Quand votre avocat vous abandonne dans le couloir de la mort
(AP Photo/Eric Risberg)

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Quand votre avocat vous abandonne dans le couloir de la mort

Le système judiciaire américain n'en a rien à cirer des pauvres.

Pendant près de deux mois, John Ramirez est resté assis au fond de sa cellule texane à compter les jours avant son exécution. Il passait son temps à griffonner des lettres manuscrites. Son message était simple : trouvez-moi un autre avocat.

L'exécution de Ramirez a été repoussée la semaine dernière – seulement deux jours avant la date fatidique – après qu'un juge fédéral a mis en évidence les manquements de son avocat. Celui-ci n'avait pas daigné déposer une demande de grâce.

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Le cas de John Ramirez est loin d'être une exception. On ne compte plus les condamnés à mort américains qui ont tout simplement été abandonnés par leur avocat alors que leur exécution approchait à grands pas. Ces cas de figure ne sont qu'un exemple parmi d'autres des inégalités qui règnent dans le système judiciaire étasunien, au sein duquel les pauvres ont de plus en plus de mal à se défendre correctement.

Ramirez a été condamné à mort en décembre 2008 pour le meurtre de Pablo Castro quatre ans plus tôt. Il n'avait que 20 ans le jour où il l'a assassiné. Selon son témoignage recueilli au cours du procès, Ramirez a attaqué Castro en compagnie de deux femmes dans le but de lui voler l'argent tiré d'un deal. Ramirez a fini par lui trancher la gorge avant de le poignarder une vingtaine de fois pour, au final, ne lui dérober qu'un euro. Ramirez a été arrêté plus de trois ans plus tard près de la frontière mexicaine.

Aujourd'hui âgé de 32 ans, il expliquait le mois dernier dans une émission de télévision qu'il regrettait son acte. « J'étais jeune et stupide, avoue-t-il. J'ai fait beaucoup de mauvais choix cette nuit-là. Je n'ai jamais voulu en arriver là – je n'avais pas prémédité de prendre la vie de quelqu'un. »

Ramirez n'a jamais été correctement défendu par son avocat – même s'il a sa part de responsabilité dans cet échec. En effet, à la demande de Ramirez, son avocat a terminé sa plaidoirie par la lecture d'un verset de la Bible : « Car je reconnais mes transgressions, et mon péché est constamment devant moi. »

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Le jury a ensuite délibéré pendant plus de trois heures pour savoir si Ramirez devait être condamné à perpétuité ou bien être exécuté.

Mais le plus grand échec de la défense de Ramirez est ailleurs. Après sa condamnation à mort, le tribunal a nommé un nouvel avocat pour l'assister dans ses démarches. Michael Gross – c'est son nom – a échoué sur toute la ligne, forçant Ramirez à le virer en novembre dernier, sachant que son exécution était prévue pour le 2 février. Depuis trois mois, la marraine de Ramirez cherche un nouvel avocat.

La loi fédérale est pourtant assez claire : une fois qu'un avocat est désigné pour défendre un condamné à mort, il en va de sa responsabilité de représenter son client dans toutes ses démarches jusqu'à son exécution – en procédant notamment à des demandes de grâce. L'avocat désigné ne peut refuser cette tâche, sauf s'il en fait la demande expresse devant un juge – ce dernier nommant alors un remplaçant.

Au final, la marraine de Ramirez est entrée en contact avec Gregory Gardner, un avocat qui a accepté de l'aider. Gardner a envoyé plusieurs motions au tribunal à la fin du mois de janvier, expliquant que Gross n'avait pas fait son devoir et qu'il était urgent pour le juge de repousser l'exécution de Ramirez et de lui trouver un nouvel avocat.

Le 31 janvier, la juge Nelva Gonzales Ramos a accepté la demande de Gardner et a bloqué son exécution. « Au cœur de cette affaire, il y a un détenu dont la défense a été négligée par un avocat indifférent », a-t-elle écrit.

