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Le futur du rap s’appelle Rich Chigga

Rich Chigga, rappeur et comique indonésien de 17 ans—plus connu sur Twitter, son médium de prédilection, sous son vrai nom Brian Imanuel—vient de sortir une nouvelle vidéo, un remix du carton « Dat $tick »​, publié il y a quelques mois, avec cette fois-ci un invité de choix : Ghostface Killah – ainsi que ce nouveau rappeur de Miami qu’on appelle Pouya.

La première chose que vous noterez en écoutant la musique de Brian, c’est que son anglais est quasi-parfait. Pourtant, il n’est pas sorti des bancs des grandes écoles de la capitale indonésienne et il n’a pas non plus pris de cours express avec un professeur particulier. Non, Brian a tout appris sur Internet. Et grâce à sa soif d’onglets, il sait quasiment tout ce qu’il est nécessaire de savoir aujourd’hui pour s’en sortir en Occident à 17 ans alors qu’il n’a commencé ses vraies études qu’à l’âge de 14. Il est par exemple capable de pondre des tweets comme celui-ci : « J’ai pécho une blanche pour la première fois dans un club hier soir pile au moment où le DJ a passé ‘Wonderwall’ je le jure devant Dieu. »​

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Brian a ce don d’absorber tout ce que l’Internet de l’Occident peut lui proposer (royaume qu’il a découvert dans les cyber cafés bondés de Jakarta) et l’a remodelé en une parodie tranchante de ce que la culture est devenue pour un tas de jeunes Américains, et leurs clones du monde entier. Prenez, par exemple, son mème de 2Pac.

Mais cantonner Brian à ce rôle de rigolo serait complètement passer à côté de ce qu’il est vraiment. A 17 ans, Brian est déjà une e-célébrité et s’est vu offrir un tas d’opportunités que ce soit des performances, des collaborations mainstream et sans tarder un contrat dans une major et une tournée. Désormais, il a même l’aval du Wu-Tang.  Je l’ai contacté via Skype et j’ai eu la troublante impression de discuter avec un millenial du Midwest alors que j’avais en face de moi un gamin indonésien.

Noisey : Parle-nous de ton rapport à la culture américaine et au rap. 
Brian Imanuel : J’ai découvert le hip-hop en 2012, via un ami américain rencontré cette année-là. Il m’a fait écouter « Thrift Shop » de Macklemore et j’ai adoré. C’est la première chanson sur laquelle j’ai essayé de rapper, mais mon anglais était catastrophique à l’époque. Puis, je me suis mis à écouter 2 Chainz et Childish Gambino. Je n’avais pas beaucoup de potes en Indonésie et je pensais être le seul qui écoutait du rap. J’imaginais que des artistes comme 2 Chainz étaient considérés comme underground.

J’ai commencé le rap en 2014, en enregistrant des trucs sur mon iPhone et en les assemblant sur Sony Vegas, un programme d’édition de vidéos. Je ne savais pas vraiment comment faire et le résultat était merdique, mais le simple fait de composer était très marrant et mes amis kiffaient. Je suis ensuite passé à l’enregistrement studio chez un pote.


C’était comment de grandir à Jakarta ?
L’Indonésie n’est plus considéré comme un pays du tiers monde, mais les bidonvilles sont partout. Même si vous vous rendez downtown, parmi les gratte-ciels, vous apercevrez toujours des taudis au coin de la rue. C’est toujours bondé, il y a des embouteillages et c’est vachement pollué. Mais ouais, c’est chez moi. J’aimais beaucoup dessiner quand j’étais enfant, Internet n’était pas si développé, et j’allais dans des cyber cafés pour chercher des images de dessins animés sur Google que je sauvegardais sur ma clé USB. Quand ma famille a enfin eu Internet à la maison, moi et mes frères sommes devenus fous, on y allait chacun notre tour. Je suivais des cours à la maison, donc j’étais sur l’ordi toute la journée. C’était tellement excitant de pouvoir enfin accéder tout le temps à Internet.

Quand as-tu créé ton premier compte Twitter ?
En 2010, avant même que je tweete en anglais. Si tu descends loin dans mon feed, tu découvriras des tweets en indonésien. Je me suis lancé dans les sketchs en 2014. J’ai pris ça de plus en plus au sérieux et considéré les réseaux sociaux comme un vrai outil, parce que je voulais réunir suffisamment de followers pour promouvoir ma musique et mes vidéos. J’étais vraiment à fond dans l’image et dans la réalisation de vidéos donc je voulais vraiment me servir de ça pour faire ma promo.

