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ain't it fun

Vaffanculo le punco rocco !

Mes connexions culturelles avec l'Italie se résument à quelques faits : un arrière grand-père né à Brescia, une paire de voyages scolaires avec ma classe de...

Mes connexions culturelles avec l'Italie se résument à quelques faits : un arrière-grand-père né à Brescia, une paire de voyages scolaires avec ma classe de latin en quatrième et une maîtrise décente du Bunga Bunga. Autant dire que jusqu'il y a deux semaines, je ne connaissais pas grand-chose de la patrie de la tomate. Puis je suis tombé sur une vidéo compilant plusieurs vieux groupes hurlant des paroles dans la langue de Berlusconi sur des morceaux à la Bad Brains. C'était la première fois que je partageais un truc avec l'Italie. Cette vidéo était en fait le trailer de Italian Punk Hardcore 1980-1989, le documentaire de Roberto Sivilia et Giorgio Senesi à sortir dans les semaines à venir.

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Après quelques recherches, j'ai réalisé qu'il existait des groupes de punk-rock en Italie dès 1977, la plupart issus d'un rassemblement de fans nommé The Great Complotto, sensiblement analogue aux bandes anglaises du même genre – le Bromley Contingent en tête de liste. En effet, plusieurs éléments ont favorisé l'émergence d'une solide scène hardcore à l'aube des années 1980 : les attentats commis par les Brigades Rouges de même que le marasme économique embourbant les classes ouvrières du nord du pays étaient autant d'annonces de la montée de haine qui s'apprêtait à déferler sur l'Italie.

Dans le sillage des premiers groupes D-Beat anglo-saxons à la Battalion of Saints, l'Italie a accouché d'une cinquantaine de groupes dans les plus grandes villes de son territoire. Les observateurs de l'époque – c'est-à-dire, environ cinq mecs – ont même clamé que la scène hardcore transalpine était l'une des plus actives au monde. Avec le recul que j'ai, je dois bien admettre que les Italiens disposaient de groupes qui pouvaient botter le cul de leurs contemporains anglais et américains – Peggio Punx étaient des genres de D.O.A d'Alexandrie et The Wretched de bons Discharge milanais. Il en va de même pour les fanzines : Testa Vuote Ossa Rote [Tête vide, os brisés, en français] était du putain de même niveau que Slash et Sniffin' Glue.

Du fait de la barrière de la langue et du mépris des médias internationaux à l'égard de la scène, le hardcore italien n'aura laissé de souvenirs qu'à très peu de gens, même en Italie. C'est ce qui a poussé Roberto et Giorgio à rassembler les archives en leur possession pour sortir le documentaire, qui sera accompagné d'un bouquin titré Dritti Contro Un Muro. Il y a une dizaine de jours, je les ai contactés pour qu'ils me parlent un peu plus de cette scène méconnue, perdue dans un pays où l'on se félicite toujours de l'invention de l'italo-disco.

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VICE : Comment vous est venue l'idée de faire un film et un livre sur la scène hardcore italienne ?
Roberto Sivilia et Giorgio Senesi : Tout a commencé en 2003 lorsqu'on a mis en ligne un court documentaire rétrospectif sur notre site, LoveHate80.it. Depuis la fin des années 1980, on a récolté des centaines d'archives sur la scène hardcore en Italie. On a donc décidé de laisser une trace et de faire en sorte de préserver ce patrimoine. Plus tard, on s'est mis à réfléchir sur la façon de diffuser ces documents par un autre intermédiaire – quelque chose de concret, que l'on puisse tenir entre ses mains.

OK, d'où l'idée du bouquin.
En effet. On s'est dit que la meilleure chose à faire était de sortir un livre en complément, Dritti Contro Un Muro [littéralement, Droit dans le mur] en plus du docu. Les deux sont aujourd'hui disponibles sur LoveHate.

Quelle a été la principale différence entre les premières groupes  de punk '77 italiens et la scène hardcore ?
Ce sont deux choses complètement différentes. En Italie avant 1981, la scène était quasi inexistante à l'échelle nationale, si ce n'est ce groupuscule, The Great Complotto, qui venait de Pordenone et qui comprenait des groupes type Hitler SS, etc. La grande majorité des groupes estampillés « 1977 » italiens était des produits manufacturés par les majors, histoire de surfer sur la vague provoquée par l'explosion du punk-rock britannique. Il n'y avait aucune idéologie, pas de réflexion ; simplement une mode vestimentaire, le désir de s'en mettre plein les poches et une forme de folie frénétique.

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Et le hardcore a donc amené un peu plus de realness là-dedans ?
Le hardcore – qu'il ait été plus ou moins politisé – et l'explosion des squats ont généré un réseau très actif, dont les ramifications ont perduré durant plusieurs années. Ce circuit a permis l'éclosion de bons groupes et la diffusion de leur musique grâce à une myriade de cassettes et de disques. L'autoproduction et le rejet de l'industrie étaient au cœur de l'idéologie de la première vague de hardcore italien. Les groupes n'avaient aucune contrainte : ils s'autogéraient. Les problèmes découlant de ce mode d'opération étaient évidents : une couverture médiatique très pauvre, une qualité d'enregistrement souvent médiocre et un circuit de distribution limité – voire inexistant. Pourtant, la créativité et la colère ont toujours été de rigueur parmi la scène : les mecs étaient 100 % purs.

À quel point la colère et la frustration ont-elles favorisé l'éclosion du hardcore dans le pays ?
Au départ, tout était d'une difficulté extrême. Il fallait se réinventer jour après jour. On ressentait un besoin urgent de vivre à fond ce nouveau truc. Cependant, pour que ton groupe puisse marcher, il fallait avoir une confiance et une foi extrêmes ; les problèmes étaient énormes. De nos jours, de l'organisation des concerts en passant par la vente de disques ou la récupération d'informations sur Internet, tout est plus simple. Les groupes ont la possibilité d'enregistrer sans bouger leur cul de chez eux.

