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J’ai donné des cours en prison et c’était une expérience très étrange

Entre bonne humeur et blagues douteuses, côtoyer des détenus n'est pas de tout repos.

Photo via Flickr

Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été attirée par le crime. Les tueurs en série, les pédophiles – tout ce que notre société produit d'abject me passionne. J'ai passé mes cinq dernières années d'études à analyser cette marginalité – je suivais un cursus de droit pénal et de criminologie dans une université française. Il ne s'agit pas d'une quelconque fascination malsaine pour les monstres présents sur notre planète. Je désire simplement comprendre comment une personne sans histoires peut se coucher le soir après une bonne journée de boulot pour ensuite se réveiller et tuer sa femme, ses enfants et son chien pendant leur sommeil.

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Quand on s'intéresse un tant soit peu aux aspects les plus obscurs de l'humanité, la prison est une étape évidente. Encore étudiante à l'époque, je désirais me remonter les manches et me confronter à ceux qui étaient les protagonistes de mes livres et de mes cours.

Par le passé, j'avais accompagné des victimes de pédophiles et des proches de personnes assassinées. Je côtoyais des familles terrassées par l'acte insensé d'une personne jusque-là assez banale – ce célèbre « voisin serviable qui garde et nourrit votre chat pendant vos vacances ». Je me devais de voir en quoi consistait l'autre côté.

Au-delà de l'envie de me confronter à cette nouvelle réalité, j'avais pour ambition d'aider des types dont les parcours et choix personnels les ont conduits à pourrir dans des pièces exiguës et sales. J'ai donc commencé à animer des débats en tant que bénévole dans une prison du sud de la France, via une association. Le but affiché était de mettre en place un atelier hebdomadaire au sein duquel les détenus pouvaient échanger librement avec nous.

Malgré mes connaissances théoriques sur le sujet, j'avais la tête encombrée de clichés assez cons sur les prisons, les détenus et les matons. Mon esprit était gangrené par les reportages sur les pénitenciers américains – comme si la plupart des détenus étaient membres d'un gang mexicain.

Du côté des gardiens, je les imaginais en train de longer les cellules en laissant traîner leur matraque sur chacun des barreaux. Je me disais qu'ils devaient toujours être dans l'attente d'un bon passage à tabac pour se défouler. Au final, ils étaient dans leur ensemble assez désagréables – sans doute à cause de la difficulté de leur métier – mais loin d'être violents.

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L'entrée dans une prison est un rituel parfaitement calibré : il s'agit d'enchaîner les portiques de sécurité, de passer différentes portes verrouillées, d'accepter plusieurs fouilles corporelles, et de délivrer différents justificatifs. L'intérieur ne ressemblait à rien de très joyeux, évidemment. Tout était sombre, uniquement éclairé par des néons faiblards qui donnent une gueule de meth head au premier visiteur venu. La seule lumière naturelle provenait de la cour de la prison – elle-même horriblement grise et pleine d'ordures. Les couloirs sentaient le tabac froid et la weed. Un silence général régnait, entrecoupé par moments par des claquements de portes et quelques irruptions de voix graves.

Les premiers détenus que j'ai croisés me regardaient avec insistance – sans doute parce qu'il n'avait plus l'habitude de tomber sur une étudiante brune de 1 mètre 65. J'envahissais leur territoire et symbolisais tout ce qu'ils n'étaient pas, ou plus. J'étais persuadée qu'à leurs yeux, je représentais une menace potentielle. Pourtant, dès mon premier cours, j'ai réalisé à quel point j'avais tort.

La discussion était banale et aurait pu se dérouler dans n'importe quel bistrot de France. Il n'y a eu ni bagarre ni remarque sexiste – on m'avait tout de même interdit de venir en robe ou en jupe.

Lors de mon premier cours, j'étais évidemment stressée. Mon seul rapport à la pédagogie consistait à demander à mon petit-cousin de huit ans de faire ses devoirs. Là, je me retrouvais dans une pièce avec 25 taulards.

