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Comment discuter avec une personne que l’on hait

Avant de s'engager dans une dispute violente avec un connard, lisez ceci – et gagnez systématiquement.
Photo : Burke/Triolo Productions/Getty Images

J'ai détesté ce mec au premier regard. Il était confortablement installé à une table d'un restaurant d'aéroport, où il dévorait une plâtrée de burritos (qu'il appela plus tard « de la bouffe de Mexicanos ») lorsque mon amie Heather et moi-même sommes arrivés. Il s'est avéré que le type en question était son beau-frère. Et que nous devions déjeuner avec lui.

Je l'appellerai Buff – même si ce n'était pas son vrai nom. Il ressemblait à un capitaine d'une équipe de foot de district, avec quelques kilos en plus. Il portait un costume de luxe horrible, une Rolex et un pins ridicule à l'effigie de son candidat préféré des présidentielles américaines – candidat qui est depuis devenu président.

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Nous nous sommes assis, et je lui ai demandé ce qu'il faisait dans la vie. Buff est conseiller pour une entreprise pénitentiaire privée, laquelle a fait fortune grâce à des contrats passés avec le gouvernement dans le but d'aider celui-ci à attraper toutes les personnes essayant de franchir illégalement la frontière mexicaine. Pendant le déjeuner, Buff a fait une blague ultra-lourde à propos d'une femme. Puis, il s'est lancé dans son grand discours politique : une critique véhémente de l'élection d'un « président noir » qui avait, selon lui, « divisé le pays ».

L'assassiner n'était pas une option envisageable. Il était plus balaise que moi, et ni Heather ni la sécurité de l'aéroport n'auraient apprécié que je l'étouffe avec sa Rolex. J'ai donc employé tout un jeu de techniques que j'ai moi-même enseignées pendant des années à d'autres personnes. Elles sont basées sur la rhétorique, c'est-à-dire l'art de la persuasion.

J'ai donc décomposé ces techniques en cinq outils : l'objectif, l'audience, l'intérêt que vous montrez à votre interlocuteur, la sympathie et l'amour. Oui, l'amour. Comprenez-moi bien, ceci dit. Ici, nous l'utiliserons seulement pour arriver à nos fins.

1. L'objectif

L'erreur la plus commune dans ce genre de situation est de commencer le combat sans plan. La première chose à faire lorsque vous vous retrouvez face à un crétin consiste à vous demander ce que vous souhaitez en tirer. Voulez-vous l'humilier ? Cool ! Mais peut-être pas sur le long terme. Ce n'est pas comme si vous vouliez le transformer en tueur de masse. Dans mon cas, je ne voulais pas foutre en l'air le mariage de mon amie. Les combats avec les crétins provoquent toujours des dommages collatéraux.

Choisissez un objectif basique : améliorer votre relation. Et si ce n'est pas avec le beauf assis en face de vous, ça peut être quelqu'un d'autre – ici, mon amie Heather. Ou pourquoi pas : apprendre quelque chose ? Pendant le repas, je l'ai donc questionné au sujet des prisons américaines, à quoi elles ressemblent, qui est emprisonné à l'intérieur. Là, il m'a dit des choses qu'il n'aurait jamais révélées à un journaliste.

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Un autre plan pourrait consister à trouver quelque chose – vraiment n'importe quoi – que vous auriez possiblement en commun. Transformer ça en jeu avec vous-même, genre je vais trouver quelque chose de sympa chez lui . Par exemple, Buff avait l'air d'être totalement accro à ses enfants. Voilà, c'était déjà ça. Mais Buff n'était pas ma cible. Ma cible principale était –

2. Les spectateurs alentour

Pensez à Abraham Lincoln. Non je sais, ce n'est pas vraiment le visage qui apparaît dans votre esprit lorsque vous vous apprêtez à étrangler quelqu'un. Mais c'est là où je veux en venir. Jusqu'à la fin de son mandat, les gens disaient qu'il n'avait pas simplement gagné la guerre, il avait surtout gagné le débat. Ne pensez pas à battre votre adversaire. Pensez plutôt à une victoire sur toutes les personnes autour qui vous écoutent.

Comment ? En étant une meilleure personne que le type d'en face. Lorsque quelqu'un est un gros con, vous n'êtes jamais le seul à l'avoir remarqué. Restez digne. Quand Buff se vantait de tout l'argent qu'il se faisait dans la guerre contre les clandestins, je n'ai pas relevé. J'ai juste continué à me montrer intéressé, et j'ai posé d'autres questions. Lorsqu'il a commencé à se plaindre de sa femme devant la sœur de celle-ci, j'ai dit « ma femme aurait beaucoup de choses desquelles se plaindre aussi, mais c'est une sainte ». Heather a immédiatement rebondi là-dessus pour dire à Buff à quel point ma femme était formidable – tandis qu'elle me jetait un regard reconnaissant.

