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Grandir en France

Grandir en France avec des parents divorcés

Ce que l'on apprend de soi et du monde quand, un jour, vos géniteurs décident de se haïr.
Paul Douard
Paris, FR

Une fois, j'étais en train de prendre mon petit-déjeuner dans la dernière maison où mes parents ont vécu à deux. Je devais avoir dans les 6 ans. Alors que je me contentais d'engloutir des céréales avec des tartines beurrées, ma mère a, il me semble, tenté de gifler mon père. Il avait dû faire quelque chose de pas sympa. S'en est suivie une engueulade. Sur le moment, je n'ai pas du tout réagi. C'est comme si mon cerveau m'avait automatiquement préservé de cette scène. J'ai continué de manger et ma mère m'a emmené à l'école – comme si de rien n'était.

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C'est le seul souvenir que j'ai de mes parents ensemble. Le peu d'autres images que j'ai en tête aujourd'hui provient de vieilles vidéos de famille. Des VHS de mariages ou de Noël des années 1990 où, lorsqu'on les regarde sans contexte, tout semble parfait. Immuable. J'avais 6 ans lorsqu'ils ont fait le choix de se séparer. La dernière fois que je les ai vus tous les deux dans la même pièce, c'était quand j'étais allongé sur un lit d'hôpital.

Aujourd'hui, 1 mariage sur 2 termine devant les tribunaux. De mon côté, et comme dans 85% des séparations recensées en France, je suis resté vivre avec ma mère – avec mes deux frères. Au départ, je passais la plupart de la semaine chez elle et un week-end sur deux avec mon père. À ce moment-là, mon jeune âge ne me laissait pas encore entrevoir à quel point la situation était merdique. Je voyais encore les week-ends chez mon père comme des moments analogues à des vacances. Je préparais mon sac à dos, j'avais une nouvelle chambre et le droit de regarder X-Files le soir. Le moment où les choses sont devenues moins amusantes, c'est quand j'ai dû expliquer à mes potes de l'école primaire pourquoi mon papa n'habitait plus avec ma maman.

Je n'y arrivais pas. C'était littéralement indicible. Sûrement parce que moi-même, je ne comprenais pas bien le truc. À 6 ans, je ne connaissais pas encore les dessous de leur rupture.

À cette époque, j'invitais souvent des camarades de classe à la maison. Cette chose, anodine si l'en est, pouvait muter en une véritable angoisse pour mon moi âgé de 8 ans pour la seule et unique raison que je percevais ma situation familiale comme anormale. Je n'avais pas honte de ma famille, mais je flippais du jugement de mes potes. Comme je ne voulais pas me retrouver tout seul à la récré comme un paria, je préférais que tout ça reste aussi secret que possible. À cet âge, et c'est le propre de l'enfance, on n'a pas le courage d'assumer quoi que ce soit. Encore plus quand on n'y est pour rien. On veut juste un truc : ne pas être seul.

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Mes professeurs étaient quant à eux au courant et en faisaient évidemment un peu trop. Il y avait toujours un semblant de pitié dans leur regard, comme si une mauvaise note risquait de me faire sombrer dans l'alcool, la délinquance et le sadomasochisme. J'avais toujours le droit à des phases genre : « Paul, si tu as besoin de parler, l'école est . » De mon côté, je voulais simplement qu'on me laisse tranquille.

Ce n'est qu'après que j'ai compris que nous, les enfants de familles divorcés, sommes ce que les grandes personnes appelaient des « personnes à risques ». Une étude plutôt sérieuse menée par le centre de recherche RTFlash a montré que les enfants issus de familles monoparentales avaient deux fois plus de risques de développer des troubles psychiatriques ou des conduites addictives à l'âge adulte. Par chance, je ne suis jamais tombé dans l'un ou dans l'autre. J'avais, disons, des passe-temps : mon club de foot et le jeu vidéo Half Life. Et puis qu'est-ce que je pouvais bien faire du haut de mes 8 ans ? À cet âge, on subit. Ce n'est que 20 ans plus tard qu'on y repense.

À 11 ans, alors que j'habitais toujours chez ma mère, j'ai décidé avec l'un de mes frères que dorénavant, nous voulions vivre chez notre père. Sur le moment, cette décision me paraissait logique. J'étais chez ma mère depuis six ans, je voulais donc passer les six prochaines années chez mon père, avant de partir définitivement du cocon familial. Ce n'est que plus tard qu'on se rend compte de la brutalité d'une telle décision pour une mère. De fait, il s'agissait indubitablement d'une péroraison totalement égoïste.

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Photo via Flickr.

Je ne cherchais pas à prendre parti pour l'un de mes parents. C'était ma façon à moi de plaider pour une certaine forme de neutralité. Peu importe ce qu'ils avaient fait ou non, qui était fautif : j'avais besoin d'eux deux. Entre mes 6 ans et mon départ pour la fac à l'âge de 19 ans, j'ai déménagé huit ou neuf fois. Autant de chambres d'ados à décorer, de lieux à se réapproprier, autant d'explications embarrassantes à donner à ses potes. Par chance, je n'ai jamais changé de collège ni de lycée ; je ne l'ai jamais assez dit, j'ai eu une vie normale d'adolescent de province. Ça m'a surtout permis de garder ma bande de potes et de ne pas tout recommencer à zéro tous les ans. Aujourd'hui, j'ai besoin de changement tous les trois mois. Je change mes meubles de place. Je vends un vélo, puis je rachète un vélo. J'ai le sentiment d'avoir besoin de reproduire en permanence, durant ma vie d'adulte, ces années d'incertitude. Cette incertitude est devenue mon environnement naturel.

