Société

On a discuté avec la Jeune Garde Strasbourg qui lutte contre l'extrême droite

« Nous nous donnons comme objectif de combattre les fascistes dans nos quartiers, dans nos facs, sur nos lieux de travail, d’informer et de mobiliser afin d’empêcher l’emprise fasciste sur notre société ».
antifas strasbourg
Photo publiée avec l'autorisation de JGS

Le 3 décembre, on découvrait que 107 tombes du cimetière juif de Westhoffen, bourgade située à une trentaine de kilomètres de Strasbourg, étaient recouvertes de croix gammées. Ce fait divers à caractère raciste et antisémite s’ajoute à une liste déjà bien garnie en Alsace. Les murs des mairies d’Heiligenberg (mars 2019), de Thal-Marmoutier (juillet 2018), de la maison du maire de Brumath (novembre 2018) et d’un centre de demande d’asile strasbourgeois (janvier 2019) ont eux aussi été recouverts de slogans fascistes. Au-delà de l’indignation qu’ils suscitent, ces actes font craindre une résurgence de l’extrême droite dans la région. Si le Rassemblement national n’a jamais réussi à s’implanter à Strasbourg, ce n’est pas le cas dans plusieurs zones rurales et ouvrières d’Alsace où le parti d’extrême droite enregistre de bons scores. Lors du premier tour de la présidentielle de 2017, Marine Le Pen est d’ailleurs arrivée en tête des suffrages dans plusieurs communes alsaciennes.

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Pour contenir la montée de l’extrême droite et la diffusion de ses idées, de jeunes strasbourgeois ont fondé la Jeune garde Strasbourg. VICE a pu s’entretenir avec eux pour en savoir plus sur le combat qu’ils mènent.

VICE : Quand avez-vous créé la jeune garde Strasbourg ?
JGS : La Jeune garde Strasbourg s’est créée en septembre 2019 après quelques mois de réflexions et d’analyse de la situation strasbourgeoise. Nous avions la volonté d’impulser une nouvelle dynamique à la lutte antifasciste strasbourgeoise, en espérant pouvoir diversifier et amplifier cette lutte à toute l’Alsace. Depuis la fermeture de l’Arcadia, bar de l’ex Bastion social, la lutte antifasciste s’était effacée du paysage politique strasbourgeois, alors que les fascistes n’ont pas cessé leurs activités.

Etes-vous affilié à la Brigade antifasciste Strasbourg (BAF) et avez-vous noué des liens avec d'autres groupes antifas de France ?
La Jeune garde Strasbourg s’est créée après plusieurs rencontres et discussions avec la BAF et la Jeune garde Lyon. La BAF s’est alors fondue au sein de la Jeune garde Strasbourg. Nous sommes très liés avec la Jeune garde Lyon puisque nous nous sommes inspirés de leur travail pour impulser cette nouvelle organisation dans notre ville. Nous partageons avec eux notre nom, notre logo, les affiches et autres autocollants ainsi que les analyses. Nous sommes en contacts réguliers pour échanger et savoir quelle est la situation dans nos villes respectives. Ils nous font une confiance totale pour faire un travail adapté au contexte local et sont d’accord avec nous quant à la nécessité d’une organisation comme la nôtre à Strasbourg.

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« L’information est nécessaire afin de convaincre des personnes souvent réticentes devant l’image donnée par certaines pratiques dans la lutte antifasciste »

Selon vous, l’idéologie fasciste est-elle plus présente à Strasbourg qu’ailleurs ?
On ne pense pas que l’idéologie fasciste soit particulièrement présente à Strasbourg. Nos camarades lyonnais, par exemple, font face à une menace fasciste plus importante. Mais nous observons depuis des années une normalisation progressive dans notre société des mots d’ordre caractéristiques de l’extrême droite, notamment sur les migrants et les étrangers. Nous essayons de faire au mieux pour sensibiliser nos voisins, nos collègues, nos camarades de classes sur l’extrême droite et son vrai visage. C’est essentiel de faire ce travail politique au quotidien.