Beaucoup de mes potes indonésiens ne comprenaient pas mes blagues sur Twitter. Aujourd’hui, les gens me reconnaissent souvent dans la rue, surtout depuis que des journaux locaux ont publié des articles sur la vidéo des rappeurs connus qui réagissent à mon clip « ​Dat $tick »,​ mais localement, c’est resté relativement confiné. Avant, les raps que je faisais n’étaient pas sérieux. C’était des trucs de rigolo. Avec « Dat $tick »​, c’est la première fois où je me suis dit, « Bordel, et si j’essayais de prendre ça plus au sérieux ? Qu’est ce qui se passerait si j’y allais vraiment à fond ? »​ C’est le premier morceau que j’ai enregistré dans un vrai studio, mon pote qui l’a produit m’a poussé à vraiment bosser dessus. Au départ, la vidéo aurait pu devenir le clip le plus mauvais jamais sorti, j’essayais trop de jouer au mec stylé. Mais ça se voyait que ce n’était pas naturel. À la dernière minute, je me suis dit : « Et si je rendais tout le délire ironique ? Si je portais un polo rose et une banane ? Et des fringues de daron ? »​ C’était un dilemme, soit ça allait tout niquer ou rendre le truc super. Et je suis content d’avoir choisi cette voie au final.

Les flingues que j’utilise sont des jouets. Je m’attendais à 100 000 vues sur YouTube, 200 000 au mieux. Et un jour, j’ai vu qu’un énorme compte Facebook l’avait posté, qu’un tas d’articles le reprenaient et ça a explosé, c’était taré. J’ai été vite dépassé, et pour la première fois, j’ai du me décider : est-ce que je voulais que ça devienne sérieux ou pas ? Est-ce que je voulais continuer ? Et j’ai choisi de continuer.

Quel genre de réactions as-tu reçu après « Dat $tick »​ ?
Je m’attendais à plein de commentaires haineux, mais dans l’ensemble, c’était positif. C’est à ce moment-là que Sean Miyashiro—membre du collectif 88rising et boss du label CXSHXNLY Records qui s’occupe du rappeur sud-coréen Keith Ape—m’a contacté. Quand Sean m’a téléphoné, il m’a dit qu’il était en train de monter une compilation de toutes les réactions des rappeurs suite à la publication du clip de « Dat $tick »​. Il avait les témoignages de légendes comme Ghostface Killah, Cam’ron et 21 Savage. J’ai appelé ma mère et je lui ai dit : « Bordel, tout ça devient très concret. C’est taré. »​

Pourquoi penses-tu que Ghostface Killah te trouve cool ?
En fait, j’en ai aucune idée. Peut-être que je suis un tueur et que je suis trop humble pour l’admettre ? Ghostface est tellement une légende et le fait qu’il veuille se retrouver sur mon titre est assez incroyable. Je n’arrive toujours pas y croire d’ailleurs.

Comment tu t’es mis à la musique ?
J’ai commencé à jouer de la batterie à l’âge de 5 ans, ensuite j’ai écouté beaucoup de groupes de screamo comme Asking Alexandria, Dream Theater, Attack Attack! Puis mon père m’a fait écouter Phil Collins et ça m’a beaucoup aidé pour ma musique.

Que te réserve le futur ?
Je bosse chaque jour sur de nouveaux morceaux et j’aimerais aller aux Etats-Unis pour rencontrer tout le monde. Je veux rencontrer Ghostface et aussi Tyler, The Creator. Ma demande de visa pour les USA a été refusée deux fois, je ne sais pas si je peux en parler ici mais ça a été très dur. Je viens d’avoir 17 ans et je vais bientôt obtenir une carte d’identité officielle, donc ça devrait simplifier les choses. Il y a quelques singles qui arrivent, et peut-être un EP. Je suis tout le temps au studio pour vous balancer des pépites.

Ils en pensent quoi, tes parents ?
Ils m’ont toujours soutenu. Ils ne savent pas vraiment ce qu’est le rap, les lyrics, tout ça. Mais ils savent que d’autres gens me soutiennent et ils aiment voir cette émulation. Mon père regarde mes vidéos YouTube et écoute mes chansons tous les jours et me prévient quand les vues augmentent. « Hey Brian. ‘Dat $tick’ a franchi la barre des 18 millions aujourd’hui. »​

​Justin Staple est producteur pour Noisey et VICE à Los Angeles. Il est sur Twitter​.​