Julie
Illustration de Samy Auzet.
Santé

« Je me prenais pour Jésus » : quand le confinement rend (vraiment) fou

Lors du premier confinement, Julie a été internée de force en hôpital psychiatrique après avoir essayé d’étrangler sa mère. Comme pour beaucoup d'autres, le nouveau confinement fait ressurgir la peur.

« Je me rappelle à peine quand les pompiers sont venus m’emmener de force aux urgences. Je crois que c’était le matin, car j’avais passé la nuit à envoyer des mails à tout mon répertoire en leur disant que je les aime. Exactement comme si j’allais mourir. » Quand les secours pénètrent dans le grand appartement familial de Julie, ils y découvrent une jeune femme méconnaissable. Possédée, les cheveux ébouriffés, à moitié coupés aux ciseaux de cuisine ; Julie fait peine à voir. Malgré son poids plume, elle essaye désespérément de les empêcher de rentrer en bloquant la porte. Elle pousse des hurlements : « Ne les laissez pas m’emmener, ne les laissez pas rentrer ». Quelques instants plus tôt, Julie et sa mère étaient en train de se battre « Elle m’a foutu à poil et m’a balancé sous une douche froide pour me calmer. On m’a raconté des semaines plus tard que j’avais essayé de l’étrangler. Je sais plus pourquoi j’ai fait ça. »

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Il y a quelques mois, la vie souriait à Julie*. Cette designeuse, forte en gueule et haute en couleur, n’avait jamais vu de psy ni gobé le moindre médoc psychotrope de sa vie. Et puis le premier confinement est arrivé. Nous sommes au weekend de Pâques. La France est sous cloche, depuis trois semaines pour cause de COVID-19. À part l’ennui, jusqu’ici tout allait bien. Mais angoissée depuis quelques jours, Julie ne ferme plus l’œil de na nuit. Quatre nuits blanches, passées à scruter les nouvelles du monde sur l’écran de son téléphone auront suffi à la faire basculer. Sa bonhommie habituelle se transforme en folie délirante.

« À ce moment-là je pensais que les Chinois avaient envahi la France et qu’ils voulaient nous réduire en esclavage »

Premier jour sans sommeil. D’abord, une sensibilité exacerbée. Le moindre évènement tragique la fait vriller émotionnellement. « À ce moment-là, ce que je disais avait encore un sens, j’étais juste extrême dans mes propos ». Au deuxième jour, son état s’aggrave. « À force de voir les collages féministes par la fenêtre, je pensais qu’il y avait une guerre entre les hommes et les femmes. Une vraie guerre ». Elle entre dans une spirale d’anxiété et de propos décousus. Elle hurle sur sa famille. Troisième jour. Le manque de sommeil commence à lui griller le cerveau, elle balance son téléphone aux chiottes. « J’étais entré dans un délire de persécution, je pensais que j’étais épié. Durant un Skype j’ai écrit ‘’ils nous écoutent » sur un calepin à mon copain, confiné à l’étranger. J’étais terrifiée ». Au quatrième jour sans dormir, Julie est cuite. En épiant la rue du haut de son balcon elle voit un homme asiatique kidnapper une femme noire : « à ce moment-là je pensais que les Chinois avaient envahi la France et qu’ils voulaient nous réduire en esclavage, évidemment il n’y avait personne dans la rue ». Julie cri à tue-tête « laissez là ! » vers un trottoir, désespérément vide.

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Si les médecins manquent encore de recul pour analyser les effets du confinement et de la crise sociale qu’il a engendrés, des signaux faibles indiquent que les conséquences sont réellement néfastes sur santé mentale des Français. Marie-Christine Beaucousin, cheffe de pôle dans le 93 a constaté un afflux de patients d’un genre nouveau durant le confinement. « On a eu la surprise, de voir apparaitre tout d'un coup beaucoup de premiers épisodes, chez de jeunes patients, plus de femmes que d’habitude, qui arrivent dans un contexte d'urgence », explique le médecin. Des patients plus jeunes, mais aussi des symptômes plus violents : « un de nos patients pensait qu’il était le COVID. Un autre, chauffeur de bus en temps normal, était dans un délire de persécution, il était terrifié par nous, il a bloqué la porte de sa chambre avec son lit. On a dû appeler la BAC pour le déloger ».