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La salle ressemblait à n'importe quelle salle de classe d'un lycée, en un peu plus délabrée. Certains détenus étaient vautrés sur leur chaise, d'autres attendaient parfaitement assis. Ils semblaient être issus de milieux sociaux très variés ; des jeunes côtoyaient des prisonniers bien plus vieux.

On retrouvait tous les ingrédients d'une classe lambda : le gros dur qui se vante de ses exploits afin de faire rigoler l'assemblée, le sage qui fume des cigarettes roulées dans son coin ou encore le mec de 20 ans qui a les jambes qui tremblent à force de se demander comment il est arrivé là. On se contentait d'évoquer l'actualité : je leur demandais leur avis, ils me demandaient le mien en retour. La discussion était banale et aurait pu se dérouler dans n'importe quel bistrot de France. Il n'y a eu ni bagarre ni remarque sexiste – on m'avait tout de même interdit de venir en robe ou en jupe. Malgré leur enfermement, les prisonniers restaient très au courant de ce qui se passait en dehors des murs. L'ambiance était agréable et très conviviale.

Je restais tout de même assez gênée par ma position. J'imagine que je ressentais la même chose que les types qui partent faire de l'humanitaire dans des pays pauvres. Il est toujours égocentrique de penser que l'on peut améliorer la vie des autres quand bien même nous n'en faisons pas partie. Malgré mes réserves, les détenus avaient le sourire pendant nos débats, et la plupart revenaient toutes les semaines.

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Après plusieurs semaines de discussions, une vraie proximité s'était installée.

Ces ateliers m'ont également permis de réaliser à quel point chaque détenu est différent. Certains ont commis des crimes atroces tandis que d'autres ont voulu jouer au gangster en vendant de la drogue et se sont fait bêtement choper. La plupart d'entre eux menaient des vies totalement normales avant de finir en prison. Souvent, un accident de la vie – chômage, divorce ou dépression – les a conduits à commettre un crime ou un délit.

Après plusieurs semaines de discussions, une vraie proximité s'était installée. Je ne sais pas si elle était sincère ou factice, mais elle était bien présente. Je ne m'y attendais pas vraiment, d'ailleurs. Je pensais que ces mecs me trouveraient forcément naïve, moi, la petite étudiante qui ne connaissait rien à rien. Ils n'avaient pas forcément tort.

Au fil du temps, j'avais l'impression de discuter avec des amis du boulot. J'en oubliais presque le lieu, et pourquoi ces détenus étaient là. Comme souvent, la réalité a fini par me rattraper. Lors d'une banale discussion au sujet des activités qui leur procuraient de l'adrénaline, l'un des détenus s'est exclamé : « Moi, ce qui me fait kiffer, c'est un bon barbecue le soir ! » Toute la salle a explosé de rire. Quant à moi, j'esquissais un léger sourire pour signifier que j'avais compris l'allusion – ce qui n'était pas du tout le cas.

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Photo via WikiCommons

Je n'ai compris que plus tard ce qu'il voulait réellement dire. Pour les taulards, un barbecue consiste à attraper un type qu'ils n'apprécient pas particulièrement, à l'enfermer dans le coffre d'une voiture pour ensuite y mettre le feu, tout en regardant la scène. À partir de ce moment-là, j'ai eu beaucoup de mal à laisser de côté le fait que je me trouvais dans la même pièce que tout un tas de violeurs, de dealers, et de mecs fans de barbecue.

Si je reste persuadée que ces gens méritent d'être aidés, il m'a été difficile par la suite de continuer à rigoler avec eux au sujet du manque de charisme de François Hollande. À mes yeux, le type un peu blagueur est redevenu un délinquant et la salle de classe une pièce d'une prison avec des barreaux aux fenêtres. Après quelques mois, j'ai arrêté de prendre part à ces ateliers.

Aujourd'hui, je continue néanmoins à étudier ces individus pour, à terme, faire en sorte de les comprendre au mieux. Selon moi, il vaut mieux s'évertuer à prévenir de tels comportements plutôt que de regarder la société se disloquer en étant persuadé qu'enfermer le plus de monde possible est la solution à tous nos problèmes.

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