Selon une statistique assez déprimante, les personnes dont les parents se sont séparés avant leurs 18 ans ont une probabilité de « rompre très rapidement » leurs relations 72 % plus élevée que les autres. Pour le moment, je tiens bon. Mais je comprends très bien comment l'image du couple telle qu'on a l'envisager pendant des siècles et jusqu'à la moitié du XXe siècle influence notre perception de l'engagement.

Grandir avec des parents séparés, c'est surtout grandir plus vite que les autres. Quand on a des parents divorcés, la plupart des gens pensent qu'on ne connaît rien à l'amour. Le prétexte le plus fréquemment employé, c'est qu'on n'a « pas vu ses parents s'aimer très longtemps ». Pourtant, il me semble qu'on apprend bien plus sur l'amour en voyant ses parents se déchirer par amour plutôt qu'à les voir tendrement cuisiner ensemble. C'est comme commencer un film par la fin.

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J'ai eu pendant de longues années beaucoup de mal, voire une peur terrifiante de me faire tromper par ma copine.

Il est certain qu'à choisir, j'aurais préféré retarder mon éducation pour profiter un peu plus de mes parents ensemble. Néanmoins, je ne trouve pas plus saines ces familles parfaites où le divorce est prohibé afin de « préserver les enfants » ; c'est dans ces familles-là, bien sous tous rapports, que le mari se tape généralement la RH et l'épouse le commercial. Maintenir par le mensonge et la comédie une illusion de stabilité n'est pas vraiment la plus belle des leçons de vie qu'on puisse donner à ses enfants.

Dans mon cas, j'avais le sentiment de tout connaître avant même d'avoir commencé. J'ai eu une sorte de cours intensif sur l'amour et le couple. Même à 12 ans, on comprend comment l'infidélité peut tout foutre en l'air. J'ai eu pendant de longues années beaucoup de mal, voire une peur terrifiante de me faire tromper par ma copine. Par crainte de voir le schéma se répéter inexorablement. Et bien évidemment, ça m'est arrivé. Comme tout le monde. Là, je me suis transformé en une sorte de vieux chien battu, démoralisé, à qui l'on devait apprendre de nouveau à se laisser caresser. Simplement parce que j'avais déjà pu observer les dégâts d'une décision stupide basée sur un sentiment éphémère : l'amour.

Photo via Flickr.

Souffrir plus tôt que les autres, c'est ouvrir les yeux sur ce que sera la vie quand vous aurez du poil autour du sexe. Souffrir, c'est aussi avoir la chance d'être extralucide sur ce que nous sommes et sur ce qu'est notre vie. Surtout lorsque, comme moi, on en devient sans le vouloir un témoin privilégié. Se retrouver entre deux personnes qui cherchent le plus possible à emmerder l'autre, cela fait de vous une cible facile. On se retrouve à jouer les intermédiaires entre deux parties qui ne souhaitent de toute façon pas s'entendre.

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Mon but, plus jeune, était de mettre tout le monde d'accord. Parfois, il me fallait plus de cinq heures de négociations avec l'un, puis avec l'autre pour obtenir la même aide financière au sujet de ma facture EDF s'élevant à 42 euros. À certains moments, tout devient une occasion de faire du mal à l'autre. Moi, j'étais au milieu. Le seul moyen de régler les choses rapidement était de leur faire comprendre que toute cette merde pouvait éventuellement m'affecter. C'est là le plus beau. Dès qu'ils réalisaient que leur discorde me touchait, le simulacre de discorde stoppait aussi sec et ils semblaient revenir à l'essentiel : l'entente (à peu près) cordiale.

Au-delà de mon cas personnel, je fus également aux premières loges d'une France nouvelle. La France qui divorce. Tous les jours, 334 divorces sont prononcés environ dans le pays. Dans tout ce bordel, deux tiers de ces séparations impliquent des enfants mineurs dont l'âge moyen est de 9 ans seulement. Comme le disait Frédéric Beigbeder dans son roman L'Amour dure trois ans , les futurs mariés devraient se rendre au tribunal d'instance pour voir tous ces couples prêts à s'étriper seulement quelques années après « le plus beau jour de leur vie ».

Comme pour ceux qui ont connu le chômage ou le cancer, il est compliqué de faire comprendre le fait de grandir dans une famille monoparentale à quelqu'un dont les deux parents jardinent ensemble tous les dimanches après-midi. Ils vivent comme dans une bulle de bonheur, un peu niaise, cette même bulle dans laquelle je me trouvais peut-être avant mes 6 ans. On ne peut pas leur en vouloir. Il est évident que cet événement a bouleversé ma vie. Je ne serais sans doute pas le même si mes parents n'avaient pas fait ce choix il y a 20 ans. Pourtant, je n'en veux à personne. Qui suis-je pour juger ce qu'on fait mes parents ? Qui sait ce que je ferai quand j'aurai 40 balais.

J'ai eu deux parents qui m'ont aimé à leur façon, séparément peut-être, mais du début jusqu'à aujourd'hui. Pour le meilleur, je crois.

Paul est sur Twitter.