre femmes avec qui j’ai été avant de rencontrer ma copine actuelle. Je suis avec elle depuis quatre ans maintenant et je n’ai jamais levé la main sur elle.
Pouvez-vous me parler de votre « pire » cuite ?
Une fois, j’étais couché dans ma baignoire ; j’étais soûl, j’avais pris du Valium et je m’étais injecté de la coke. J’ai fait une crise de panique et je me suis retrouvé à courir à poil dans la rue. La police m’a trouvé et m’a amené à l’hôpital. Ça arrivait souvent, ce genre de trucs – j’ai sauté par la fenêtre six ou sept fois. Ç’aurait pu mal se terminer mais heureusement, ce n’était jamais de très haut ; je me suis quand même fracturé la colonne une fois.
J’ai été responsable d’un accident de voiture, aussi. En 2012, j’ai percuté un bus et une autre voiture ; le chauffeur de la voiture a eu la jambe cassée. Lorsque la police est arrivée, je suis parti en courant. Ils m’ont poursuivi et, pour leur échapper, j’ai sauté dans un canal – c’était en plein hiver. Ils m’ont sorti de l’eau et m’ont amené à l’hôpital car j’étais en hypothermie. Lorsque le psychologue m’a dit qu’il aimerait faire quelque chose pour mes addictions, je lui ai dit qu’il était fou : je ne pensais pas être accro à quoi que ce soit. C’est lorsque je suis allé à ma première réunion AA que je me suis rendu compte de la situation.
À votre avis, comment êtes-vous devenu alcoolique ?
Ma dépendance a commencé par une bière : j’avais 13 ans et j’étais très timide. Il y avait cette fille que j’aimais bien, et elle et ses amis m’ont invité à prendre un verre avec eux ; après une demi-bouteille, j’ai adoré la sensation que ça me procurait. Ça me rendait loquace, toutes mes peurs avaient disparu. Après ça, je n’ai traîné qu’avec des gens qui buvaient. Tous les week-ends, je buvais jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’alcool, ou jusqu’à ce que je vomisse. À 14 ans, j’ai participé à ma première grosse bagarre et j’ai commencé à commettre des infractions mineures. Mes parents ont décidé de m’envoyer dans un internat privé en Turquie, et c’était aussi horrible que ça en a l’air : de l’ordre, de la discipline, des raclées, il fallait se lever à 5 heures du matin pour prier. J’étais très malheureux et je suis rentré en Allemagne après un an. À l’époque, je ne buvais que les week-ends.
À 18 ans, j’ai commencé à faire du sport, excessivement, jusqu’à devenir accro à la muscu. À 19 ans, j’ai commencé à boire quotidiennement, jusqu’à ce qu’on me vire de mon école de commerce. Après ça, je me suis ressaisi (encore une fois), j’ai fait un stage en hôtellerie et j’ai ouvert un bar. Les gens ont des clichés sur les alcooliques, ils pensent qu’ils dorment tous dans la rue, mais, très souvent, ce sont des gens qui évoluent au sein de la société. La journée, tout était sous contrôle ; la nuit, je buvais.
Quelle est la boisson fétiche des alcooliques ?
La vodka. Vous pouvez la mélanger à tout et n’importe quoi, ça n’a pas beaucoup de goût et on peut même la boire pure. Aussi, ça fait effet rapidement et c’est bon marché.
Quel alcool vous manque le plus depuis que vous avez arrêté de boire ?
Le vin ; j’avais l’habitude de boire un verre de vin en mangeant, c’était agréable.
À qui avez-vous fait le plus de mal à cause de votre addiction ?
Mes anciennes copines. Elles ont eu des moments difficiles à cause de moi. Les gens dont j’étais le plus proche étaient ceux que je faisais le plus souffrir. Quand j’étais plus jeune, je m’engueulais souvent avec mes parents et je cassais des choses dans la maison. Aussi, ma copine actuelle a perdu beaucoup de poids à cause de moi. Parfois, quand je rechutais, je l’accusais de trucs affreux et j’essayais de la contrôler. Mais elle est restée avec moi.
Qu’est-ce que votre addiction a détruit pour toujours ?
Physiquement, pas grand-chose : j’ai eu un abcès à cause des aiguilles et une fracture à la colonne. Mentalement, le fait de ne plus boire me pousse à affronter mes peurs : les incertitudes économiques, la peur de me retrouver seul, etc.
Qu’est ce qui vous manque le plus dans l’alcool ?
La sensation de chaleur dans mon estomac, et le sentiment que je peux parler à n’importe qui. Quand je vois des gens boire dans mon bar, ça me rend carrément jaloux. Mais l’alcoolisme est chronique. Si je retouchais à l’alcool maintenant, même si c’était juste un Mon Chéri, je rechuterais. Beaucoup d’alcooliques arrêtent de venir aux réunions AA au bout d’un moment, car ils ont l’impression d’être guéris. Ils se récompensent en buvant un verre de vin ici et là, ce qui peut marcher pendant un temps. Mais lorsqu’ils font une vraie rechute, les effets peuvent être bien plus intenses qu’ils ne pensent, et ils peuvent totalement perdre pied.
Avez-vous remplacé l’alcool par une autre addiction ?
Non, je médite et je prie. J’apprécie à nouveau d’aller au soleil, chose qui m’énervait lorsque je buvais. Je sors de temps en temps, mais juste dans des bars à chichas, là où on ne sert pas d’alcool. Je ne suis pas encore prêt à retourner en boîte de nuit.
Pensez-vous que l’alcool devrait être interdit ?
Non. Tout le monde ne va pas sombrer dans l’alcoolisme, la plupart des gens gèrent ça bien mieux que moi ! Même lorsque j’étais adolescent, je voyais que je ne buvais pas comme mes amis. Ils ont tous arrêté un jour, mais moi, je me suis noyé.
*Le nom de Murat a été changé à sa demande.
Si vous, ou un de vos proches, se bat contre cette addiction, n’hésitez pas à visiter le site Alcool-Info-Service.fr.