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LE NUMÉRO AU BORD DU GOUFFRE

Circuit Electric

Je me suis longtemps demandé si ça valait le coup de chroniquer le dernier maxi de Gatekeeper et j'ai mûri presque autant de réflexion avant de me le procurer en vinyle, tellement je trouvais la pochette alléchante.

Je me suis longtemps demandé si ça valait le coup de chroniquer le dernier maxi de Gatekeeper et j’ai mûri presque autant de réflexion avant de me le procurer en vinyle, tellement je trouvais la pochette alléchante. Mais pourquoi suis-je presque systématiquement déçu par les jolis disques ? J’ai toujours l’impression de tomber dans le panneau du buzz monté en sauce par un marketing viral qui cherche à fashioniser la première camelote venue. Gatekeeper n’échappe pas à cette règle : les morceaux sont redoutables d’efficacité dans le genre fix d’adrénaline putassier mais condensent à peu près toutes les tendances les plus surfaites de ces trois dernières années. Les cellules PowerPoint énoncent quelques points cruciaux : élaborer un graphisme sexy qui rappelle les jaquettes VHS de films d’horreur des années quatre-vingt, se rencarder sur la pop hypnagogique et la witch house, clamer haut et fort l’influence conjuguée de John Carpenter, de Goblin, du krautrock et de l’italo, ne pas révéler son identité, mentionner dans les interviews qu’on collectionne les synthés vintage et enfin, ajouter un beat EBM badass pour être crédible dans les clubs. Le hic, c’est que ça aurait dû s’appeler ZJNPN (Zombie Justice Noize Point Never) et sortir sur une compile de DJ Hell en 1997.

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Les lecteurs de cette rubrique le savent, j’ai tendance à prêter attention aux productions qui brillent par leur discrétion.

Human Culture

de Terror Bird est un album de pop exemplaire – pas de la pop tapageuse dont parlent les autres magazines, pas de la pop qui a l’air d’un devoir d’étudiant en lettres modernes, pas de la pop HEC qui habille les jingles de Canal +, mais une pop incarnée et profonde, sombre et sensuelle. Si la voix de la chanteuse rappelle fortement celle de Zola Jesus, on est ici loin de l’emphase baroque et des fanfreluches goth. Terror Bird semble considérer que l’anxiété ne transparaît dans la pop que si elle est formulée avec retenue, circonspection et économie d’effets. Cet album est un trésor de simplicité et de sensibilité qui vient rompre avec la monotonie du tout pyramidal et de l’occultisme new age.

Le big band Action Beat réussit le tour de force de sonner exactement comme Sonic Youth période

Sister/EVOL

, mais avec des instrumentaux improvisés de type surpuissants. Ils jouent avec trois batteries et un truc comme trente guitares. Les cordes vrillent dans tous les sens dans un déluge de feedback et de convulsions no wave à la Glenn Branca sans jamais se départir de cette attitude «

teen punk in your mature face

 » qui ne s’embarrasse pas de concepts alambiqués. Si on y ajoute des interjections du style « je suis plus cool que toi, connard » et « on te chie au bec, James Murphy », des filles en effervescence, des geysers d’alcool, des convulsions d’énergie et du slam torse-poil, on obtient un groupe qu’on aimerait entendre et surtout voir jouer plus souvent. Vous branlez quoi les programmateurs de festivals ? C’est quoi votre problème ? Vous comptez nous infliger de la pop libérale jusqu’à la fin de nos jours ?

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Si l’appel des hautes solitudes, des cimes enneigées et des panoramas à perte de vue vous colle à la peau, vous n’aurez aucun mal à vous laisser submerger par le lyrisme élégiaque de Tim Hecker, dont les enchevêtrements de sons acoustiques délicatement numérisés évoquent un croisement entre Fennesz, Oneohtrix Point ­Never et Dorine Muraille. Ces étirements

ambient

à chialer d’extase se dissolvent dans des entrelacs de textures crépitantes, d’harmonies brumeuses et de simili-glitch, transfigurant le souffle d’un orgue autant que les réverbérations de la pièce dans laquelle il a été enregistré. Les deux trilogies qui composent l’essentiel de cet album, enregistrées dans une église abandonnée de Reykjavik, procurent une plénitude béate teintée de mélancolie, aussi purifiante qu’un bain de vapeur à l’aube au milieu d’un paysage arctique. Le titre de l’album (

Ravedeath

, 1972) et de certains morceaux (« Studio Suicide, 1980 » ; « Analog Paralysis, 1978 ») semblent faire référence à des moments clés de l’histoire, mais je n’ai pas cerné lesquels, pas plus que je n’ai capté à quoi se ­référait cette photo d’un piano balancé d’un toit ornant la pochette, hormis l’allégorie d’une société consumériste qui fait peu de cas de la musique (après renseignement, il s’agirait d’un rituel imaginé par des étudiants du MIT dans les années soixante-dix). Dans un monde idéal, Tim Hecker serait considéré comme le Messiaen shoegaze du XXIe siècle. Mais soyons réalistes, on vit dans un monde de merde.

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Monopoly Child Star Searchers est l’avatar drone tropical de Spencer Clark, moitié des mythiques The Skaters. Formé avec James Ferraro, ce duo élabore depuis près de dix ans un folklore tout personnel où viennent se télescoper imagerie mystique en noir et blanc, résidus de junk culture

eighties

américaine, réminiscences précoloniales et new age psychotrope à base de Casio, de Groovebox préhistoriques, de pédales d’effet et de magnétocassettes éclatés. En authentiques

outsiders

coupés du monde, ils ont produit des montagnes de CD-R et de K7 dans l’autonomie la plus totale et en utilisant des dizaines de pseudos plus vrillés les uns que les autres. Spencer l’oracle est ici accompagné de ses sbires haut perchés : James Ferraro sous le pseudonyme Rocco Martini, Lieven Martens de Dolphins Into the Future et Eva Van Deuren de Orphan Fairytale. Si la musique de

Cannibal Holocaust

était rejouée sur une plage de Polynésie vers la fin des années quatre-vingt par des chamanes SDF rescapés du Royaume de l’Agharta, ça sonnerait sans doute d’une manière assez proche de cette exotica issue des tréfonds d’une jungle imaginaire.

EVA REVOX

GATEKEEPER – Giza (Merok)

TERROR BIRD – Human Culture (Night People)

ACTION BEAT – Beatings (Truth Cult/Southern Records)

TIM HECKER – Ravedeath, 1972 (Kranky)

MONOPOLY CHILD STAR SEARCHERS – Bamboo for Two (Olde English Spelling Bee)