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Quelle a été la réaction initiale des médias et du gouvernement envers le mouvement ?
Tout est passé plutôt inaperçu. Les quelques torchons qui s'y intéressaient sortaient des articles souvent peu objectifs, remplis de stéréotypes et d'incohérences. Pourtant, il y a eu des expulsions de squats, une répression policière énorme et plusieurs grosses bastons avec les flics. C'est même dingue que toutes ces merdes n'aient jamais poussé la scène à partir en couilles.

Dans un extrait du documentaire, un intervenant dit que le hardcore italien des années 1980 constituait la meilleure scène au monde à l'époque – j'imagine qu'il exagère un poil.
Eh bien, pas vraiment. Entre 1982 et 1986, le hardcore italien était quelque chose d'unique en son genre. Chaque groupe avait son propre son et se démarquait des autres, non seulement grâce à la musique, mais aussi grâce aux paroles. Aussi, les bon musiciens et les idées ne manquaient pas. Certains des disques sortis à cette époque sont de véritables chefs-d’œuvre – Screams From the Gutter de Raw Power sorti en 1984, Libero Di Vivere Libero Di Morire de The Wretched, sorti la même année, ou encore Lo Spirito Continua de Negazione sorti en 1986.

Ouais, je ne connais pas.
Je te conseille de régler ça au plus vite…

À quel point les groupes de hardcore américains ont-ils eu une influence sur le territoire italien ?
Ils ont eu une influence énorme. Tous les gonzes qui montaient des groupes avaient écouté les classiques américains : Black Flag, les Bad Brains, Circle Jerks et les Dead Kennedys.

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Ouais.
En revanche, je me souviens d'avoir lu des interviews de groupes américains des années 1990 qui « reconnaissaient » avoir été influencés par des groupes de la première vague italienne – NOFX ou Corrosion of Conformity, notamment. Aussi, la légende voudrait que lors d'une tournée de Metallica en Italie au milieu des années 1990, James Hetfield ait supplié qu'on lui apporte des albums originaux de hardcore local, peu importe le prix. Ebay n'existait pas à l'époque !

Ah, ah, incroyable. J'ai d'ailleurs l'impression que ces influences américaines étaient mal perçues par les locaux. Par exemple, toutes les paroles étaient écrites en italien.
Eh bien, il s'agissait presque de communication, de politique. La grande majorité des groupes chantait en italien, en effet, parce que ceux qui avaient les couilles de choisir l'anglais – Raw Power, notamment – étaient systématiquement boudés, voire boycottés par les associations politiques qui organisaient les concerts et dirigeaient les squats. Ils prétendaient que leur « message » n'étaient pas assez direct, intelligible et ne touchait pas le public comme il l'aurait dû. Heureusement, cette manière de penser a décliné avec le temps.

Bizarrement, Raw Power est aussi l'un des seuls groupes à s'être s'exporté à l'étranger.
Ouais, Raw Power ont été les premiers à partir en tournée aux États-Unis – en 1984 je crois – et à pouvoir sortir leurs disques là-bas.

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Cette réussite a-t-elle créé des rivalités et de la jalousie parmi les groupes de la scène ?
Non. Quelquefois, il y a eu des embrouilles avec les straight edge. Ils n'étaient pas très enclins à faire des compromis. Mais en Italie, leur mouvance n'a gagné de l'ampleur que plus tard, vers 1990. La première scène était unie malgré les différences et la réussite des uns et des autres ; les idées étaient communes à tout le monde pour le meilleur ou pour le pire.

En France, le punk a toujours été considéré comme quelque chose de très urbain, voire de strictement parisien. C'était la même chose en Italie avec la division nord/sud ?
À première vue, les grandes villes industrielles du nord comme Milan et Turin sont celles qui ont vu naître le plus grand nombre de groupes. À Turin, il y avait d'immenses usines Fiat. Pendant les Trente Glorieuses, de nombreuses familles du sud sont venues s'installer en ville pour y trouver la sécurité de l'emploi – ouvrier à l'usine, à vie. Plusieurs acteurs de la première scène hardcore sont les enfants de ces familles, de ces gens qui ont connu la réalité de la marginalisation. C'est de là que provient la colère et la violence de certains groupes. À Bologne et à Rome, on trouvait aussi de bons groupes. Plus au sud, des métropoles de plus petite ampleur ont accouché de quelques groupes influents comme Chain Reaction à Bari, ou Underage à Naples.

Au final, avez dû fournir un travail impressionnant pour réunir toutes ces archives inédites à propos de la scène italienne. Combien de temps ça vous a pris pour réaliser le film ?
Nous sommes toujours en train de le peaufiner en vue de sa sortie début 2013, tout comme pour le bouquin. On a commencé les interviews il y a presque dix ans, en 2004 – c'est un travail de longue haleine. On a dû bouger partout en Italie pour rencontrer quelques vieux acteurs de la scène, des musiciens, puis des mecs qui dirigeaient des fanzines ou des labels comme Stiv Rottame. Au final, nos efforts ont payé. Le film sera même disponible avec des sous-titres anglais !

C'est ce que les acteurs de la scène auraient voulu ?
Hé, si le punk nous a enseigné quelque chose, c'est bien de tout faire nous-mêmes.

Gardez un œil sur LoveHate80.it dans les prochaines semaines, le documentaire Italian Punk Hardcore 1980-1989 et le livre Contro Un Muroy seront bientôt disponibles.