Si Haussmann était toujours en vie, comment transformerait-il Paris ?
Toutes les images sont publiées avec l'aimable autorisation du Pavillon de l'Arsenal.

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Si Haussmann était toujours en vie, comment transformerait-il Paris ?

Comme on n'avait pas la réponse, on a suivi vingt étudiants en architecture pendant 48h de workshop.

Pour être honnête, m'enfermer pendant 48 heures avec vingt étudiants en architecture censés imaginer et concevoir en 3D le Paris du futur m'a d'abord semblé être un projet un peu ambitieux pour le premier week-end ensoleillé de l'année. En revanche, la perspective d'assister pour de vrai à un remake architectural de Hunger Games et du Meilleur Pâtissier a suffi à me décider à squatter le Pavillon de l'Arsenal ces 25 et 26 mars. Le centre d'urbanisme et d'architecture parisien invitait des étudiants en architecture à un workshop-hackathon pour répondre à cette vaste question : si Haussmann transformait Paris aujourd'hui, comment le ferait-il ? Avec, en bonus, l'utilisation en avant-première du jeu vidéo The Architect - Paris, un « city-builder », sorte de Sim City du XXIème siècle conçu par l'entreprise française Enodo Games.

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Impossible évidemment, en si peu de temps, de s'attaquer à l'ensemble de la superficie de la capitale. Les futurs architectes sélectionnés seront répartis après tirage au sort dans cinq secteurs géographiques situés le long de la Seine. « C'est une occasion inespérée de travailler sur des endroits comme ceux-là, profitez de cette liberté que vous n'aurez pas forcément dans votre future profession », annonce en guise d'introduction Julien Pansu, directeur de la communication du Pavillon de l'Arsenal. En effet, peu de chance que les participants aient la chance un jour de réaménager entièrement le Champ de Mars, repenser l'organisation du Louvre ou même de reconstruire l'île de la Cité, « dans un secteur où il faut un millier d'autorisations pour pouvoir déplacer un banc », ajoute-t-il.

« Ne soyez pas réalistes surtout, prenez du plaisir », conseille Jean-Baptiste Reynes, cofondateur d'Enodo Games. « Et puis, n'oubliez pas, vous n'êtes pas dans Koh Lanta, ici il n'y pas de traites, pas d'éliminations ». Merde. Les organisateurs espèrent de tout cœur que les étudiants iront le plus loin possible dans le concept, sans jamais se soucier des questions pratiques. « Le Graal serait qu'Anne Hidalgo ait à faire le tour des plateaux TV pour assurer que ce projet est un faux », précise-t-il. Une fois le tirage au sort terminé, les étudiants font connaissance avec les autres membres du groupe. Ils viennent de toute la France — Saint-Étienne, Marseille, Paris ou Rouen — et le challenge est de taille : égaler les prouesses du célèbre baron avec de parfaits inconnus.

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La genèse du Paris du futur

Je décide de faire le tour des groupes, curieux d'assister à la genèse urbaine du Paris de demain. Le premier secteur sur lequel je me greffe est le secteur « Morland », qui comprend donc le sud du bassin de l'Arsenal, l'extrémité Est de l'île Saint-Louis et le quartier de Jussieu. La conversation s'engage assez naturellement entre les trois personnes qui composent le groupe. Le but est de définir un concept stratégique qui servira de fil conducteur au projet. Ludgi, étudiant marseillais, évoque alors les Jeux Olympiques qui se tiendront peut-être à Paris en 2024. L'idée semble faire consensus, ils évoquent tour à tour les infrastructures nécessaires. Les idées fusent, les architectes dégainent leurs calques. Soudain, c'est le drame. « On a oublié le Tesa ! » lance l'un d'entre eux. Les visages semblent inquiets, je n'ai pour ma part pas saisi le problème. « Le té quoi ? » ose-je demander. « Le Tesa, c'est le [ruban adhésif] qu'on utilise pour travailler ». Mon stress retombe.

Je change de groupe et échoue au bord de la tour Eiffel. Ici, les idées sont nettement moins sages, aucun mal pour le coup à se défaire des contraintes et formatage de leur formation scolaire. « On est parti du principe qu'on en avait marre des touristes qui focalisent leur attention et leurs photos sur la tour Eiffel », m'explique Jules, étudiant à Paris Val-de-Seine. L'idée est donc de changer l'esthétique du quartier pour ainsi déplacer et multiplier les centres d'intérêts. « Il fallait partir sur une radicalité et faire un geste fort, à l'image d'Haussmann », précise Préscillia, de Montpellier. Sur leurs logiciels, le groupe s'attèle à la conception d'un vaisseau spatial à la taille démesurée planté au niveau de l'École Militaire faisant face à la Dame de fer. Pour le coup, la référence au « culte de l'axe » d'Haussmann est assumée, celle à Star Trek également.

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En milieu d'après-midi, il est temps pour l'ensemble des groupes de présenter une première version de leurs travaux intégrée au jeu vidéo. Pour l'instant, on ne distingue que de grosses formes appelées « maquettes blanches », esquisses ultra simplifiées du projet à venir. Les formes défilent, les présentations aussi et je remarque une constante : ils sont très peu à proposer des projets au sol. En effet, proposer et investir une dimension surélevée semble avoir le vent en poupe dans les écoles d'architecture : jardins suspendus et « nouvelle épaisseur urbaine » font parties des éléments de langage récurrents. Jean-Baptiste Reynes confirme mon impression : « Personne ne détruit, personne n'ose finalement s'attaquer au patrimoine existant ».

