96 heures, puis la mort : comment ma fille a perdu la vie en prison
Illustration de Matt Rota

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96 heures, puis la mort : comment ma fille a perdu la vie en prison

Héroïnomane, Tori Moyer n'a pas survécu à ses premiers jours en taule, loin de la came.

Cet article a été publié en collaboration avec le Marshall Project.

Le cauchemar a commencé quand ma fille de 18 ans a été arrêtée pour possession d'héroïne. Essaye de voir le bon côté des choses, me suis-je dit. Ils pourront sûrement l'aider.

Au lieu de ça, ses quatre jours passés en détention ont accéléré sa fin.

Tori était une artiste talentueuse. Elle bossait pour des maisons de production de dessins animés et était l'une des meilleures oratrices que je connaissais. Le problème, c'est que la vie de ma fille n'a pas manqué de se déliter lorsqu'elle a commencé à toucher à la drogue. Elle est devenue très émotive durant son année de terminale – je ne l'avais jamais vue comme ça auparavant. Elle pleurait tout le temps.

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J'ai finalement craqué et ai regardé son journal intime. C'est de cette façon que j'appris qu'elle consommait de l'héroïne et qu'elle fréquentait un garçon, lui aussi accro.

J'ai tenté de lui imposer des interdits. Plus de portable. Interdiction de parler à ses amis sur Internet et d'aller les voir en dehors de la maison. J'essayais même de la priver de sortie. Évidemment, elle allait encore à l'école et je ne pouvais pas contrôler tous ses faits et gestes.

Un an plus tard, ma fille était toujours accro. Un jour, des policiers ont appelé mon mari et moi-même pour nous demander où habitait son petit ami. Ils m'ont précisé qu'un mandat d'arrêt avait été émis à l'encontre de ce dernier car il ne s'était pas présenté à sa dernière convocation au tribunal.

C'est à partir de ce moment-là que j'ai commencé à me dire que si son copain se faisait arrêter, Tori pourrait enfin recevoir l'aide dont elle avait besoin. Je savais qu'elle pouvait aussi être arrêtée. Ç'aurait d'ailleurs été sa première rencontre avec le système judiciaire. J'imaginais que la prison aurait pu être un endroit adapté pour elle et le mal qui la rongeait. Elle serait enfin en sécurité et l'on prendrait soin d'elle. Nous avons donc donné l'adresse de l'appartement dans lequel Tori et son copain venaient d'emménager quelques jours avant.

Deux jours plus tard, le 27 mars 2015, Tori était arrêtée. J'ai immédiatement essayé de contacter tout le monde – les policiers qui m'avaient appelée, celui qui l'avait arrêtée, la prison. « J'ai trahi ma propre fille », me disais-je.

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Je me suis rendue à son appartement pour tout ranger. Je me disais qu'elle serait contente de voir ça en rentrant. Elle reviendrait et prendrait un nouveau départ. J'ai repeint sa chambre et ai dessiné un soleil sur le plafond.

En vain.

Tori m'a appelée depuis la prison deux jours plus tard. Elle avait l'air en plein délire, je parvenais à peine à la comprendre. Elle affirmait que des gens mourraient autour d'elle et que ça allait être son tour. Elle voulait que je transfère de l'argent sur son compte pour qu'elle puisse s'acheter de la limonade, boisson qu'elle ne buvait jamais.

On a tenté de lui rendre visite avec mon mari, mais on nous a dit qu'elle était en quarantaine. On a donc demandé à un gardien d'appeler quelqu'un pour s'assurer qu'elle était en bonne santé. L'appel a été passé, tout allait bien. Rassurés, nous sommes rentrés chez nous.

J'ai coupé mon téléphone cette nuit-là car je savais que ma fille était en sécurité, avec du personnel médical à ses côtés.

À mon réveil, un message vocal du directeur de la prison me demandait de le rappeler. Il n'avait laissé aucun détail. J'ai passé plusieurs appels frénétiques pour savoir ce qu'il s'était passé. J'ai fini par apprendre que ma fille avait été évacuée par hélicoptère jusqu'aux urgences une heure auparavant.

Quand je suis rentrée dans la chambre d'hôpital de Tori, j'ai lâché mon sac et me suis installée à ses côtés. De nombreuses machines étaient branchées à ma petite fille. Des tubes rentraient dans sa bouche, des équipements médicaux étaient rattachés à sa tête. Sa peau était livide, ses yeux légèrement ouverts, complètement apathiques.

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Quatre jours plus tard, ses chances de guérison étaient nulles. Il n'y avait d'autre choix que de la débrancher. Elle est morte le dimanche de Pâques.

Moins de 48 heures avant ma visite à l'hôpital, la prison m'avait dit que tout allait bien. Mais d'après les autres femmes incarcérées, Tori était loin d'être en bonne santé. Elle souffrait terriblement du manque d'héroïne. Elle ne pouvait rien avaler et perdait beaucoup de poids en très peu de temps. Elle était en proie à de fortes hallucinations. Son corps tout entier était affaibli. Elle pouvait à peine se redresser et encore moins se lever. J'ai appris plus tard que ses codétenues avaient été les seules à se préoccuper de son cas, sommant le personnel de la prison de la conduire à l'hôpital.

Aujourd'hui encore, je ne sais pas ce qu'il s'est passé dans cette prison*. Je sais juste que peu de temps après avoir été auscultée par le personnel médical, ma fille a cessé de respirer, ce qui a alors provoqué un arrêt cardiaque. Ils ont fini par l'emmener à l'hôpital, mais c'était déjà trop tard : ma fille était dans un état végétatif.

Je ne sais pas si un membre de la prison a été tenu pour responsable de la mort de ma fille. Je sais seulement que l'un des gardiens n'a pas pu s'empêcher de commenter la mort de ma fille sur la page Facebook consacrée à ce drame :

« Ça me fait vraiment marrer tous ces gens qui veulent que les contribuables paient pour aider les camés à décrocher en prison. C'est inutile. Moi, ce que je pense, c'est qu'on devrait les laisser se démerder, pour qu'ils décrochent à la dure. Quand vous êtes en tort, c'est à vous d'en payer le prix. »

Ma fille avait besoin d'être soignée. Elle aurait dû être surveillée. Elle méritait de la compassion.

Elle méritait mieux, tout simplement.

*Les responsables de la prison n'ont pas souhaité faire de commentaires.

Stephanie Moyer est graphiste. Elle vit à Lebanon, en Pennsylvanie. Le 11 juillet, elle a porté plainte contre le personnel pénitentiaire et les agents médicaux de la prison de Lebanon.