Au comptoir avec Lyes, 26 ans sous La Coupole du vieux Montparnasse

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Au comptoir avec Lyes, 26 ans sous La Coupole du vieux Montparnasse

Les murs de cette brasserie culte sont les témoins des frasques des Années folles, des derniers jours de François Mitterrand et de milliers de liaisons secrètes.

Cet article a été préalablement publié sur MUNCHIES en mai 2016

Bienvenue dans Last Call, notre colonne qui donne la parole aux employés des bars de quartier, des troquets ou autres brasseries emblématiques qui ont marqué leurs époques. Dans cet épisode on est allés à la rencontre de Lyes, l'un des plus vieux serveurs de La Coupole, cette brasserie culte du quartier du Montparnasse qui a accueilli en ses murs les frasques des Années folles, les derniers jours de François Mitterand et des milliers de liaisons secrètes.

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Montparnasse n'est plus le coin groovy du Paris des années 30. La zone embuée du XIVeme arrondissement n'intéresse plus le même monde ; seuls ses brasseries iconiques et ses cinémas semblent encore drainer les foules. Quant aux jeunes d'aujourd'hui, il y a fort à parier qu'ils connaissent plus les salles obscures du coin que l'histoire des cafés célèbres qui jonchent les grandes avenues du Sud de Paris. D'ailleurs, avant de me rendre à La Coupole, ce lieu m'était quasi inconnu – la seule vague image que j'avais de l'établissement tenait dans une scène de film : La Boum de Claude Pinoteau qui y avait été tournée en 1980. Mais j'étais sur le point de découvrir que cette brasserie iconique de Montparnasse avait un historique beaucoup plus riche que ça.

La Coupole ouvre ses portes dans l'entre-deux-guerres, en 1927 – au moment où Montparnasse l'emporte sur Montmartre –, et devient instantanément un lieu incontournable du Tout-Paris et se transforme rapidement en un endroit de rencontre pour les artistes et les intellectuels de l'époque. Un an après son ouverture, la brasserie accueille régulièrement Jean Cocteau, Joséphine Baker, Man Ray, Georges Braque et Louis Aragon qui en font leur point de chute. Quelques années plus tard, Picasso, Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, André Malraux et Édith Piaf deviennent les nouveaux habitués du Café. Dans les années 1940-1950, c'est Ernest Hemingway, Marlène Dietrich et Ava Gardner qui viennent s'y asseoir pour grailler ou tout simplement boire des coups.

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Aujourd'hui, La Coupole semble principalement fréquentée par des touristes à la recherche de cet esprit qu'Hemingway décrit dans Paris est une fête – une forme d'allégresse et d'insouciance propre au Paris des Années folles. À l'opposé du spectre, on y trouve des hommes d'affaires qui semblent davantage préoccupés par la santé financière de leurs boîtes que par les derniers chef-d'œuvres littéraires.

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Car depuis 2011, justement, La Coupole, c'est aussi un prix littéraire qui récompense chaque année au mois de juin un roman ou un récit français paru pendant l'année en cours. La dernière Lauréate était Virginie Despentes pour Vernon Subutex, 1.

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Mais pour l'heure, j'ai rendez-vous à 14h30 avec l'un des plus anciens serveurs de la brasserie. À l'intérieur, une décoration Art déco recouvre la pièce ; les piliers et pilastres en Lap ajoutent à la profondeur du lieu. Peints par Alexandre Auffray, ils sont aujourd'hui classés monuments historiques. Au centre de la pièce, en hauteur, se trouve la fameuse coupole colorée et divisée en quatre points cardinaux. Je checke au comptoir. Je m'installe à une table et je fais la rencontre de Lyes, un serveur de 55 ans qui vient de finir son shift ; on peut commencer à discuter.

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MUNCHIES : Bonjour Lyes, ça fait combien de temps que vous bossez ici en tant que serveur ?

Lyes : J'exerce le métier de serveur depuis 36 ans et ça va faire 26 ans au mois de juin que je travaille ici à La Coupole. J'ai commencé le 5 juin 1991, très exactement.

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Je vois. Il y a dû avoir pas mal de changement depuis votre arrivée ici.

Enormément de changements, à tout point de vue : des changements de direction, des changements de méthode, de clientèle, de personnel. Il a fallu se réinventer pour continuer. Par exemple, on est montés en gamme, on reste une brasserie mais on se veut plus raffiné. Les trois choses qui n'ont pas changé, c'est la tenue classique que l'on porte, le sol comme vous le voyez et le haut des piliers.

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Et puis, il reste vous aussi… La clientèle a un peu changé aussi, non ? Dans la salle, il y a principalement des touristes, des vieux et des hommes d'affaire.

Effectivement. Il y a de moins en moins d'artistes qui viennent manger ici, c'est plus une clientèle d'affaire aujourd'hui – mais c'est Montparnasse dans son ensemble qui a changé. À vrai dire, il y a toujours eu des touristes ici, mais après les évènements tragiques qui se sont passés à Paris, il y a de moins en moins d'étrangers. On a commencé à ressentir ça avec les évènements de janvier 2015 et depuis le Bataclan, il n'y a presque plus de touristes. Malgré tout, on continue de faire salle pleine – depuis les attentats, les Parisiens ont un peu remplacé les touristes.

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En parlant de ces évènements tragiques, à l'époque où il a écrit son roman Paris est une fête, Hemingway venait souvent se la coller dans votre établissement.

C'est vrai. Vous savez La Coupole est une institution depuis 1927 à travers les peintres, les philosophes et les écrivains comme Hemingway. C'est important de s'en souvenir.

