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20000 lieues sous les mers : pourquoi “Ecco the Dolphin” me donne des cauchemars

Quand j’étais petit, les jeux vidéo constituaient mon passe-temps principal. Il y avait peu de choses que j’aimais autant que de me plonger dans un monde virtuel aussi dingue que ma propre imagination. Je n’étais pas particulièrement solitaire ; j’avais plein de copains avec qui je jouais à l’école et parfois dans la rue, mais pour l’essentiel, je passais mon temps libre avec mes consoles.

Pourtant, je passais aussi et surtout mon temps à résister à ma famille, qui ne cessait de m’inciter à aller jouer dehors, comme si notre maison avait été au beau milieu de Disneyland. Sonic, lui, ne m’emmerdait pas. Le seul moment où il me jugeait, c’est quand il tapait du pied avec impatience quand j’arrêtais de jouer quelques instants pour aller chercher du jus d’orange. Mario ne me disait jamais rien d’autre que “wa-hou !” quand je lançais une autre aventure, jamais “hey, il fait beau dehors, lâche un peu ton écran.” Au moins, ils me comprenaient, eux.

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Puis un jour, ma mère m’a – sans doute à contrecoeur – offert un jeu pour mon anniversaire ; il lui avait été recommandé par le fils d’une amie à elle. Évidemment, j’ignorais que le fils en question avait les cheveux longs, qu’il passait son temps à fumer des joints, et qu’il était fan de death metal. Je précise que je n’ai rien contre les gens qui font ça – c’est juste qu’ils ne sont peut-être pas les meilleurs conseillers en matière de jeux pour enfants. Vu que je m’intéressais aux océans et que j’ambitionnais vaguement de devenir biologiste marin (ce qui n’est jamais arrivé, sinon je ne serais pas là à écrire cet article), elle a suivi ses conseils et m’a acheté un exemplaire d’Ecco the Dolphin pour Mega Drive. À ce moment-là je ne le savais pas encore, mais il allait s’agir de l’un des jeux les plus marquants de ma vie.

T’es un petit dauphin, m’expliqua-t-elle en me tendant la boîte, dont j’examinai la couverture. Tu nages dans la mer, avec les poissons. Ça sera un peu comme à l’aquarium.”

Le calme avant la tempête.

Tout excité, j’ai glissé la cartouche dans la console. À l’époque, les jeux n’avaient pas de temps de chargement, et j’ai donc attaqué le premier niveau dès que ma mère a quitté ma chambre. J’ai vite maîtrisé les commandes, et j’ai rapidement pu me promener allègrement dans Home Bay, discutant avec mes potes dauphins par sonar et multipliant les bonds hors de l’eau comme si demain n’existait pas. Mais un saut un peu trop enthousiaste, et c’était le désastre. Si l’on dépassait une certaine altitude, un violent ouragan aspirait soudain toute la vie marine vers le ciel dans un vacarme assourdissant. Je regardai alors, hébété, mon pauvre dauphin seul dans l’océan, alors qu’une petite musique triste accompagnait ses mouvements. C’était un signe de ce qui m’attendait.

Récemment, il m’est arrivé deux choses qui m’ont poussé à vous raconter mes malheurs sur ce jeu. Le jour où j’ai fini par retrouver par hasard la cartouche en vidant mon grenier, le créateur d’Ecco, Ed Annunziata, m’a suivi sur Twitter. En attendant qu’il me présente ses excuses en 140 caractères, je voudrais vous faire part de certains aspects du jeu qui m’ont proprement terrifié, une fois passée l’introduction.

Comme j’ai vu que le jeu avait aussi été ajouté sur l’eShop Nintendo (en 3D en plus, comme si j’avais envie d’être encore plus près de ce qui se passe), je peux peut-être dissuader – au moins préparer mentalement – toute une génération de joueurs qui n’ont pas connu Ecco à l’époque. Normalement, je me trouverais un peu taré de parler ainsi d’un jeu 16bit mais, si j’en juge par les commentaires sur YouTube et sur un récent post Facebook que j’ai commis sur le sujet, il semblerait que je ne sois pas seul. Ecco non plus n’était pas seul…

Ok, je réalise que j’ai été très évasif jusqu’ici, alors plongeons dans le vif du sujet, si vous me passez l’expression. Lors des premiers niveaux, vous êtes confronté à un énorme poulpe dont vous devez éviter soigneusement les tentacules pour ne pas vous faire piquer, ainsi que quelques requins faciles à esquiver. Ça, ça va. C’est le reste qui me terrifie encore aujourd’hui.

Le premier grand moment d’angoisse survient à environ un quart du jeu, lors du niveau intitulé “Open Ocean”. Le niveau commence sur les chapeaux de roues, Ecco étant largué depuis le ciel (hein, quoi ?) dans le Pacifique (même si ce n’est pas vraiment précisé) sur fond de musique stridente et assourdissante. C’est la partie la plus linéaire du jeu, dépourvue de tout mur ou fond, mais vous y croisez un nombre incalculable de requins, qui n’ont tous qu’une idée en tête : dévorer notre pote dauphin. Si vous survivez à ce passage, vous vous retrouvez face à Big Blue, une immense baleine – et sans doute, au passage, l’une des plus belles choses à jamais être apparue sur un écran de console dans les années 90. Dieu merci, elle n’est pas belliqueuse, mais la façon dont elle émergeait soudainement des profondeurs de l’océan en émettant un bruit sourd me terrorisait systématiquement quand j’étais petit, au point de quitter ma chambre en courant.

