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L'horreur quotidienne des pilotes de drones américains

Confortablement installés dans une base du Dakota du Nord, ces types souffrent quand même de stress post-traumatique.

Cet article a été initialement posté sur Motherboard. Toutes les photos sont de l'auteur

Matthew, un pilote de 23 ans qui travaille dans la base militaire de Grand Forks, située dans le Dakota du Nord, se tient devant un avion qu'il a piloté des centaines de fois au-dessus de l'Afghanistan, de l'Irak et peut-être ailleurs. Sauf qu'il n'a jamais pris physiquement les commandes de cet avion et qu'il n'est même jamais monté à l'intérieur.

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Matthew, qui pilote un drone, a pris part aux conflits les plus violents de ces trois dernières années sans avoir eu besoin de quitter les États-Unis. Son drone, le Global Hawk, est un appareil de surveillance et de soutien. Il n'est pas armé mais survole les mêmes zones que les drones Predator, et s'aventure même au-delà.

« Il n'y a aucun conflit dans lequel un Global Hawk n'est pas impliqué », m'a assuré Paul Bauman, le supérieur de Matthew.

Cela veut dire que le travail ne manque pas pour Matthew et ses collègues pilotes. Cela signifie également qu'ils peuvent tout à fait survoler l'Irak pour repérer les bases de l'État Islamique le lundi, se détendre en jouant au basket le mardi, puis effectuer une mission de reconnaissance en Afghanistan le mercredi.

Dans la plupart des cas, Matthew prend les commandes d'un Global Hawk stationné à l'autre bout du monde. Parfois, il se sert des drones présents sur la base, qui sont capables de faire un aller-retour jusqu'au bout de l'Amérique du Sud sans avoir besoin de faire le plein.

Il y a quelques jours, l'US Air Force m'a autorisé à interviewer Bauman et d'autres militaires impliqués dans le programme de drones. Si mes questions n'ont pas été communiquées par avance, ma visite de la base était, elle, strictement encadrée.

J'ai omis volontairement de citer le nom de ces pilotes, qui font sans aucun doute partie des employés de bureau les plus bizarres au monde.

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« Ils quittent leur maison, conduisent pendant trois minutes et s'installent dans une petite pièce en métal qui les transporte à l'autre bout du monde, m'a expliqué Bauman. Ils effectuent leur mission, ils sortent de la pièce et ils sont de retour dans le Dakota du Nord. »

Pour résumer, Matthew et ses collègues ne découvrent la teneur de leur mission que quelques heures avant de prendre les commandes du drone. Ils sont bien évidemment briefés et Matthew m'a affirmé connaître tous les pays qu'il survole, mais il a tout de même ajouté qu'il lui arrivait de travailler avec une équipe un jour et avec une autre le lendemain.

« Tout le monde n'est pas capable de se dire : « je sors juste de table, mais je suis prêt », m'a déclaré Matthew. Si je ne fais pas bien mon travail, je peux mettre en danger des gens. Leur vie est en jeu. On le prend très sérieusement et on est extrêmement concentrés. »

Le taille impressionnante d'un Global Hawk incite les pilotes à le diriger avec soin. Bien plus large qu'un Predator, il possède une envergure de 35 mètres. Totalement noir et aux lignes pures, il peut parcourir la moitié du globe en un seul voyage.

La base militaire sur laquelle travaille Matthew n'envoie plus aucun militaire sur le terrain depuis 2010. Bauman m'a expliqué que Grand Forks avait misé entièrement sur les drones afin de rester à la pointe au sein de l'US Air Force.

À l'heure actuelle, c'est le seul endroit des États-Unis qui peut faire voler un Predator, un drone Reaper – la dernière version du Predator – et un Global Hawk.

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La base de Grand Forks est donc impliquée dans toutes les guerres auxquelles participent les États-Unis. Qu'est ce que cela signifie pour Matthew, Ryan et Brad, deux autres pilotes avec qui j'ai pu m'entretenir ? Selon eux, il est toujours étrange de ne pas savoir dans quelle guerre ils vont être impliqués quelques heures avant de piloter.

Si l'implication de milliers de soldats sur le terrain a entraîné une vague de désordres mentaux liés à un stress post-traumatique, l'Armée américaine fait face à un nouveau problème : comment gérer la santé mentale de militaires qui peuvent passer la journée avec leur famille et la nuit à faire la guerre ?

En fait, une étude publiée l'année dernière par le département de la Défense des États-Unis suggère que les pilotes de drones souffrent d'un stress post-traumatique comparable à celui qui touche les militaires présents en Irak ou en Afghanistan. D'autres études sont en cours pour en savoir plus.

« Si vous passez une mauvaise journée – pour n'importe quelle raison – la mission demeure classifiée », m'a raconté un ancien pilote d'un Predator. « Vous rentrez chez vous, vous dînez avec votre famille et votre femme et vous ne pouvez pas leur raconter votre journée.

Ryan m'a assuré se sentir « en retrait » des lignes de front parce qu'il n'avait pas à appuyer sur un bouton pour lancer un missile. L'ancien pilote du Predator m'a pour sa part déclaré que la plupart des pilotes de drones trouvent une consolation dans le fait de ne suivre que des ordres de mission et de ne pas prendre la décision d’engager le combat.

Mais des centaines d'autres pilotes le font, eux. Ils larguent des bombes et rentrent chez eux pour retrouver leur famille. Bauman m'a déclaré que les pilotes de drones reçoivent le même soutien psychologique que les autres soldats, sans prise en charge spécifique.

En échangeant avec Matthew, j'ai compris qu'il réalisait parfaitement ce que son travail pouvait avoir de sérieux.

« C'est très stressant. Vous pouvez effectuer toute une mission sans aucun problème puis, tout à coup, quelque chose tourne mal. Je suis responsable d'un appareil extrêmement cher qui doit permettre à pas mal de gens de rester en vie. Je ne vois pas en quoi on peut comparer ça à un jeu vidéo. »