United States of Barbèsica

Salut, ça fait vingt ans que je suis une fille et en conséquence, j'aime des choses telles que : marcher dans la rue, porter des vêtements et faire des achats irresponsables avec tout l'argent mis à ma disposition. C'est d'ailleurs pour cette raison que, lorsque mon rédacteur en chef m'a proposé de faire ces trois trucs en même temps avec 60 euros taxés sur le budget édito de ce mois-ci, j'ai réfléchi à peu près 2 secondes avant d'exulter, taper sur mon bureau, hurler et accepter. Les seules contraintes tenaient en ceci : je ne devais pas rajouter le moindre centime et je devais trouver six looks « d'inspiration américaine » dans ces temples du nouveau prolétariat que sont Guerrisol, Emmaüs et Hippy Market. J'ai re-réfléchi, me suis dit que c'était plus difficile que ce que je pensais, ai re-hurlé et accepté à nouveau. Après avoir écumé tout Paris et constaté que 1. tout était nul, 2. tout était cher, je me suis rendue dans cette caverne d'Ali Baba à l'échelle d'un quartier : le boulevard Rochechouart. En cherchant, j'ai trouvé plusieurs fringues intéressantes , suis rentrée chez moi et ai mis au point six combinaisons qui, je crois, dressent une image assez juste de ce territoire rempli de gens malpolis – les États-Unis. Ensuite, j'ai pris mon air le plus sérieux et suis devenue le premier mannequin de Paris-Nord de tous les temps.

PREPPY DAY REAL ESTATE Vous vous en foutez, mais le terme preppy tire son nom de « prepatory school ». Les gens qui arborent ce style cherchent donc à devenir vos futurs patrons et vous avez le droit de les haïr dès aujourd'hui. D'un point de vue politique, ils sont le contrepoint des Français qui dansent le rock'n'roll en soirée UMP, avec un avis plus virulent sur le port d'armes. Comme j'avais de quoi acheter l'équivalent d'une baguette au sésame, je me suis rabattue sur une chemise rayée qui avait la forme – et la texture – d'un rideau de douche. Si on se concentre bien, on croit aussi voir apparaître une veste à blason sur mon épaule, et un bracelet certifié réussite. C'est le cas ! Comme en atteste la photo, je revendique fièrement ma nouvelle appartenance
aux classes sociales aisées. Pour parfaire le tout, j'ai rajouté des mocassins (fact : tous les riches portent des mocassins) et un collier couleur soleil. Résultat : j'ai bonne mine et je ne me suis jamais aussi peu ressemblée. Chemise : 6 euros, chaussures : 3 euros, veste qui appartenait à ma mère mais qui a aussi appartenu à ma tante, lunettes et bracelet retrouvés dans ma chambre

ROADIE DE L7/FÉMINISTE AGRESSIVE

Même si la chemisette à motif univers, le pantalon en cuir modèle Pantera et la veste en denim odeur pain ne généreront aucune entrée Tumblr en 2013, ce look a le mérite de vous faire passer pour une femme authentique – bien que possiblement folle. Les hystériques qui arpentent les rues seins nus marqués de feutre indélébile devraient y songer ; elles n'auront jamais la puissance d'agir d'une cousine lesbienne fan de L7, ou d'une batteuse dans un groupe de reprises de Babes in Toyland. Les Riot Grrrl demeurent la seule génération de féministes à n'avoir jamais fait honte aux femmes, notamment parce qu'elles vivaient comme des hommes. J'imagine qu'elles aussi s'habillaient pour l'équivalent d'un repas au Resto U. Veste : 1 euro, pantalon : 4 euros, chemisette retrouvée dans une armoire, bottes : 3 euros

