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La France se contrefout du droit des animaux

Exception faite des chiens et des chats.

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Le 15 avril dernier, les parlementaires français décidaient de reconnaître aux animaux la qualité « d'êtres vivants doués de sensibilité », alors qu'ils étaient encore considérés comme des « biens meubles » dans le code civil. 89% des Français interrogés se sont déclarés favorables à cette décision ; après tout, les animaux sont nos amis, pourquoi s'y opposerait-on ?

En réalité, les seuls animaux qui semblent potentiellement concernés par cette décision sont les animaux domestiques – pour ne pas dire les chiens et les chats. D'ailleurs, il est assez intéressant de jeter un œil aux illustrations choisies par les sites relayant l'information : des petits chats, des chiens adorables et des légendes éloquentes – de quoi freiner les ardeurs de bourreaux d’animaux tels que Farid de la Morlette ou Keanu Reeves.

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Malheureusement, la situation ne risque pas de changer pour les autres espèces – et notamment tout ce qui est laid, envahissant ou comestible. Vous voulez savoir si le bétail allemand se porte mieux depuis 1990, date à laquelle l'Allemagne a distingué les animaux et les choses ? Fin 2013, l'hebdomadaire Der Spiegel publiait une enquête sur l'industrie du porc, qui révélait entre autres que certains des cochons étaient gavés au point que leurs os devenaient trop fragiles pour supporter leur poids et finissaient par se briser.

Et même si comme moi, vous considérez que la charcuterie italienne est proche de la perfection culinaire, vous admettrez qu'il est surprenant de constater à quel point certains animaux semblent plus dignes de notre tendresse que d'autres. Afin de savoir pourquoi on tolère si bien la souffrance animale et pourquoi les chats finissent dans des vidéos virales et les vaches dans nos assiettes, j'ai contacté la philosophe Florence Burgat, spécialisée dans l'analyse des rapports que nous entretenons avec les bêtes.

Des êtres vivants doués de sensibilité.

VICE : En fonction de quoi peut-on décider qu'un animal est plus important qu'un autre ?
Florence Burgat : Bien souvent, ce n’est pas à partir de ce qu’est tel animal en lui-même que l’on établit une hiérarchie entre les espèces, mais en fonction de critères externes et variables, auxquels il faut ajouter les représentations façonnées par la culture. Si l'on dératise sans remord, par exemple, c'est parce que les rats ont été construits comme des objets répugnants. Ils sont montrés comme des vecteurs de maladie, alors qu'ils pourraient être construits tout autrement : ils s’attachent à l’homme et sont particulièrement intelligents. Mais on regarde et on hiérarchise les animaux depuis les usages auxquels ils sont habituellement soumis, sans se demander sur quoi ces usages sont fondés.

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Pourquoi la souffrance des chats et des chiens nous touche autant par rapport aux autres espèces ?
Le fait que certains chiens et chats partagent la vie des êtres humains et soient placés sous leur dépendance et leur responsabilité, contribue à une bonne connaissance de ce que sont ces animaux. Nous savons qu’ils ont chacun une façon d’être, un style de vie, une existence individuée, des émotions. Parfois, ces animaux existent pour eux-mêmes, dans leur pleine dignité de « sujet d’une vie », pour reprendre le concept forgé par Tom Regan [un des principaux penseurs de l'antispécisme, auteur des Droits des animaux (traduction E. Utria)].

Mais n'y a-t-il pas d'autres raisons qui font qu'on les préfère ? La capacité à les dominer plus facilement par exemple, ou des critères esthétiques : ils sont quand même super mignons.
Il y a effectivement un engouement pour les animaux familiers appartenant à telle ou telle race, dont les traits phénotypiques sont accentués par la sélection génétique, ou qui sont miniaturisés ; mais cela montre aussi que cette préférence esthétique est aux antipodes d’une véritable relation avec un animal puisqu'on les traite comme des objets. Quant aux animaux sauvages, ils sont soumis au même régime : chassés, piégés, dressés, enfermés. L’humanité se montre incapable d’accepter les animaux comme une altérité à part entière.

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Donc on serait systématiquement violents à l'égard de l'ensemble des animaux ?
La méditation de Freud sur la pulsion de mort nous invite à penser que l’un des destins de cette pulsion est de se tourner vers d’autres organismes. La pulsion de destruction se tourne vers autrui. La façon dont l’humanité traite les animaux illustre de la manière la plus extrême, la plus brutale et la plus systématique cette volonté d’anéantissement.

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La plus extrême, parce qu’elle n’épargne aucun animal. La plus brutale, parce que tous les coups sont permis contre les animaux : la lecture des seules réglementations concernant les modes d’abattage en convainc. Quant aux expériences scientifiques, il n’y a qu’à se reporter à la liste des finalités licites pour comprendre que tout est testé sur les animaux. La plus systématique enfin, parce que le législateur a rendu licites ces traitements et les a intégrés aux « productions économiques ». Les animaux sont très exactement assimilés à de la matière première transformable ; du coup, ils nous parviennent sous cette forme transformée dans laquelle nous ne voyons aucun individu, donc aucun crime.

Y a-t-il des différences en fonction des pays ? On a souvent une image stéréotypées des Chinois qui mangent du chien et des Indiens qui sacralisent la vache.
En Chine, il n’existe aucune réglementation protégeant les animaux. Tout est permis. Si les tueurs d’animaux sauvages sont durement punis, c’est en raison du dommage économique qu’ils causent. Les chiens, eux, sont parfois proposés vivants, tués pour la dégustation, ce qui constitue une sorte de point d’acmé. On aimerait penser que l’Inde représente à cet égard le contre-modèle de la Chine. Pourtant, la « vache sacrée » est bel et bien un mythe : en 2012, l’Inde est devenu le premier exportateur mondial de viande bovine – d'ailleurs, j'ai récemment travaillé sur la question.

Mais vous ne pensez pas que malgré tout, on est tous plus ou moins sensibles à la souffrance des animaux d'élevage ?
C'est vrai, mais lorsque cette souffrance se produit loin de nos yeux, on a tendance à l'oublier. Les sociétés industrielles et urbanisées ont su tirer tout le profit possible de ce fait : elles ont installé les abattoirs à la périphérie des villes ou dans des lieux confinés. Quand cette réalité, dont nous profitons tous les jours, nous est montrée, nous sommes horrifiés. Et pourtant, le fait de ne pas vouloir renoncer à la viande indique que ce que nous voulons, c’est cela — que les abattoirs continuent à tourner.

_Florence Burgat est philosophe, spécialisée dans l’étude de la condition animale. Elle est co-rédactrice en chef de la _Revue semestrielle de droit animalier