Cet article a été initialement publié sur VICE Allemagne.
Melanie est âgée de 34 ans. Cette assistante dentaire berlinoise est Témoin de Jéhovah depuis ses 17 ans. Elle a grandi au sein de la communauté et a décidé de devenir membre à part entière lors de son baptême, à cet âge-là. Alors que pour elle ces gens sont sa famille, la société considère souvent les Témoins de Jehovah comme une secte – et l’État français également, depuis un rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les sectes de 1995. Cette réputation vient sans doute en partie du zèle des Témoins, de leur interprétation littérale de la Bible et des paroles du Christ, et du fait que transgresser les règles – en ayant des rapports sexuels avant le mariage ou en acceptant une transfusion sanguine – peut vous valoir l’excommunication.
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Pour comprendre comment se passe la vie dans la communauté, j’ai rencontré Melanie dans la Salle du Royaume de l’assemblée des Témoins de Jéhovah, dans le quartier de Gesundbrunnen, à Berlin. La salle comprend quelques meubles, des rangées de chaises, ainsi qu’une petite estrade. Elle ne ressemble pas vraiment à une église, et on ne décèle le côté religieux de la pièce que grâce à des posters sur lesquels s’affichent des versets de la Bible traduits en quatre langues. Le mari de Melanie, Thomas, ainsi qu’un responsable de la communauté, ne m’ont pas quittée d’une semelle lors de l’interview.
Deux fois par semaine, Melanie se balade dans la capitale allemande en compagnie d’autres Témoins de Jéhovah pour distribuer des tracts aux arrêts de métro. Elle fait également du porte-à-porte. Tout au long de notre conversation, elle tient une petite Bible reliée de cuir noir, qu’elle serre entre ses mains. Elle cite des versets de temps à autre. La plupart sont en rapport avec le jour du Jugement Dernier – les Témoins de Jéhovah pensent que Dieu viendra purger le monde de tous ses maux pour faciliter l’avènement du Royaume sur Terre.
VICE : Comment vous sentez-vous lorsque vous vous promenez dans un lieu public et tentez de convaincre les gens, tout en étant parfaitement consciente que la plupart des passants vous trouvent un peu bizarre ?
Melanie : Je suis fière de ce que je fais. Bien sûr, ça demande du courage de tracter dans la rue. Mais au final, je ne fais de mal à personne, je propose juste des informations et je ne force personne à faire quoi que ce soit. Les gens décident d’eux-mêmes s’ils ont envie de venir nous parler ou pas.
Tenter de convaincre les gens dans la rue, c’est une méthode efficace selon vous ?
Il existe différentes formes de prédication. Nous, on fait de la prédication passive : on se met à des coins de rue avec notre présentoir. On propose différentes lectures aux gens, et on leur donne l’occasion de poser des questions ou bien de discuter avec nous. Plein de personnes différentes viennent nous voir. Beaucoup de gens nous demandent : « Qu’est-ce qu’elle enseigne la Bible, en fait ? Vous pouvez nous expliquer rapidement ? », ou bien ils font des commentaires sur la couverture de La Tour de Garde, notre magazine mensuel. Vous avez probablement déjà entendu parler de la prédication active : c’est lorsqu’on fait du porte-à-porte. Dans ce cas-là, nous parlons aux gens de sujets plus spécifiques et nous proposons des lectures plus précises, par exemple pour les adolescents ou pour les familles.
Combien de personnes vous parlent dans une journée, en moyenne ?
C’est difficile à dire, très souvent ça va dépendre de la météo. Il arrive parfois que personne ne vienne nous voir dans la journée.
Avez-vous déjà été la cible d’insultes ?
Ça arrive. Après, j’ai plutôt l’impression que les gens essayent de nous insulter par le regard. Quelqu’un nous a craché dessus un jour. Mon mari et moi tractions ensemble, et un homme est passé deux fois devant nous, il s’est rapproché et il a craché sur notre chariot rempli de livres et de tracts. Ça s’est passé tellement vite que nous n’avons pas eu le temps de réagir. On a juste essuyé le chariot et on a continué à travailler. Le même jour, un autre homme est venu nous voir et nous a dit que les gens comme nous mériteraient d’être gazés. [Lors de la Seconde Guerre mondiale, on estime que 1 200 Témoins de Jéhovah sont morts dans des camps de concentration.] Ça reste rare. Heureusement, je n’ai jamais été la cible d’attaques physiques.