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« Nous constatons que le tribunal refuse d'envoyer des gens à la mort lorsque un avocat arrête purement et simplement de travailler », s'est félicité Gregory Gardner.

Ce n'est pas la première fois que Gross abandonne l'un de ses clients juste avant son exécution. En mars 2016, John Battaglia, lui aussi dans le couloir de la mort, a été sauvé sept heures avant son exécution sur décision d'un tribunal – qui estimait que Battaglia avait été « abandonné » par Gross. En décembre, Battaglia obtenait un nouveau sursis après que la Cour fédérale a estimé qu'il n'était pas « mentalement apte » pour une exécution. (Gross n'a jamais voulu répondre à nos multiples demandes d'interview.)

Le procureur général du Texas a affirmé la semaine dernière que la demande de Ramirez n'était qu'une ruse pour reporter son exécution. Il pointe du doigt le fait que Gardner est intervenu dans les deux affaires, Battaglia et Ramirez. « Il ne s'agit pas d'abandon, mais d'un jeu de rôle », a déclaré le procureur général.

Les avocats et les universitaires qui étudient la peine capitale précisent qu'il est difficile de savoir combien de condamnés à mort sont abandonnés par leurs avocats. « Ça arrive plus souvent qu'on ne le croit », explique Kathryn Kase, une avocate qui travaille pour une association de défense des détenus.

Pendant des années, les avocats américains commis d'office pour défendre des condamnés à mort n'étaient pas rémunérés après le rejet de leur dernier appel auprès de la Cour Suprême, rappelle Kase. Cela signifie que s'ils envoyaient une demande de grâce ou une motion pour suspendre l'exécution, ils le faisaient pro bono.

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« Certains avocats choisissent de payer leur loyer plutôt que de se battre dans une guerre perdue d'avance », ajoute Kathryn Kase, qui précise tout de même que les avocats sont désormais rémunérés jusqu'au bout de la procédure.

Le problème n'existe pas seulement au Texas – même si cet État compte un nombre disproportionné d'abandons. « C'est un gros problème dans notre système judiciaire », dit Eric Freedman, professeur de droit. « Il ne fait aucun doute que des personnes sont exécutées sous nos yeux sans pouvoir se défendre. »

Dans certains cas, comme ceux de Ramirez et Battaglia, l'échec de l'avocat donne souvent lieu à un sursis pour le détenu. En 2014, un détenu du Missouri – Mark Christeson – a vu son exécution suspendue « grâce » à l'incapacité de ses avocats à faire appel dans les délais légaux. Christeson a été exécuté le 31 janvier après un énième recours en appel.

Dans d'autres affaires, le tribunal laisse les exécutions se dérouler même si les avocats n'ont pas fait leur boulot. Raphael Holliday, un autre détenu texan, a été exécuté en novembre 2015 après que ses avocats commis d'office ont émis le souhait de ne plus le représenter.

Que pouvons-nous faire ? Une partie du problème est basiquement liée à l'argent. Les avocats affirment que c'est aux tribunaux de donner plus de moyens aux avocats de la défense, afin d'encourager des défenses de qualité. Cela pourrait éviter les appels à répétition et in fine entraîner des économies à large échelle. Aux États-Unis, le budget attribué aux avocats commis d'office ne représente qu'une infime partie du budget de la Justice. Les procureurs généraux ont dépensé environ 3 milliards d'euros de plus que les avocats commis d'office en 2007, selon Mother Jones.

Dans certains tribunaux américains, la défense dispose de « Capital Habeas Units », une équipe d'avocats surentraînés capables de représenter et de défendre les condamnés à mort. « Vous ne voyez jamais de cas d'abandon quand un détenu est représenté par ces avocats spécialisés », précise Robert Dunham, directeur du Death Penalty Information Center. Il n'existe rien de tel au Texas.

« Personne ne devrait faire face à une exécution sans avoir été conseillé avant, conclut Kathryn Kase. C'est une valeur fondamentale du système judiciaire américain. »

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