Arrêtez de chouiner : si 2016 était à chier, c'est surtout parce que vous le vouliez
Photo de couverture de Liz, via Flickr

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Arrêtez de chouiner : si 2016 était à chier, c'est surtout parce que vous le vouliez

Donald Trump ? Ouin-Ouin. Les attentats ? Ouin-Ouin. Vous avez 30 ans ? Ouin-Ouiiiiiin.

Un monstre vous poursuit. Il est presque invisible. Il est vaste, il vous entoure et parvient à se fondre dans le monde des objets ordinaires. Il a fait beaucoup de victimes – des gens que vous aimiez, qui plus est. On ne peut pas savoir qui sera le prochain. Vous en avez entendu parler à la télévision, vous vous en êtes plaint à vos amis. Vous avez dénoncé son atrocité tout en menant à bien vos tâches quotidiennes – comme si la créature se tenait à distance. Son nom a envahi les couvertures des journaux.Vous n'avez pas arrêté de vous plaindre de cette chose au contenu incertain. 2016 a été l'année de tous les dangers – à vous entendre.

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2016 a emmené Prince, Fidel Castro, David Bowie, Leonard Cohen, Gotlib et Michel Rocard. Jacques Chirac, pas encore. Lui, ce sera pour l'année prochaine, ou celle d'après. Vous ne manquerez pas de pleurer sa bonhomie, son provincialisme de bon aloi, et oublierez le bruit, les odeurs et la bombe nucléaire. Vous en viendrez logiquement à maudire 2017, 2018, puis 2019. Entre-temps, des milliers de Syriens/Yéménites/Irakiens/Congolais trouveront la mort, pour des raisons plus ou moins obscures, autant liées à la religion qu'à des jeux de pouvoir inavouables. La seule explication qui vous permettra de relier ces drames entre eux, de redonner du sens à tout ce merdier, est toute trouvée : l'année prétendument maudite au cours de laquelle ils se seront déroulés.

2016 nous a apporté le Brexit, dites-vous. 2016 nous a apporté Donald Trump, dites-vous. Et François Fillon. Et le bruit des bottes. Et le fascisme qui vient. À vos yeux, vous n'êtes en rien responsable. Vous, vous ne demandez qu'un peu plus de considération, de probité de la part de ceux qui nous gouvernent. Après tout, est-ce de votre faute si 2016 a plongé en piqué au-dessus de nos têtes pour chier un type morbide à la mine orange du nom de Donald Trump ? Non, c'est forcément la faute des autres. Et, a fortiori, du monde qui nous entoure, celui de 2016.

2016 a été la pire année qui soit, dites-vous. Des dévots ont tué des innocents. Un conducteur de camion dont l'inclination amoureuse le conduisait plus souvent dans des backrooms sordides que dans des mosquées a tué des innocents. Des tas d'ordures ont tué des innocents. Des tas d'ordures ont tué d'autres tas d'ordures qui, eux-mêmes, pensaient être innocents. Innocents devant qui ? Dieu, leur mère et leur conscience, sans doute. Pourquoi ne pourrait-on pas tout effacer et reprendre l'année dès le début, dites-vous ?

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Sans doute parce que, désormais, vous êtes adulte. Vous n'êtes plus ce petit être dénué d'une éthique de responsabilité, que certains appelaient « gamin ». Au fond de vous, dissimulée sous plusieurs strates d'enfantillages et de dénégations, se niche votre conscience. Vous vous dites quotidiennement que « c'est trop tard, maintenant », qu'on ne peut vous tenir responsable de la marche vacillante du monde. Vous vous dites qu'en 2017, tout ira – peut-être – mieux, qu'aucun attentat ne surviendra, que vous apprendrez à créer des communautés locales, à vous isoler du reste du monde pour mener à bien vos projets. Tout ira bien en 2017, peut-être, dites-vous, pour faire taire votre conscience.

Quelques personnes ont bien essayé de relativiser cette « catastrophique » année 2016, ce « catastrophique » Brexit, cette « catastrophique » élection américaine. Rebecca Onion, journaliste chez Slate, faisait remarquer que les temps avaient déjà été difficiles en 1348 – lorsque la peste noire avait emporté un tiers de l'Europe – en 72 000 avant Jésus-Christ – quand une éruption volcanique avait réduit la population mondiale à 3 000 âmes – ou encore en 2003 – avec l'invasion de l'Irak et les conséquences que l'on connaît.

Malgré tout, je ne suis pas convaincu. N'y a-t-il pas quelque chose de profondément puéril à tenter de déterminer quelle a été la pire année, la pire catastrophe, le pire événement ? Sommes-nous vraiment plongés à ce point dans la civilisation de la gaminerie, qui réunit post-adolescents régressifs, vieux cons passéistes et quadra/quinqua indifférents ? N'y a-t-il aucune échappatoire au slacktivisme, aucune alternative à la barricade identitaire ? Sommes-nous, au fond, condamnés à nous plaindre jusqu'à ce que mort s'ensuive ?

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Je ne le crois pas. Je ne dis pas que 2016 a été une année particulièrement agréable pour l'humanité. Non. Le truc, c'est qu'elle n'a pas été pire que 2015. Et parlons de 2014 – avec ses crashs aériens, la propagation de l'État islamique au Moyen-Orient. une année tout aussi abominable. La situation était-elle plus rose en 2013 ? Vous connaissez la réponse

« Saturne dévorant un de ses fils » de Francisco de Goya

OK, je vous vois venir, vous les contempteurs des générations passées, vous qui ne manquez pas de souligner qu'il valait mieux naître en 1960 qu'en 1990 – une première dans l'histoire récente de l'humanité. D'un point de vue économique, c'est vrai. Mais faut-il vraiment se plaindre de ne pas avoir connu 1968 – et de ne pas avoir posé les bases de l'ultralibéralisme tout-puissant dont les conséquences se font chaque jour un peu plus sentir ?

Vous voyez où je veux en venir. Non, la « situation du monde » ne s'est pas dégradée en 2016. Elle ne s'est pas améliorée non plus, d'ailleurs. Comparer une parenthèse de 365 jours à une autre parenthèse de 365 jours devrait paraître absurde à tout un chacun. Sauf qu'il est toujours réconfortant de dire : « Putain, c'était vraiment une année de merde. » Sans doute parce que les autres le disent, sans trop savoir pourquoi.

De nombreuses célébrités sont mortes en 2016. Beaucoup plus que les années passées, dites-vous. C'est une réalité, un fait tangible, quantifiable. En êtes-vous sûr ?

On – et par « on » j'entends une masse hostile, difficilement identifiable, qui ne souhaite rien d'autre que votre productivité accrue – vous fait croire qu'en prenant quelques bonnes résolutions, les choses s'arrangeront en 2017. Tout ira mieux, vous verrez. Le fascisme ne passera pas, aux alentours de mai 2017. L'honneur sera sauf. Vous pourrez fêter cela sous un torrent d'effluves enivrants. Vous n'aurez plus qu'à faire la fête, de toute façon. « Puisque tout est fini, alors tout est permis », n'est-ce pas ? Surtout, ne jamais s'imposer de limites, dites-vous. Certains ne s'en posent jamais. Vous n'êtes pas si différent, après tout. Vous préférez simplement vous morfondre, pendant que d'autres se gargarisent.

Bonne année 2017, les hédonistes.

@sam_kriss