Est-ce que vous détestez les athées ?
Non, bien sûr que non, pourquoi les détesterais-je ? Je respecte les autres et je ne les juge pas sur leurs croyances. J’espère avoir droit au même traitement en retour.
Est-ce que Dieu va me punir car je ne crois pas en Lui ?
Je ne peux pas parler pour Dieu. Je n’ai jamais dit que les Témoins de Jéhovah allaient être les seuls à être sauvés. Seul Jéhovah décide de qui peut accéder à Son Paradis.
Les Témoins de Jéhovah ne célèbrent pas leur anniversaire. Vous ne le fêtez même pas en secret ?
J’ai 34 ans et je peux vous affirmer que je n’ai jamais fêté un seul de mes anniversaires. Ce n’est pas très important pour moi – parfois, il m’arrive d’oublier que c’est mon anniversaire le jour même. Je n’ai jamais eu l’impression de louper quelque chose. Quand j’étais petite, mes parents m’offraient des cadeaux si je rentrais de l’école avec un bon bulletin de notes.
Vos croyances vous poussent-elles à vous adapter dans votre vie quotidienne ?
Je ne peux pas participer à certains événements, comme les fêtes de Noël au bureau, par exemple. Mais du coup, je n’y vais pas, tout simplement. J’essaye de vivre ma vie comme Dieu souhaite que je la vive et je n’éprouve pas le besoin de faire des choses qu’Il désapprouverait. Ça ne m’apporterait rien de bon. Je n’ai pas l’impression d’être privée de certaines choses, au contraire. Comme Dieu est mon ami, il est important pour moi de ne rien faire qui pourrait Le blesser. Je ne veux pas Le décevoir.
Combien d’argent donnez-vous à la communauté chaque mois ?
Si vous vous demandez s’il y a des frais d’inscription : il n’y en a pas. Nous avons juste une petite boîte en bois à l’entrée de la Salle du Royaume où chacun peut faire un don dès qu’il ou elle le souhaite. Nous ne parlons jamais du montant, car c’est privé. L’argent est utilisé, entre autres choses, pour l’impression de La Tour de Garde. Comme les donations sont supervisées et regroupées à l’échelle internationale, on peut également les utiliser pour d’autres pays – par exemple, en cas de catastrophe naturelle, ou s’il faut entretenir des bâtiments de la communauté ailleurs dans le monde.
Quand le monde va-t-il toucher à sa fin ?
D’après la Bible, il n’y aura pas de fin du monde comme on se l’imagine, avec la planète qui explose et tout le monde qui meurt. Le mot « monde » fait d’ailleurs souvent référence aux individus. La Bible dit qu’un jour, Jéhovah va détruire tous les maux de la Terre et va autoriser les justes à continuer à vivre. Dans le psaume 37:10-11, on peut lire « Encore un peu de temps et le méchant ne sera plus […] Mais les débonnaires posséderont la terre, et jouiront d’une paix abondante. »
Nous ne savons pas quand cela va se produire exactement, mais la Bible fait allusion à quelques événements qui vont avoir lieu avant que Dieu ne passe à l’action : « Vous entendrez parler de guerres et de bruits de guerres : gardez-vous d’être troublés, car il faut que ces choses arrivent. Mais ce ne sera pas encore la fin. Une nation s’élèvera contre une nation, et un royaume contre un royaume, et il y aura, en divers lieux, des famines et des tremblements de terre. » (Matthieu, 24:6-7)
Quand je lis ce passage aux gens, ils ont souvent la même réaction : ils me disent que ça ressemble beaucoup à ce qu’on entend aux informations en ce moment. Quand je le lis pour moi, je me rends compte que Dieu va bientôt passer à l’action. C’est pour cette raison que nous, les Témoins de Jéhovah, continuons à informer les gens sur ce qui se trouve dans la Bible.