Dans le milieu psychiatrique, ce genre d’épisode de bouffées délirantes aigües est surnommé « un coup de tonnerre dans un ciel bleu ». En se penchant sur un petit échantillon de patients le Dr Beaucousin s’est rendu compte que le nombre de patients sans antécédents était passé de 17 à 27% dans son service. « On est en train de faire analyser nos données par l’unité de recherche de l’hôpital pour comprendre précisément ce qu’il s’est passé durant cette première vague », précise-t-elle.

Un jour elle découvre sur un papier qu’elle a été internée de force et demande à quitter l’HP

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Julie, elle, a passé 12 jours internée à l’hôpital psychiatrique. À son arrivée, elle n’est plus qu’hallucinations et hurlements. Sa tête se balance d’avant en arrière, elle marmonne des sons chamaniques. On l’isole dans une pièce sécurisée. Six infirmiers unissent leur force pour l’obliger à prendre des médicaments. « Une infirmière qui s’appelait Marie, m’a tendu la main. Plus que les doses de cheval de médicament, c’est ça qui m’a calmé. J’ai saisi sa main douce en disant ‘’prends la main de Jésus’’. J’étais en train de me prendre pour le messie. Je pensais avoir le pouvoir de soigner les gens du coronavirus ». Après une vraie-fausse tentative de suicide, elle commence à sortir du brouillard. Ses hématomes, stigmates des luttes avec les médecins disparaissent. Elle prend conscience de sa situation, rencontre les autres jeunes internés, certains sont excités, d’autres font les 100 pas autour d’elle. « J’avais constamment des appels de proches, je faisais des sudokus et passais des heures avec des psys ». Un jour elle découvre sur un papier qu’elle a été internée de force et demande à quitter l’HP.

Mais ce n’est pas la fin des angoisses. Toujours confinée avec sa famille, elle recommence à ne plus dormir. La designer retourne en urgence chez un psy, on lui augmente ses doses d’anxiolytiques et d’antipsychotiques. Puis, comme le reste de la France, elle se déconfine le 11 mai, retourne chez elle, dans son cocon, retrouve son mec et commence à aller mieux. « C’est en retrouvant ma vie d’avant, une routine rassurante, que j’ai commencé à sortir la tête de l’eau ». Mais aller mieux après un épisode de bouffée délirante nécessite une vraie ‘’réeducation’’. « J’ai passé des heures avec énormément de psys, et j’en ai bouffé des pilules ! C’est comme si j’avais eu un accident de voiture, les médecins m’ont dit que j’en avais pour un an de traitement, les médicaments ce sont mes béquilles, petit à petit j’essaye de m’en passer. »

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C’est à cette période que beaucoup d’autres Français atteints de troubles psys commencent à se manifester. Le Dr Marie-Liesse De Lanversin, cheffe de pôle pour le secteur Paris 11e, chapeaute une trentaine de soignants en psychologie et psychiatrie. Ses constatations sont sans appel : « nous avons été débordés de patients au déconfinement, et ça continue jusqu’à maintenant ». Comme après le 13 novembre ou lors de mouvements sociaux violents, l’angoisse monte dans la population et donc la demande de soin. Mais selon le médecin la situation actuelle est plus complexe : « Cette fois c’est différent, car la vie des gens est chamboulée, la crise va continuer, le confinement revient. En temps normal les gens gèrent leurs angoisses en allant boire des coups, en voyant du monde, mais là ils ne peuvent plus le faire. ».

Malgré le nouveau confinement débuté il y a quelques jours, Julie se sent sortie d’affaire. « Celle que j’étais avant est de retour. I’M BACK ! Je me marre, je vois des potes. Je n’ai pas peur d’avoir un nouvel épisode, car je me connais mieux, je sais ce qui déclenche mes angoisses. Cette fois j’ai décidé de fuir Paris, je pars dans la Creuse avec plein de copains, je vais coudre, faire du sport, tout ira bien ».

Durant le premier confinement, Damien. L, ancien psychologue au CHU de Bordeaux a proposé ses services en visioconférence en postant un message sur Instagram. Grâce à cela, il a suivi sur Skype une dizaine de personnes ayant des troubles du sommeil ou de l’alimentation. Des troubles déclenchés par l’enfermement. « Si j’avais un conseil à donner pour ce nouveau confinement, c’est de ne pas céder aux injonctions médiatiques de rentabilisation de ce temps, si vous n’avez pas la force de faire quoi que ce soit c’est OK. Pour les autres, privilégiez les loisirs créatifs, ils sont libérateurs de pulsions, limitez l’exposition aux news, parlez à vos proches…et ne prenez pas trop de drogues, surtout si ce n’est plus dans un cadre récréatif ».

*Le prénom a été modifiée pour préserver son anonymat.

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