Chaque présentation devant les organisateurs et le reste des étudiants est l'occasion de soulever les incohérences ou problématiques inhérentes à chaque projet : comment mettre en place un toit géant au dessus de Paris sans plonger la ville dans l'ombre ? Quel type de culture maraîchère sur ce pont végétalisé ? Comment se déplacer au sein d'une structure en hauteur ? En Hyperloop ? Malgré les nombreuses interrogations du groupe d'architectes, le débat se cristallise pourtant autour de la tour Eiffel, encore elle. Le vaisseau spatial ne semble pas faire l'unanimité car il risquerait de gâcher une partie de la vue qu'elle offre et de lui faire perdre tout intérêt. « La tour Eiffel est vouée à perdre son leadership dans le futur », se défend un des étudiants. On prend les paris.

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Les esprits s'échaufferont jusqu'à 23h environ. Les bouteilles de vin aidant, les conseils et suggestions des organisateurs sont de plus en plus radicaux à mesure que les heures passent, et incitent les étudiants à aller toujours plus loin dans le concept.

Dernière ligne droite, premiers doutes

Le lendemain matin, nos barons en herbe sont de retour dans la salle de la verrière du Pavillon de l'Arsenal. « On a changé d'heure cette nuit, c'était vraiment pas le moment ! » se désole une étudiante. Il n'y a plus de temps à perdre, le rendu final est prévu à 16h30 et il faut encore tout préciser.

Le secteur de l'île de la Cité rencontre des difficultés. « On est un groupe uniquement constitué de troisième année. On maitrise donc moins bien les logiciels de modélisation que les autres. On perd beaucoup de temps, il nous aurait fallu une journée de plus ! » me confie Valentine. La dernière ligne droite, le dernier épisode c'est toujours le moment le plus excitant : c'est celui des doutes, des remises en question, celui de l'idée lumineuse qui va bouleverser l'ensemble du projet à quelques heures du rendu. Je me dis que s'ils avaient installé un minuteur géant dans la salle, l'événement aurait pu être davantage télégénique, mais ce n'est pas Pékin Express, ont-ils dit.

« Aujourd'hui on s'est perdu, on a proposé une nouvelle trame. On n'a pas réussi à se concentrer sur l'essentiel », m'explique Chloé. Période des doutes existentiels, vous dis-je ! La team tour Eiffel au contraire, celle de la discorde, semble satisfaite. Les conseils de Franck Boutté, commissaire de l'exposition « Paris Haussmann » du Pavillon ont été d'une aide précieuse. « Il nous a permis d'accéder à une certaine forme de cohérence surtout. L'ensemble est beaucoup plus logique », me dit Jules. « Et puis l'équipe est adorable, ils sont aux petits soins. » Précisons que les participants sont entourés d'une équipe d'infographistes dévoués qui modélisent et intègrent les concepts au jeu vidéo. Cette armée de l'ombre fait gagner un temps considérable aux architectes qui peuvent ainsi s'affranchir de toute contrainte.

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Rendu final : hommages et surélévation

L'heure du rendu final a sonné. Pas de totem d'immunité ou de Stéphane Rotenberg à l'horizon mais il tarde à tous de découvrir la mise en commun sur The Architect - Paris des cinq projets. Le résultat est impressionnant. Malgré des concepts différents, le tout forme une succession harmonieuse. La tour Eiffel se retrouve désormais sur une île, la Seine ayant été désaxée, ses abords aménagés en marina. Le vaisseau spatial est devenu un totem, légèrement plus haut que l'emblème parisien qu'il reflètera. Les quais des Invalides et du Grand Palais ressemblent à un immense quartier au style industriel presque néo-fasciste — en apparence seulement car ils abriteront des fermes urbaines et autres laboratoires.

Au dessus du Louvre, on retrouve notre structure surélevée constituée de tubes, inspirée par les travaux de Yona Friedman. « On a voulu donner un infini à Paris, qui est aujourd'hui complètement bloqué », justifie Thomas. Les Parisiens le fusillent du regard. « Je suis marseillais, désolé ! » se défend-il. Un peu plus à l'Est, deux ponts géants enjamberont Notre-Dame. L'un deux permettra même de rejoindre la place du Châtelet depuis le jardin du Luxembourg à l'aide d'un système de télécabines. Enfin, une partie des quais sera reliée afin d'occuper et d'investir différemment la Seine.

« Je suis impressionné », me glisse Alexandre Labasse. « On craignait un effet de collage mais c'est vraiment très réussi. Une seconde ville s'est greffée. » Une deuxième ville, c'est le terme car nos étudiants ont conservé tel quel le patrimoine existant et l'héritage d'Haussmann. Bien que deux semaines de retouche et de finalisation soient nécessaires, le pari est réussi. Les étudiants sont parvenus à aller au-delà de leur apprentissage et savoir-faire théorique. À tel point que le Pavillon de l'Arsenal réfléchit à un moyen d'exposer le travail des vingt étudiants pour en faire profiter le public.

Il est maintenant l'heure pour certains de prendre le train et pour tous, de laisser derrière eux ce qui inspirera peut être les futures grandes politiques urbaines de la ville de Paris. Avant cela, rendez-vous le 11 avril sur le site du Pavillon pour découvrir leurs prouesses !

Quand Matthieu ne passe pas ses week-ends avec des architectes fous, il est sur Twitter.