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Ce moment de calme n'a pas suffi. Buff a vite eu l'air de s'ennuyer et il est donc revenu au sujet des élections, en disant des trucs relativement racistes à propos d'Obama. Est-ce que je suis entré dans un débat avec lui ? Non. Je ne me suis montré que plus intéressé.

3. Un intérêt plus prononcé

J'ai donc commencé à lui poser des questions, en m'intéressant aux définitions, aux détails. Lorsque Buff m'expliquait que « les Mexicains ne deviennent jamais vraiment Américains », j'ai montré un air fasciné et je lui ai demandé ce qu'il entendait par « les Mexicains ». Les gens qui sont nés au Mexique ? Plutôt la seconde génération, qui a la double nationalité ? La troisième génération ? Je lui ai dit que ma famille avait émigré de Cuba aux États-Unis dans les années 1800. Les Cubains peuvent-ils, eux, devenir des Américains ? Lorsque Buff m'a expliqué que les femmes immigrées voulaient « juste des allocations plus importantes », je lui ai demandé ce qu'il voulait dire par « allocation », puis si sa femme à lui travaillait.

Pourquoi faire ça ? Parce que les gens qui sont questionnés sur le sens de leurs mots tendent toujours à assouplir leur discours. Buff a finalement admis que la seconde génération de Mexicains était parfaitement intégrée à la société américaine et il a même corrigé « allocation » par « budget familial ».

Voilà ce que font les détails. Buff est ensuite revenu sur le sujet de l'hypothétique mur que dressera Trump entre le Mexique et les États-Unis. Je lui ai demandé ce qu'il en pensait, à quoi ressemblerait ledit mur, où serait-il installé et qui allait payer pour ça. Comme Trump, Buff a lui aussi admis que le mur ne serait jamais payé par le gouvernement mexicain.

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Puis, les tendances. Buff, tout comme Trump, affirmait que les Mexicains « grouillent tout le long de la frontière ». Je lui ai demandé combien précisément, puis de combien ce nombre augmente-t-il tous les ans. « Je trouve ça très intéressant », disais-je. Là, il s'est assagi et m'a dit que de moins en moins de Mexicains se retrouvaient dans les prisons américaines.

En fait, plus je le questionnais sur des définitions précises, des détails et surtout des tendances générales farfelues, plus il revenait sur ses propos. Mais ce n'était pas l'unique but de ma stratégie. Mes questions l'ont tellement crispé qu'il n'en pouvait plus d'attendre que le déjeuner se termine. Surtout, il a payé pour moi. Là, j'ai commencé à ressentir de la –

4. Sympathie

L'art de la rhétorique n'est pas à propos de vous. Si vous voulez persuader n'importe qui, vous devez prendre en compte tous les gens qui sont présents, et leurs attentes. Cela ne veut pas dire que vous devez ressentir tout ce qu'ils ressentent. Ça, c'est de l'empathie, un truc bien mais inutile ici. La sympathie signifie comprendre dans quel état d'esprit se trouvent vos spectateurs. Dans mon cas, il s'agissait d'Heather. Plus le déjeuner se prolongeait, plus je remarquais que Buff se rapprochait de moi. En fait, mes questions avaient révélé à quel point il voulait le meilleur pour son pays, et malgré sa façade de macho basique, il semblait en réalité assez perdu sur ce qui pourrait rendre son pays meilleur. Maintenant, il était donc facile de simuler –

5. L'amour

Parfois, j'entraîne mes clients à donner des conférences pour des institutions ou des entreprises. L'un de mes meilleurs conseils est celui-ci : avant de commencer à parler, demandez-vous toujours à quel point vous aimez vos spectateurs. Cela fonctionne même avec un opposant hostile. Imaginez le crétin assis en face de vous devenir gaga devant un chaton ou pleurer à la mort de Leonard Cohen. Penser à l'amour dans sa plus simple représentation.

Attention, je ne suis pas en train de dire que vous devriez aimer ce sale con. Nous parlons toujours de rhétorique, pas de religion. À la place, faites comme si vous l'appréciez. Vos spectateurs penseront de vous que vous êtes quelqu'un de très noble. Au pire, ils penseront que vous êtes d'accord avec ce mec – jusqu'à ce que vous lui posiez des questions.

Simuler une forme d'appréciation peut fonctionner autant que de poser plein de questions : cela crée une sorte de « faisceau tracteur persuasif », lequel tire votre adversaire un peu plus dans votre direction. Combinez cela avec la sympathie rhétorique et la sensibilisation de votre auditoire, et la situation devient subitement à votre avantage.

Enfin, jusqu'à la prochaine fois où vous recroiserez ledit gros con.