Quelles sont concrètement les menaces à Strasbourg ?
Déjà, comme dans toute la France, le Rassemblement national (RN) représente une menace. Même si Strasbourg subit peu le vote RN, il se développe dans certains quartiers populaires. Dans nos campagnes, ce parti fait des scores très importants, parfois au-delà des 50 %. C’est un réel danger, autant dans notre région que dans toute la France. A Strasbourg, plus particulièrement, l’Action française s’est renforcée depuis la rentrée et a intensifié sa présence à la fac. Cette organisation est très liée à la Cocarde étudiante, syndicat étudiant d’extrême droite nouvellement crée à Strasbourg. Vent d’Est, qui est le renouveau du Bastion social, représente aussi un danger par les thématiques sociales qu’ils abordent – consommer local, situation des agriculteurs, crise environnementale – en y mêlant leurs idées réactionnaires et profondément racistes. Il est essentiel de préciser que le fascisme ne sert qu’à la bourgeoisie au pouvoir pour garantir et maintenir ses intérêts contre ceux des travailleurs.

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Et qu’en est-il des idées d’extrême droite dans les tribunes du stade de La Meinau ?
Au Stade de la Meinau les hooligans néo-nazis de Strasbourg Offender représentent aussi une menace. Certains étaient très proches du Bastion social, ce sont des gens qui ont fait et continuent de faire preuve de violence gratuite aux abords du stade, ce qui est inacceptable, alors que le Racing Club de Strasbourg est un club très populaire dans notre région.

Il y a donc une spécificité strasbourgeoise ?
Non pas vraiment. Il peut y avoir une spécificité liée aux mouvements autonomistes dans lesquels certains groupes d’extrême-droite ont cherché à s’implanter comme le parti Alsace d’abord. A l’époque le groupe terroriste des Loups Noirs (Die Schwarzen Wölfe) avait des tendances ambiguës qui pouvaient pencher vers l’extrême-droite, mais ils n’existent plus aujourd’hui. Sur ces questions, nous combattons les propos des réactionnaires en nous réappropriant des symboles comme le Rot un Wiss, drapeau alsacien historique et populaire, pour montrer que la question alsacienne ne peut être détachée de la question antifasciste. Nous mettons en avant l’histoire de lutte et de résistance de notre région : la bourgeoisie a toujours exploité les travailleurs d’Alsace sous domination allemande comme française.

Comment occupez-vous le terrain ?
Nous avons été présents à des rassemblements ou des manifestations et nous avons remarqué un certain intérêt pour notre vision de la lutte antifasciste, notamment aux manifestations kurdes, contre les féminicides et contre la réforme des retraites. Souvent, les gens nous encouragent dans le combat que nous menons. Pour le moment nous n’avons pas fait énormément de tractages, c’est un des objectifs pour 2020 d’être plus présent notamment dans les quartiers abandonnés par les luttes politiques. Nous voulons faire plus de sensibilisation et se faire connaître dans la ville et aux alentours.

Quels sont vos objectifs pour l'année à venir ?
Il nous apparaît essentiel d’entreprendre un travail analytique et argumentatif à destination de tous. L’information est nécessaire afin de convaincre des personnes souvent réticentes devant l’image donnée par certaines pratiques dans la lutte antifasciste. Nous nous donnons comme objectif de combattre les fascistes dans nos quartiers, dans nos facs, sur nos lieux de travail, d’informer et de mobiliser afin d’empêcher l’emprise fasciste sur notre société. La plupart des gens leur sont hostiles, mais ne connaissent pas les différents groupuscules et leur influence sur des partis comme RN. C’est pourquoi la sensibilisation est essentielle : nous devons toujours rester en contact avec la population et nous faire connaître grâce aux tractages, collages et autres moyens de communication. Il est important d’être présent dans la rue et ne pas se cantonner au milieu militant traditionnel.

Comment les Strasbourgeois perçoivent-ils votre combat ?
Nous remarquons que beaucoup de personnes ont réagi positivement à la création de notre organisation. C’est notre rôle de faire le travail d’information nécessaire pour faire émerger une véritable prise de conscience à Strasbourg et en Alsace sur la menace fasciste. C’est donc de notre responsabilité de faire de Strasbourg une ville sensible à la menace fasciste en organisant la riposte antifasciste.

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