Après ça, il y a l’Asterite. Il ne fait pas particulièrement peur, mais il donne clairement un côté très étrange au jeu. Il ressemble un peu à un brin d’ADN constitué d’orbes, et il est censé être une forme de vie inconnue dotée d’une intelligence supérieure qui guide Ecco dans sa quête. Il nous envoie à travers les ruines de l’Atlantide, où le jeu abandonne tout effort de réalisme. Ecco y apprend que des aliens viennent se nourrir des ressources de la Terre tous les 500 ans et découvre une machine à remonter le temps construite par les hommes, qu’il utilise pour s’enfuir plusieurs millions d’années dans le passé. Cool, des dinosaures.

Bizarrement, c’est le passage le moins dangereux du niveau.

Et là, voici ce qui se passe généralement : une fois largué dans l’océan par un ptérodactyle, vous nagez lentement vers les profondeurs tandis que le jeu vous mène à travers de sombres cavernes. Soudain, un trilobite qui, pour une raison inconnue, nage plus vite qu’un dauphin vous attaque et vous poursuit inlassablement, Ecco se fendant alors de cris perçants comme s’il était électrocuté à chaque contact. Vous décidez donc d’abandonner votre exploration minutieuse des lieux en nageant le plus vite possible, ce qui vous guide tout droit dans les terribles mâchoires d’un dunkleosteus, une sorte de poisson monstrueux doté d’une armure – fort heureusement disparu. Le tout pendant que vous vous noyez, en fait.

De retour dans le présent, Ecco plonge ensuite dans le tube intergalactique qui occupait précédemment la moitié de l’océan et se retrouve dans une sorte de station spatiale industrielle. À ce stade, tout devient complètement taré. L’avant-dernier niveau est une sorte d’enfer biomécanique dans lequel la moindre erreur coûte la vie à Ecco, qui se retrouve transformé en boîte de thon et doit tout recommencer depuis le début. Ajoutez à cela le fait qu’il y a des sortes de mini-Cthulhu qui vous tombent dessus d’un peu partout, et vous avez affaire à l’un des niveaux les plus affreux de l’histoire des jeux vidéo – un choix délibéré de la part des créateurs du jeu, qui souhaitaient ainsi encourager l’achat plutôt que la location. Le boss de fin, Vortex Queen, est totalement cauchemardesque : une sorte de tête d’alien immense façon H. R. Giger, sur fond noir. Si vous vous laissez happer par sa bouche munie de lames de rasoir, vous vous retrouvez à nouveau au niveau précédent ; si la peur ne vous tue pas, la colère et la frustration s’en chargeront.

VA. TE. FAIRE. FOUTRE.

Il est difficile de dire exactement ce qui fait d’Ecco une expérience aussi perturbante. C’est autant le fait que toutes ces choses existent que le fait qu’elles puissent arriver à n’importe quel moment. La musique joue aussi un rôle évident : les lignes de basse lancinante qui battent comme un pouls tandis que vous cherchez désespérément une poche d’air ; les gémissements permanents lors des niveaux préhistoriques ; les mélodies enjouées qui accompagnent parfois votre lutte pour la vie. Ces ambiances à la Pink Floyd créent en permanence une aura de mystère. Bizarrement, alors que les niveaux sont très peuplés, on se sent très souvent seul. Le monde sous-marin nous est globalement inconnu, mais là, il prend des airs de dystopie désertique, le jeu laissant occasionnellement entendre que les humains ont disparu de la planète tandis que le réalisme initial laisse place à un sentiment d’abandon.

Les requins deviennent plus sexy au bout d’un moment.

J’ai massacré un paquet de monstres dans ma vie – j’ai fini ZombiU sans sourciller, je suis capable de jouer à Resident Evil 4 dans le noir, et jouer à Five Nights At Freddy’s ne m’a jamais donné de cauchemars. Alors pourquoi Ecco me terrifie-t-il bien plus que n’importe quel jeu d’horreur ? Je pense que c’est une histoire de contexte. Quand vous jouez à un jeu de survival horror, vous savez pertinemment que vous allez avoir la boule au ventre et vous vous préparez à sursauter. Tout y est fait pour que vous souilliez votre caleçon. Alors qu’en lançant un jeu supposément réaliste dont le héros est un dauphin, vous vous attendez plutôt à une ambiance détendue et mignonne, et à jouer avec d’autres créatures marines – en redoutant tout au plus de croiser un ou deux requins.

Rétrospectivement, on ne peut que saluer la performance des développeurs. Avoir réussi à glisser autant d’éléments et à créer une telle ambiance dans un jeu sur cartouche de 1992 est bien plus impressionnant que n’importe quel film d’horreur actuel. Le sentiment de malaise qui hante le jeu est assez pernicieux, et a sans doute dissuadé bon nombre d’enfants d’apprendre à nager dans les années 90.

C’est sans doute une sorte de syndrome de Stockholm, mais je ne peux pas m’empêcher, malgré tout, de reconnaître qu’Ecco est un chef d’oeuvre. Chacun de ses pixels est chargé d’ambiance, et le rythme ne retombe jamais. C’est un jeu totalement immersif et, d’une certaine manière, incomparable à tous les autres jeux auxquels j’ai pu jouer. Même si certains souvenirs sont assez désagréables (au point que j’ai encore une légère montée d’adrénaline à chaque fois que je vois apparaître le logo SEGA), c’est un jeu très spécial – dans le bon sens du terme.

Ou alors, tout cela était une ruse de ma mère pour me pousser à sortir de chez moi.