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Culture Club

Notre génération ne sait plus quand s’arrêter de faire la fête

La fête, c'est bien quand on a 19 ans. Après, c'est toujours triste et ça transforme les gens en alcooliques dégénérés.

Travailler pour se payer un week-end de débauche n'a rien de nouveau. L'histoire de la « culture jeune » nous prouve que la jeunesse d'aujourd'hui est incapable de concilier son quotidien et sa vie sociale. L'énergie que l'on déploie un samedi soir rappelle les rituels tribaux. Elle n'est pourtant que notre seule source de réconfort. Faire carrière ou avoir des enfants ne constituent plus des exutoires pertinents. Pendant quelques brèves années, tout se résume à prendre de la drogue, à se retrouver dans des états pathétiques et à insulter ceux dont la tête ne nous revient pas. Et puis, un jour, nous devenons adultes, que nous le voulions ou non.

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Passez-vous les quatre premiers jours de votre semaine à zoner sur Facebook ou sur Twitter ? À la moindre douleur abdominale, vous pensez avoir un cancer des poumons ? Attendez-vous désespérément qu'il soit six heures et que vous puissiez fuir votre bureau afin de descendre des verres d'alcool de mauvaise qualité ? Vous ne vous sentez pas bien, vous avez l'impression d'étouffer ? Rassurez-vous, vous n'êtes pas les seuls à subir cette désillusion. Vos ancêtres, déjà, allaient tuer leur morosité autour d'un verre de vin rouge. La seule réelle nouveauté reste Facebook. Cette indulgence vis-à-vis de notre décadence influence nos mentalités depuis des décennies ; elle est inhérente au fonctionnement du néocapitalisme, symptôme d'une vanité sempiternelle et de la vacuité de la condition humaine.

Vous trouverez un écho à vos sentiments dans certains artefacts culturels qui ont marqué notre temps ; je pense à Saturday Night Fever, Quadrophenia et Bright Lights, Big City, entre autres. Vous et vos amis ressemblez à des âmes en peine, à la recherche de la vérité ultime via un hédonisme amoral. En réalité, vous brassez de l'air comme si vous étiez dans un clip d'Indochine. Bizarrement, être réduit à nous comporter comme des enfoirés nous donne une vague impression de sécurité. Vous n'avez plus besoin d'être la Christiane F. de votre école pour finir comme une épave. Aujourd'hui, même les nerds qui profitent de leur pause déjeuner pour dévorer des livres de fantasy sombrent dans cette torpeur festive. De nos jours, s'abstenir est bien plus transgressif que de se défoncer jusqu'à la mort.

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(Photo : Jake Lewis)

Le concept d'adolescence fête ses soixante ans. Il commence à dater. Ce sentiment d'urgence qui précède l'apéro du vendredi soir est devenu l'essence de nos nouvelles routines initiatiques, intrinsèques à la jeunesse. Serait-ce l'expression d'une puberté revendicative, qui s'achèverait dès qu'une gueule de bois ne dure plus des heures, mais des jours ? Je crois que nous ne savons plus comment aller de l'avant.

Les étudiants et les adolescents ne sont plus les seuls à nier la réalité ; ils ont été rejoints dans leur fuite éperdue par des adultes de vingt, voire trente ans. Alors qu'ils devraient être responsables de leur comportement, ils ne semblent pas savoir comment vivre autrement. Adultes, ils ne sont pas encore en pleine possession de leurs moyens ; leur volonté semble inexistante puisqu'ils sont incapables de cesser de consacrer leurs nuits à des ivresses maladives qui s'achèvent irrésistiblement devant des urinoirs glauques, à méditer sur les tourments qui les habitent. Pourtant, ils refusent de tout abandonner et d'accepter de grandir. Bref, ce sont des mecs comme moi.

Voilà ma génération ; une génération que l'on n'a pas incitée à mûrir. Nous n'avons pas d'enfants dont nous occuper, pas de créances à rembourser. Les services de santé publique nous maintiennent plus ou moins en vie. Nos boulots nous permettent tout juste de gratter assez d'argent pour nous nourrir, nous loger et rester propre. Seuls les engueulades de nos patrons et les coups de téléphone inquiets de nos familles essaient tant bien que mal de nous arracher à notre mode de vie insalubre. Une armée de glandeurs gâtés par le système, perdus dans le labyrinthe de l'immaturité – voilà ce que nous sommes.

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Un ami m'a récemment expliqué qu'il serait impossible de faire un film comme Big aujourd'hui, parce que les trentenaires de notre génération se comportent tous comme des adolescents attardés. Cela ne choquerait plus, ou ni même ne ferait rire, de voir un adulte se payer un flipper ou de porter un jean au bureau. Même avec un quarantenaire, ça ne marcherait pas.

