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Culture

La France s’apprête à légaliser la surveillance de masse

Comme en Angleterre et aux États-Unis, le gouvernement français propose de muscler les pouvoirs de ses services de renseignement.

Le système de sécurité vocal de la NSA, SIGSALY. Image via

Jeudi dernier, le gouvernement a posé la première pierre de son grand projet de loi visant à muscler les pouvoirs de ses services de renseignement. Sous prétexte de lutter efficacement contre la menace djihadiste, la France va se doter, après les États-Unis et l'Angleterre, d'un système de surveillance massif de l'Internet et des télécommunications.

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En trois ans, c'est le troisième texte sécuritaire que fait passer le gouvernement depuis l'arrivée du Parti socialiste au pouvoir. Après la loi de programmation militaire de 2013 et la loi antiterroriste de 2014, celle sur les renseignements qui devrait être votée cet été vient parachever un arsenal législatif de plus en plus lourd en matière de surveillance.

Ce projet de loi de 22 pages touche plusieurs domaines, mais ce sont les télécommunications et l'Internet qui sont les plus visés. En ce qui concerne les communications téléphoniques, le texte élargit considérablement la marge de manœuvre des agents. Alors que la mise sur écoute requérait au préalable un lien direct entre un individu et une infraction présumée, les agents pourront désormais mettre sur écoute « une ou plusieurs personnes appartenant à l'entourage de la personne visée ». Selon certaines conditions, il sera également possible de sonoriser – c'est-à-dire truffer de micros – des véhicules ou des lieux privés. Enfin, cette nouvelle loi autorise l'utilisation de « dispositifs mobiles de proximité », un genre de boitier capable d'aspirer à distance toutes les infos des téléphones et ordinateurs du coin.

Pour le volet Internet, ce sont les métadonnées – toutes les traces qu'un individu laisse pendant ses pérégrinations sur le web – qui intéressent au plus haut point les services de renseignement français. Ce texte donne la possibilité aux agents de se brancher en temps réel sur le réseau des opérateurs et d'y récupérer directement des informations. Il sera même possible d'ordonner aux fournisseurs d'accès à Internet de faire eux-mêmes le boulot en détectant les « successions suspectes de données de connexions ». Enfin, même si le gouvernement s'en défend, le site Médiapart évoque la mise en place d'un algorithme qui permettrait de dénicher sur le web des djihadistes potentiels, à la Minority Report.

Voilà en substance ce qu'il en est des aspects techniques. À ce stade, on peut se dire que ce projet de loi ne fait finalement que valider tout un tas de pratiques déjà bien rodées. Là est justement le problème. Donner un cadre légal à ces pratiques revient en définitive à acter du fait qu'elles étaient jusqu'à aujourd'hui complètement illégales. C'est d'ailleurs dans ce sens que Manuel Valls, dans une rhétorique d'une logique implacable, déclare que ce texte représente « une avancée majeure pour l'État de droit ». Ainsi, étant donné que de telles pratiques ont déjà cours, autant légiférer au lieu de se poser la question sur leur légitimité.

Quoi qu'il en soit, ce texte essuie déjà de nombreuses critiques. Interrogé par l'Express, le juge antiterroriste Trévidic fait part de ses nombreuses réserves. Tout en jugeant les nouveaux pouvoirs des services de renseignement « exorbitants », il déplore le fait qu'ils puissent être mis en place « sans contrôle judiciaire ». De son côté, le Conseil national du numérique s'inquiète d'une « extension du champ de surveillance », tandis qu'Amnesty International a lancé la campagne #UnfollowMe pour protester contre la surveillance de masse.

Car en réalité, si le terrorisme est invoqué à tout bout de champ, les services de renseignement voient leurs compétences élargies en vertu de notions relativement floues qui intègrent notamment « la prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteintes à la paix publique ». À travers cette expression de « violence collective », le pouvoir se donne donc les moyens de mobiliser ses nouvelles compétences contre de futurs mouvements sociaux potentiellement violents.

Dans l'unanimisme ambiant que suscite la lutte contre le terrorisme, ce n'est pas l'opposition de droite qui s'opposera à un tel texte. Nicolas Sarkozy a déjà déclaré que sa formation politique voterait en sa faveur, tandis que Frédéric Péchenard, le directeur général de l'UMP, l'a jugé « très intéressant ». Ainsi, malgré les critiques, le projet de loi à toutes les chances d'être voté sans encombre.