J’étais beaucoup trop jeune pour voir Trainspotting à sa sortie – ce qui n’a pas empêché ce film de bouleverser mon monde prépubère. C’est le film dont tout le monde parlait inlassablement en classe, et dont on achetait les affiches avec notre argent de poche. Le film que tout le monde faisait semblant d’avoir vu, avant de le voir pour de vrai.
Dans le Yorkshire des années 1990, Trainspotting a ouvert la porte de toutes nos premières fois et marqué notre passage à l’âge adulte. Nous avions déjà eu notre lot de sexe et de drogue avec Tarantino, mais Trainspotting a apporté un réalisme nouveau. Après l’avoir regardé à 12 ans, je me suis étrangement senti plus mature et plus expérimenté.
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Le film soufflait ses 20 bougies il y a deux semaines. Pour l’occasion, j’ai discuté avec deux des acteurs principaux : Ewan McGregor, qui jouait Renton, et Kelly McDonald, qui jouait Diane, ainsi qu’Irvine Welsh, auteur du roman éponyme – et dont le livre The Blade Artist, qui suit le personnage de Begbie, sortira en avril prochain.
Kelly MacDonald et Ewan McGregor dans « Trainspotting »
LE LIVRE
Kelly MacDonald : J’avais prévu de le lire sans le faire pour autant. Je l’ai finalement acheté après la première audition.
Ewan McGregor : Danny Boyle m’a donné le script, et je n’avais jamais rien lu de tel. J’avais l’impression de tenir le meilleur rôle de ma carrière. J’avais entendu parler du livre et de l’engouement qu’il avait suscité, mais je ne l’avais pas lu. J’ai tout fait pour convaincre Danny que le rôle était fait pour moi. J’ai trouvé le roman vraiment émouvant. Irvine Welsh est un écrivain incroyable, capable de simultanément vous émouvoir et de vous entraîner dans les profondeurs les plus crasses de la condition humaine. L’histoire se passe en Écosse – étant moi-même écossais, j’ai vraiment pu m’identifier.
DU LIVRE AU FILM
Irvine Welsh : Le livre a suscité un vif intérêt ; tout le monde semblait vouloir l’adapter au cinéma. J’avais déjà cédé les droits à la mauvaise personne – j’étais naïf et dépassé par l’effervescence qu’il y avait autour de moi. Danny Boyle m’a envoyé un screener de Petits meurtres entre amis, et j’ai vraiment eu l’impression de passer à côté de quelque chose. Son énergie et son talent auraient parfaitement collé à mes personnages. Heureusement, nous avons pu trouver une solution.
Je pense que quand un livre est adapté au cinéma, tout le monde est gagnant-gagnant. Si le film n’est pas à la hauteur, il suffit de prendre ses distances et de dire « ils ont merdé ». J’ai rencontré des écrivains qui voyaient ça comme une désacralisation de leur bouquin, alors que ce n’est pas le cas — personne n’arrache les pages ou ne change les mots. Il s’agit simplement de transférer l’histoire sur un support différent. On m’a proposé de participer au film (en tant qu’écrivain), mais je ne voulais pas saper l’énergie de Danny Boyle et d’Andrew MacDonald, le producteur. En plus, j’avais lu le scénario de John Hodge pour Petits meurtres entre amis, et il était clair que je n’avais rien à apprendre à ce mec. J’ai préféré prendre de la distance et leur laisser carte blanche.
LES AUDITIONS
KM : J’ai entendu parler du film grâce à des flyers distribués dans le restaurant où je travaillais, à Glasgow. Je commençais à me demander ce que j’allais bien pouvoir faire de ma vie, et je rêvais secrètement de faire une école de théâtre. Je me souviens être arrivée pour l’audition et avoir croisé le regard de Danny. Je ne sais pas pourquoi, mais ce moment m’a marqué.
J’avais à peine 19 ans quand j’ai eu le rôle. J’étais très excitée à l’idée de passer du temps avec tous ces mecs charismatiques, et en même temps tellement angoissée que je me planquais dans les toilettes.
LES SCÈNES DE TOURNAGE LES PLUS MARQUANTES
KM : Pour moi c’est la scène du club. C’était mon premier jour et on avait tourné toute la journée et toute la nuit. Tout le monde buvait, alors je m’y suis mise aussi. Shirley Henderson (qui jouait Gail) m’a conseillé d’arrêter ; ça faisait des heures que je traînais dans le pub avec des gens qui ne tournaient même pas avec nous. Je crois que j’avais une énorme gueule de bois au moment de tourner ma scène. J’étais incapable de tenir debout, je ne comprends toujours pas comment j’ai pu m’en sortir. La scène de sexe a été vraiment éprouvante et embarrassante. J’avais très peu d’expérience en la matière, et surtout, j’avais jugé bon d’inviter ma mère et mon frère sur le tournage ce jour-là.
EM : Il y en a eu beaucoup. Les scènes étaient très bien construites et tous les acteurs étaient brillants. J’ai adoré les séquences sous l’eau. C’était reposant, silencieux, le rapport à la caméra était différent. J’ai aimé toutes les scènes avec Kelly. C’était plutôt sympa de lui rouler des pelles à l’arrière d’un taxi. Elle n’était pas encore actrice à l’époque ; c’était son premier film, pourtant, elle a scotché tout le monde. La scène du sevrage a été incroyable à tourner, avec cette chambre qui s’agrandit et Jimmy Cosmo dans le rôle de mon père. La scène du parc où Jonny Lee Miller bute un chien était pas mal non plus. En réalité, on n’a pas vraiment buté le chien.