AMISH CITADINE

En tant qu'étudiante ayant entendu parler du mythe de la caverne, je me suis demandé vers quoi mon cerveau se dirigerait si je venais de quitter ma grotte pour rejoindre la civilisation. J'ai d'abord pensé à un bucket KFC, puis à un lecteur mp3 avant de recouvrer mon bon sens et de penser aux idées d'électricité et de chaussures confortables. Comme il est difficile de mettre en scène l'idée d'électricité avec des habits, j'ai juste eu à choper de vieilles baskets confortables. Ensuite, j'ai trouvé cette robe sans coupe au rayon suicide de Guerrisol. Je n'ai malheureusement pas trouvé de quichenotte et me suiscontentée d'enrouler un tissu blanc autour de ma boîte crânienne. Du coup, je ne ressemble pas du tout à une amish mais à Susie de Curb Your Enthusiasm. Robe : 3 euros, baskets retrouvées dans ma chambre, voile en tissu : 1 euro

SK8ERGIRL !

Contrairement à la meuf de skateur qui multiplie couches, couleurs, chèches et disques de baggy metal, la sk8ergirl des États-Unis met un point d'honneur à laisser nue la quasi-totalité de sa surface épidermique. Ai-je l'air gênée de ressembler à un compte Twitter du New Jersey ? Pas du tout, comme en atteste ce collier vengeur glané à la foire du Trône. J'ai hissé le bonnet et les baskets au rang de pièces phares – les deux traînaient sous mon lit depuis la fin de mon cycle secondaire – et ai donc dilapidé mon budget l'esprit libre avec : un short tissé dans un alliage de matières cancérigènes et une chemise en denim mou, boutonnée jusqu'à la trachée. Il ne restait plus qu'à retrouver dans mes tiroirs un bracelet clouté d'inspiration Rihanna pour enfin pouvoir séduire Todd, Josh et encore plein de mecs qui ne liront jamais un livre de leur vie. Chemise : 2 euros, short : 2 euros

MÈRE DE FAMILLE DE PENNSYLVANIE

Quand vous élevez trois enfants hyperactifs et que votre mutuelle ne sert plus qu'à rembourser votre consommation de Valium, à quoi bon dépenser de l'argent pour des fringues ? Celles-ci ne vous serviront qu'à éponger sueur, hautes herbes et désespoir. Affrontez plutôt la réalité et enfoncez-vous dans l'éducation de vos mômes, l'alcoolisme secret et les après-midi seule avec des chips au barbecue. Pour ce faire, j'ai recyclé un look casual de première grossesse constitué d'un pull en polaire zippé (il existe un rayon entier dévoué à la polaire au Guerrisol de Château Rouge), d'un jogging coton à la fois cintré et trop grand et d'une paire de runnings bicolores préalablement bouées. Bonus : si vous marchez assez vite avec un air affairé, ce look peut aussi vous faire passer pour une Consultante chez Opening Ceremony ! Polaire : 3 euros, jogging chopé dans ma chambre, runnings : 2 euros

LYCÉENNE TIM BURTON

L'adolescence est une période horrible dans la vie d'une fille puisqu'elle apporte règles, douleur, laideur, névroses (elles ne disparaîtront pas comme ça :-)), colère, frustration et propension à défendre le cinéma de Tim Burton. Conséquence : s'inscrire dans une troupe de théâtre (France) ou se transformer en personnage de Charlie et la Chocolaterie (États- Unis). Les ados cyniques américaines ressemblent à un packshot de dépression et d'arrogance mal assurée avec pas mal de laine noire et de cols blancs par-dessus. Là, comme j'avais de l'avance sur mon budget, j'ai chopé un pull à 12 euros dans un Guerrisol « Guerrida » (pendant mode des Guerrisol classiques) et une chemise trop ample de marque Waïkiki. Les chaussures que vous voyez sur la photo sont celles que je porte tous les jours. Et les fausses Wayfarer sont celles que je portais tous les jours, avant. M'habiller comme une fille de colon m'aura donc coûté 47 euros ; j'ai gardé le reste pour m'acheter trois cafés, un McDo et ai pour la première fois considéré les possibilités INFINIES du monde du journalisme ! Pull-over : 12 euros, chemise : 5 euros