(L'auteur de cet article et ses potes, toujours aussi cons)

Je n'ai pas encore trente ans, mais je n'en suis pas bien loin. Quand je me penche sur ma vie, je remarque qu'elle n'a pas beaucoup changé depuis mes 17 ans. L'été que je viens de passer est un bon exemple. Je me souviens avoir erré dans les rues de Londres avec mes potes, vidé des canettes de bières, entonné des chants de supporters, essayé de m'incruster à des fêtes, envoyé des textos à des meufs pour savoir ce qu'elles faisaient (mais elles ne m'ont jamais répondu), tapé des demi-grammes de coke, écouté Underworld et passé mes après-midis en jogging. En fin de compte, ma vie n'est qu'un mauvais remake de Goodbye Charlie Bright, et je ne sais pas comment m'en échapper.

Certes, cette attitude relève indéniablement d'un mécanisme cathartique. Autrement dit, je me suis bien marré. Mais, plus jeune, jamais je n'aurais imaginé que ma vie puisse évoluer ainsi. Adolescent, je pensais que je ressemblerais un jour à un personnage de Manhattan ; je pensais être destiné à devenir un homme riche et distingué. Comme Jep Gambardella de LaGrande Belleza, je ne souhaitais pas non plus être mondain, mais je voulais symboliser la mondanité. Passer mon temps à boire du Margaux et à me faire inviter aux rétrospectives de Bergman à la cinémathèque – des trucs comme ça. Je ne me voyais pas époux aimant, ni père ; mais je ne pensais pas non plus que je me ferais refouler d'un club sous prétexte de porter un short.

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Je sais ce que vous pensez ; alors, allez-y, dites-le, criez-le. Je ne suis qu'un pauvre mec en pleine « crise identitaire », qui « a peur de s'engager ». Je ne suis qu'un « gros con ». Mais si de telles réponses vous suffisaient, vous passeriez à côté d'une vérité très simple. Vous pouvez me dire que ce phénomène ne touche que la jeunesse des grandes villes et que tous ces Peter Pans qui s'agglutinent dans la mégalopole ne recherchent que le moyen de prolonger leur adolescence le plus longtemps possible. Mais même si vous avez le même âge que moi et que vous assumez vos responsabilités, vous ne pouvez nier l'existence de ce problème inhérent à tous les villages et toutes les villes du monde occidental. Selon moi, ce rejet global et exclusif de la maturité constitue un enjeu majeur, qui influencera probablement les futurs écrivains pour décrire notre génération. Ils raconteront comment nous avons brisé les schémas traditionnels : avoir des enfants, une maison et un boulot qui mérite qu'on trime en permanence. Ils décriront comment nous nous sommes enfermés dans une mentalité d'adolescent.

(Les parents de l'auteur, dans leur vingtaine)

Comme pour beaucoup de mes connaissances, à mon âge, mes parents m'avaient déjà eu depuis longtemps. Tout était différent à l'époque ; quand vous aviez 24 ans, vous deviez souvent nourrir votre famille. Vous deviez comprendre que votre jeunesse s'effaçait devant d'autres priorités, qui prenaient le plus souvent la forme d'un nourrisson bruyant. Votre vie égoïste reprenait cours lorsque vous étiez en mesure de vous payer un Vespa ou une Audi TT, que vous aviez un amant plus jeune que vous ou une maîtresse thaïlandaise et que vos papiers de divorce étaient prêts à être signés.

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Mais pour ma génération, arriver au tiers de son espérance de vie signifie que nous devons continuer sur la lancée de nos vingt ans, dans un périple sans fin où s'entrecroisent litres d'alcool, fête et incohérence. Nous n'avons aucune raison de prendre une autre route.

Il était plus facile pour nos parents de grandir. En un sens, il était même impossible de ne pas mûrir. La société vous y poussait, que vous le souhaitiez ou non. À cette époque, même les classes ouvrières, même les Londoniens, même les personnes qui n'étaient pas allées à l'université pouvaient trouver un job bien payé. Ils pouvaient ainsi acheter une maison, se marier et avoir des enfants, profitant ainsi de tous ces attraits, qui faisaient de la banlieue de Londres un des endroits les plus agréables à vivre au monde. Certes, eux-mêmes étaient plus vieux que leurs parents lorsqu'ils décidèrent d'abandonner leur jeunesse. Et eux aussi déjà, avaient dû bien plus s'amuser que leurs géniteurs. Non seulement, la pression sociale faisait en sorte que personne n'avait remis en question ce mode de vie traditionnel ; mais surtout, il était tellement accessible que beaucoup se sont retrouvés dans cette situation sans le vouloir, donnant naissance à toute une génération de nouveaux nés indésirés, dont beaucoup d'entre nous faisons partie.

(Photo : Nicholas Pomeroy)

Mais nous sommes très peu à reproduire ce même schéma, cette même erreur. Cette année, The Economist a publié un article intitulé La Fin du baby boom ?, notant que le taux de fécondité des ménages britanniques chutait inexorablement. Il s'agit de la première baisse depuis 2001, et la plus importante depuis les années 1970.

