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Ce qui se passe dans la tête des gens qui n'aiment pas le fromage

Comment réagit votre cerveau quand on vous fout un vieux maroilles sous le nez alors que vous détestez le frometon ? Des chercheurs du CNRS ont mené l'enquête.
Alexis Ferenczi
Paris, FR

En France, le frometon ne laisse personne indifférent. Le pays se divise en deux catégories : il y a ceux qui tueraient père et mère pour un bon morceau de bleu d'Auvergne, de reblochon coulant comme les coulisses de l'Alcazar ou de casu marzu et il y a ceux qui ne peuvent pas les voir en peinture. Quand certains reprennent Brillat-Savarin – « un dessert sans fromage est une belle à qui il manque un œil » (source : citation-online.net) d'autres gémissent, font semblant de rendre ou lâche un rictus de dégoût.

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Dans un article intitulé The Neural Bases of Disgust for Cheese publié sur le site de Frontiers in Human Neuroscience, un groupe de chercheurs du CNRS s'est intéressé aux mécanismes cérébraux à l'œuvre chez les personnes appartenant à la deuxième catégorie. Celle des détracteurs du frometon. Dans un communiqué, ils expliquent avoir voulu lever une partie du mystère qui entoure les mécanismes du dégoût rappelant que « l'aversion est un élément extrêmement puissant dans le monde animal : un élément clé de la survie. »

Quand on en fait tout un fromage https://t.co/agOPAlBgEK pic.twitter.com/JjzDVmfsRI

— CNRS (@CNRS) October 17, 2016

Après avoir observé que le fromage était l'aliment pour lequel l'aversion est la plus fréquente, les chercheurs ont mené une étude d'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle [ndlr : technique qui permet d'obtenir des images de l'activité cérébrale d'un individu pendant le temps d'observation] sur un panel de 30 personnes – 15 aimant le frometon et 15 ne pouvant pas le blairer. Ces « cobayes » ont été confrontés simultanément à l'image et l'odeur de six fromages différents et de six autres types d'aliments témoins. Ils ont ensuite répondu à quelques questions (Aimez-vous l'odeur ou la vue de ces aliments ? Est-ce qu'ils vous ouvrent l'appétit ?) pendant que les réactions de leur cerveau étaient surveillées.

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On a demandé à Jean-Pierre Royet, directeur de recherches au CNRS, spécialiste des neurosciences et un des auteurs de l'étude, de nous faire un making-of de l'étude et de nous raconter ce qu'ils avaient trouvé.

MUNCHIES : Bonjour M. Royet, est-ce que vous pouvez nous expliquer votre boulot ? Jean-Pierre Royet : Je travaille sur les processus cognitifs olfactifs [ndlr : les réactions du cerveau face aux odeurs] et je cherche à les comprendre lorsqu'ils sont engagés chez l'homme. J'étudie les mécanismes cérébraux, c'est-à-dire les circuits neuronaux qui interviennent lors du traitement de l'information olfactive. Je parle ici de la mémoire, de l'identification et des réponses émotionnelles aux odeurs. J'observe toutes ces informations et leur fonctionnement dans le cerveau. L'étude que nous avons publiée porte sur les aversions alimentaires sous un aspect olfactif même si on y a ajouté une dimension visuelle avec l'image des fromages.

Pourquoi avoir choisi les frometons pour mener l'expérience ? L'objectif même de l'étude était de travailler sur les aversions alimentaires. C'est un comportement typique dans tout le règne animal, de la bactérie jusqu'à l'homme. C'est même le fondement de la survie de l'individu et de l'espèce. Si on mange quelque chose qui nous rend malade – un aliment avarié ou même une boisson – on a tout intérêt à ne pas recommencer.

Chez l'animal, c'est faisable. On lui donne un aliment et on le rend artificiellement malade en lui injectant un produit qui provoque nausées, vomissements et douleurs gastro-intestinales. Généralement, il ne veut plus en manger par la suite. Les comités d'éthique nous interdisent de rendre un humain volontairement malade. Il a donc fallu trouver une autre solution ; des individus ayant déjà des aversions alimentaires et qui ne veulent pas du tout manger un aliment précis. J'avais l'impression qu'autour de moi, beaucoup de personnes n'aimaient pas le fromage. Je suis donc parti sur cet aliment en me disant que ce serait plus simple de trouver des gens qui n'aiment pas ça.

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Vous avez fait comment pour trouver des cobayes ? On a d'abord cherché des gens qui n'aimaient pas un aliment – sans préciser lequel pour ne pas les influencer. On leur a présenté un questionnaire – 75 aliments répartis en 8 catégories : fruit, poisson, viande, fromage, choucroute ou cacahuète. Il fallait répondre de 0 à 10 selon qu'ils n'aimaient pas du tout ou énormément le produit.

Parmi les individus qui ont répondu, on a constaté que l'aversion pour le fromage était la plus élevée. J'en ai sélectionné 15 qui n'aimaient pas du tout le fromage mais qui aimaient les autres aliments présentés dans le cadre de l'étude et 15 qui aimaient tous les aliments. Je les ai soumis aux IRMf. Mais il faut dire que trouver 6 % de personnes dans un échantillon de 332 qui n'aiment pas le fromage au point de ne pas pouvoir en manger, c'est un résultat en soi.

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Source : CNRS.

Quelles sont les autres conclusions qu'on peut tirer de votre étude ? L'idée c'était d'étudier les différentes activations cérébrales. Chaque fois que les personnes qui ont une aversion pour le fromage sentent les fromages ils ont des activations en conséquence. J'ai mis en avant 3 structures : plusieurs types de neurones qui interviennent. C'est le reflet d'un ensemble de mécanisme d'excitation.

La première, c'est celle du pallidum ventral, une structure qui est activée quand on a faim, chez les gens obèses quand ils se retrouvent face à de la nourriture hautement calorique ou même dans les jeux d'argent. Ici, elle n'était pas activée lorsqu'on présentait une odeur ou une image de fromage chez les personnes qui n'aiment pas ça.

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Deux autres structures ont été observées : celle du globus pallidus et de la substantia nigra. Les deux font partie du circuit de la récompense et sont activées quand on aime quelque chose. Ici, on a observé qu'elles étaient plus activées chez les personnes qui n'aiment pas le fromage que chez celles qui aiment. Ces activités montrent que le circuit de la récompense – que l'on a logiquement plus étudiée autour de la notion de plaisir – est aussi sollicité en réponse à un stimulus aversif.