IW : La scène de l’overdose, sur fond de « Perfect Day » (de Lou Reed). C’est une belle overdose. J’en ai déjà vu, ça ne ressemble pas à ça. On devient de plus en plus faible, jusqu’à s’endormir. Des fois on s’en sort, des fois non. Pour moi, cette scène représente à la fois toute l’horreur et tout l’attrait de l’héroïne. Il y a peu de réalisateurs comme Danny Boyle ; il est vraiment doué pour raconter des histoires en images.
Jonny Lee Miller, Ewan McGregor, Kevin McKidd et Ewen Bremner sur le tournage
LA PROJECTION
IW : Ils avaient réservé une salle de projection à Soho. J’ai invité des personnes qui aimaient vraiment le livre et qui n’hésiteraient pas à critiquer le film s’il était raté. Il y avait Bobby Gillespie et Andrew Innes de Primal Scream ; Jeff Barrett de Heavenly Records. Mes yeux étaient rivés sur eux tout au long du film. Ils faisaient des petits commentaires du genre : « Ça, c’est censé être Begbie ? Et ça, c’est censé être Sick Boy ? ». Mais une fois les personnages identifiés, ils se sont laissés emporter par le film. À la fin, ils sont restés sans voix. Ils avaient trouvé le film brillant. C’est là que j’ai su que le film deviendrait un véritable phénomène.
EM : J’étais complètement bouche bée. Sur le cul, vraiment. Je me souviens avoir arpenté les rues, incapable de faire le tri dans mes pensées. C’était comme je l’avais imaginé.
KM : Ce qui m’a marquée quand j’ai vu le film pour la première fois, c’était la réaction de Bobby Carlyle. J’étais assise à côté de lui. À chaque fois qu’il apparaissait à l’écran, il s’enfonçait un peu plus dans son siège. J’étais dans le même état. C’est pareil pour tous les acteurs, je crois. J’ai détesté me voir à l’écran, et je déteste toujours ça.
LA MUSIQUE
IW : Ma seule participation au film a été la bande-son. Je connaissais quelques musiciens que j’ai pu mettre en contact avec les réalisateurs. Ça leur a évité de dépenser des sommes considérables pour obtenir les droits des morceaux. Les artistes étaient tellement emballés par le film qu’ils sont allés jusqu’à négocier avec leur maison de disques. On a pu obtenir les droits à bas prix, parfois gratuitement. Danny avait travaillé avec Leftfield pour Petits meurtres entre amis , et je crois qu’il connaissait aussi New Order. On a pu avoir des chansons qui nous auraient coûté un bras en temps normal.
Je mentionne la plupart des artistes dans le livre : Iggy, Lou Reed, Bowie, et des morceaux de house que j’écoutais pas mal à l’époque. Par contre, je n’ai jamais compris le délire avec la Britpop. J’étais ami avec Primal Scream et Damon Albarn, et je connaissais Jarvis Cocker, mais je ne voyais pas ce que ça venait faire là. Mais Danny a insisté, la Britpop était la nouvelle lubie de la jeunesse britannique et a aidé à la notoriété du film.
Begbie jette son verre sur une foule
LES RÉACTIONS
IW : Bob Dole – candidat à la présidentielle américaine – a critiqué le film sans même l’avoir vu. Le cinéma est par essence une idéalisation de la réalité : il y a des acteurs, une stylisation. Ce qui m’a plu dans le film de Danny, c’est qu’il n’y a rien pompeux. Il s’agissait surtout de capturer la verve de la jeunesse dans un environnement dangereux. C’est le premier film qui semble dire : « la drogue vous fera passer un bon moment, même elle peut être très dangereuse ». Dire « la drogue c’est mal » ne suffit pas. Il faut montrer les bons côtés comme les mauvais. Il faut expliquer pourquoi les gens tombent dedans au départ, même si pour moi la raison est plutôt évidente.
KM : Je suis rentrée chez moi après avoir vu le film. Il y avait deux journalistes – du Daily Mail ou du Daily Record – dans mon salon, en train de discuter avec ma mère. C’était vraiment bizarre. J’ai répondu à quelques questions avant de les mettre dehors. Quelques jours plus tard, ils titraient en une qu’une star de Trainspotting était tombée dans l’enfer de la drogue. Apparemment, c’était moi.
LA SUITE
IW : Le script de John Hodge est formidable. Il s’est inspiré de Porno (roman de Welsh et suite de Trainspotting). On a apporté quelques modifications, parce que les acteurs avaient dix ans de trop quand le livre a paru, vingt maintenant. Dans cette suite, Renton, Begbie, Sick Boy et Spud se croisent à nouveau et ils décident de se lancer dans le porno.
J’ai surtout hâte de voir la réaction des gamins au cinéma, maintenant que les héros sont plus âgés. Ce ne sera pas un film sur la jeunesse comme l’a été Trainspotting.
EM : Ça va être incroyable. Le script est brillant. En même temps, aucun de nous n’aurait voulu faire partie de ce second volet s’il n’était pas à la hauteur du premier. C’est toujours le risque avec les suites.
KM : J’ai lu le script et pour être honnête, je ne sais pas trop quoi en dire. Ce serait super de travailler avec les mêmes personnes, surtout que tout le monde a changé. Trainspotting a été mon tout premier film, ça aurait pu être le dernier. Je suis vraiment reconnaissante parce qu’aujourd’hui je fais ce travail que j’adore et je ne me cache plus morte de trouille dans les toilettes.