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L'histoire qui m'a le plus marqué c'est quand j'ai servi François Mitterrand : c'était 15 jours avant son décès. Quand il s'est levé pour repartir, tout le monde l'a applaudi pendant 4 minutes. Lui marchait lentement vers la sortie avec sa canne.

Et le nom La Coupole, ça vient de la coupole centrale ? C'est d'origine?

La Coupole existait mais les peintures que l'on y voit datent d'octobre 2008. Il y a en tout quatre peintures qui indiquent les quatre points cardinaux. On a fait appel à un peintre de Shanghai pour l'Est, un Argentin a peint le côté Ouest, le Sud c'est un Marocain et le Nord, une Française.

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Il y a une liste quasi infinie de personnes célèbres qui sont venues à La Coupole, en avez-vous servis quelques-unes ?

L'histoire qui m'a le plus marqué c'est quand j'ai servi François Mitterrand. C'était 15 jours avant son décès. Il avait mangé une sole et un curry d'agneau et était assis à la table 82. Je m'en souviens parfaitement. Quand il s'est levé pour repartir, tout le monde l'a applaudi pendant 4 minutes. Lui marchait lentement vers la sortie avec sa canne. C'était vraiment un grand moment. Plus récemment j'ai servi des gens comme De Niro, Stallone ou encore Uma Thurman. On a dû la faire sortir par la porte de derrière à cause de tous les paparazzi qui attendaient devant.

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Que pensez-vous de la réputation exécrable que l'on prête aux serveurs des brasseries parisiennes ?

Cette image est assez vraie. Dans les brasseries parisiennes, on travaille service compris, on ne travaille pas vraiment pour le pourboire. On est une brasserie, donc il faut brasser. Il y a une certaine cadence de rotation à respecter, sinon on ne s'en sort plus. Le but, ce n'est pas de mettre les gens à la porte mais de pouvoir servir tout le monde – même si à La Coupole, on reste courtois et on laisse aux clients le temps de profiter.

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Avez-vous assisté à des dérapages alcoolisés ?

Quelques-uns. Il y avait cet homme qui venait dîner ici tous les samedis avec sa compagne – ils avaient même prévu de se marier chez nous. Un soir, l'homme s'est levé d'un coup et a giflé sa femme. On a dû le sortir de l'établissement. Ils se sont finalement séparés et on ne les a plus jamais revus.

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Triste histoire. Sinon, je me demandais ; en tant que serveur de longue date, vous arrivez à reconnaître quand vous avez affaire à un couple marié, à un homme avec sa maîtresse ou encore à une femme avec son amant ?

Oui je repère très vite les gens qui sont avec leurs amants ou avec leurs maitresses. Mais vous savez, il y en a tellement qu'à la longue on ne fait plus attention. Je dirais même que les hommes viennent plus souvent avec leurs maîtresses qu'avec leur femme. Quand ils le font trop souvent, en tant que serveur on est quand même un peu gêné – mais on reste toujours très discret sur cet aspect de la vie privée.

On doit prendre sur nous. C'est notre gagne pain, il faut rester professionnel. Je ne manquerais jamais de respect à un client.

Je comprends. Et ça se remarque à quoi?

Surtout à la commande. Si je devais caricaturer un peu, en gros, avec la maitresse c'est : « Chérie, qu'est ce que tu prends ce soir ? » ou « Une coupe de champagne pour commencer ? ». Alors que quand ils sont avec leurs femmes, c'est plutôt : « Chérie, prends un tartare, les enfants attendent à la maison. » En fait, c'est toujours plus « grandiose » avec la maitresse, elles sont mieux loties en quelque sorte.

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Une fois, je prenais la commande d'un homme et de sa maitresse et au moment où j'ai servi les entrées, la femme s'est levée et s'est précipitée vers la sortie ; lui est resté assis. J'ai compris que c'était parce que sa femme était en train d'arriver. Les deux femmes se sont croisées sur le pas de la porte.

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Comme si de rien n'était… Y en a-t-il dans la salle aujourd'hui par exemple ?Non, personne. Mais c'est plutôt le soir que ça se passe.

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Plus sérieusement, quels conseils donneriez-vous à un jeune serveur ?

Le meilleur conseil c'est d'écouter, enregistrer les consignes et ne pas faire d'écarts. C'est très important d'écouter le client ; il faut se nourrir de ses réflexions – qu'elles soient bonnes ou mauvaises. Il faut également répéter les gestes des milliers de fois pour les faire à la perfection. Et puis, rester soi-même et prendre les conseils des anciens. Ceux qui pensent déjà tout savoir en arrivant dans un service se plantent toujours. Même moi j'ai l'impression de toujours apprendre, chaque jour. Je suis aussi motivé qu'à l'époque. Je suis passionné par ce boulot et j'aime cet endroit. Je m'arrêterai quand je serai lassé, mais pour l'instant ce n'est pas le cas. Enfin, une des qualités essentielles dans ce métier est qu'il faut avoir un mental d'acier ; ne rien lâcher, même quand on fait 2200 couverts en un seul jour, par exemple.

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Je vois. Et ça ressemble à quoi, un client désagréable ?

Les réflexions mal placées, c'est ce qui est le plus insupportable. On essaye de faire de notre mieux mais on n'a pas 4 bras ni 4 jambes. Parfois on est débordés et on se sent agressés. Mais je ne condamne jamais l'attitude du client. Il a peut être eu une journée stressante, il a mis 15 min a avoir une table, etc. On doit prendre sur nous. C'est notre gagne pain, il faut rester professionnel. Je ne manquerais jamais de respect à un client.

Merci Lyes. À la prochaine.

Félix écrit pour MUNCHIES et ailleurs sur le web. Toutes les photos sont de Melvin Israël.