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Les reportages qui ont suivi cette étude soulevaient plusieurs hypothèses pour expliquer ce phénomène : la hausse du prix de l'immobilier et l'instabilité économique, qui, ces dernières années, se sont nourries l'une de l'autre. Le taux de chômage élevé, les marges bénéficiaires qui se réduisent et le mètre carré excessivement cher sont de simple faits pour expliquer cette situation. Une autre étude tout aussi réjouissante démontre que pour acheter une maison à Londres, vous devez gagner au moins 130 000 euros par an. Bien sûr, il ne s'agit que de Londres, mais un Anglais sur dix vit dans cette agglomération. Les salaires y sont aussi plus élevés que dans le reste du pays. Si des villes restent bien moins chères, les salaires stagnent toujours. Si vous gagnez aujourd'hui 40 000 livres par an (50 000 euros), vous faites partie des gens les plus riches de la population britannique. Bref, c'est la merde.

Il est vrai que de se baser exclusivement sur les enfants et la propriété entretient une idée très désuète de la maturité. Mais dans ce système économique construit sur la spéculation immobilière, l'accès à la propriété reste sans aucun doute votre meilleure chance d'utiliser à profit votre argent, plutôt que de le jeter dans le gouffre sans fond que représente votre loyer. Et puis, les enfants constituent un des rares catalyseurs qui vous convaincra une bonne fois pour toutes que la fête est finie.

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(Photo : Natalie Meziani)

Ces grands principes qui régissent la vie d'adulte ne conviennent sûrement pas à tout le monde. Mais notre génération n'arrive pas à vivre sans la fête. La désinvolture est notre raison d'être. Admettons-le, la problématique de ce phénomène ne se résume pas à quelques ivrognes, nostalgiques de leur adolescence.

Tout devrait nous convaincre que l'on nous a nié notre droit de vieillir ; nous en subissons aujourd'hui les conséquences. Elles sont visibles partout. Vous les découvrirez dans ces régiments de jeunes hommes et de jeunes femmes aux T-shirts conchiés de vomi et au cœur plein de rage que l'on jette à la porte des clubs. Vous les voyez dans les dents cassées que l'on retrouve coincées entre les pavés de nos rues de la soif. 3,3 millions de jeunes adultes vivent toujours chez leurs parents ; le taux de suicide des hommes augmente. On trouve des traces de cocaïne dans l'eau potable. Vous les voyez dans ces travailleurs du tertiaire dépressifs, dans ce gamin devenu accro aux selfies, chez Mr Oi Oi. Tout ce qui définit notre génération prouve que nous sommes décadents.

Au lieu de prendre notre vie en main, nous préférons la sécurité de ce que nous connaissons déjà. Chercher une nouvelle voie demande de la discipline. Nous dépensons tout notre argent dans des appartements qui nous déplaisent, dans des pizzas surgelées. Nous regardons quelques épisodes de la dernière série à la mode et nous finissons par nous avachir dans notre lit, réfléchissant à la meilleure excuse pour ne pas aller au travail le lendemain. Nous nous la mettons à l'envers du vendredi au dimanche, comme tous les week-ends depuis dix ans. Et chaque lundi, notre fatigue nous pousse à la dépression. En somme, à chacun sa croix. Nous ressemblons en fait aux vieux célibatards de La  Grande Bezella, et non à Jep Gambardella, dans le film sans intérêt qu'est notre vie. Nous sommes les nouveaux professionnels de la nullité. La génération qui ne sait pas quoi faire d'elle depuis qu'on l'a forcée à accepter la réalité. Aurions-nous préféré croire aux grands mythes fondateurs des Trente glorieuses qui ont permis à nos parents de vivre de manière respectable ? Quand personne n'est là pour vous guider, où trouver de l'aide quand votre gueule de bois et vos dépressions réclament plus de normalité dans votre vie ?

(Photo : Nicholas Pomeroy)

Si nous voulons éviter la grande dichotomie moderne, « émigrer ou fuir », nous devons penser à des nouvelles méthodes pour nous adapter à ce monde que nous n'avons pas choisi. La vie est dure, la situation est nulle pour tout le monde, mais il est peut-être temps d'oublier le temps qui passe en faisant autre chose que la fête. Les générations suivantes se souviendront peut-être de notre génération pour avoir été la première à consommer de la méphédrone, mais devons-nous réellement nous soucier du souvenir que nous laisserons derrière nous ? À présent, nous devons trouver notre propre voie jusqu'à ce putain de purgatoire.

Nous n'avons pas besoin de déménager dans une éco-ferme pour trouver un mode de vie alternatif. Quitter la ville signifierait l'abandon de tout ce que nous aimons. Nous devons aller plus loin que « louer un appartement dans le 15ème et essayer de survivre ». On nous l'a pourtant vendu comme notre panacée. Allons-nous continuer à jeter notre argent par les fenêtres pour une utopie absurde ?

Nous disons haïr le système qui nous a corrompu jusqu'à la moelle. Pourtant, nous voulons en faire partie. Peut-être est-il préférable d'être jeune dans un monde nouveau que d'être vieux dans un monde que l'on connaît. Peut-être qu'il est temps d'inventer une nouvelle façon de vieillir.