Gilets jaunes black blocks
Photos: Maxime Reynié pour VICE FR
Société

Un habitué du black bloc nous parle des Gilets jaunes

Un participant régulier à cette tactique de lutte s’est posé avec nous pour nous expliquer comment le mouvement des Gilets jaunes a en quelque sorte ringardisé la pratique du black bloc.

Alors que le gouvernement pousse depuis quelques semaines le fumeux concept d’« ultra-jaune » – comprendre un gilet jaune radicalisé – l’entente entre K-Way noirs et Gilets jaunes semble être au beau fixe après la manifestation du 1er mai. Sans en faire non plus une généralité, on a assisté dans le cortège à plusieurs messages de soutiens – ou même des salves d’applaudissements – émanant des porteurs de gilets envers ceux qui avaient préféré ce jour-là le ciré sombre.

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Matthieu* a la vingtaine, travaille en CDD et habite à Paris. Depuis les manifestations contre la loi Travail, il rejoint régulièrement le bloc noir qui se forme parfois au-devant des cortèges. (Rappelons à ce propos, que le « black bloc » n’est pas une organisation ou un groupe, mais simplement une tactique qui consiste à s’habiller en noir pour s’anonymiser collectivement.) S’il regardait d’un œil distant les premiers pas des Gilets jaunes, il a rapidement fait le choix de venir manifester avec eux à une dizaine de reprises à Paris. En attendant l’Acte 26 de ce samedi, on s’est posé avec lui pour causer du mouvement social qui agite le pays.

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VICE : Comment t’es-tu retrouvé à manifester aux côtés des Gilets jaunes ?
Matthieu : La première manifestation que j’ai faite avec eux remonte au 1er décembre pour l’Acte III. Au départ j’y allais simplement pour voir ce que cela donnait, parce qu’il faut bien avouer qu’au début on était un peu largué avec mes camarades de manif. On ne savait pas trop comment analyser ce qu’il se passait. On avait affaire à des hommes et des femmes qui n’avaient pas les revendications classiques de notre camp, on aurait presque dit un mouvement de droite.

Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ?
À force d’en parler entre nous, on s’est rendu compte qu’il fallait y aller parce que les Gilets jaunes commençaient à développer des revendications très intéressantes – comme le RIC par exemple, même si je le trouve inutile. Ce type de demande est une remise en question directe de la manière dont fonctionne la démocratie. Ainsi, les Gilets jaunes ne s’exprimaient plus seulement contre une réforme, mais contre le système. Du coup, assez rapidement, j’ai pris conscience qu’il pouvait se passer quelque chose de différent dans ce type de mouvement.

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Puis il a dans ces rassemblements quelque chose de très spontané, comme je l’ai vu le 1er décembre. Quand les Gilets jaunes vont au contact avec les flics près de l’Arc de Triomphe, c’est fou. Nous, on aurait jamais fait ça, sauf peut-être en 2016. Mais les Gilets jaunes n’ayant jamais été confrontés à la structure policière et sa violence, ils y vont sans peur, alors qu’ils sont moins préparés et équipés que nous. Après, il faut dire aussi qu’ils sont souvent plus costauds que nous (rires).

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Depuis quelques mois, on a le sentiment que les tactiques utilisées par ceux qui se rejoignent dans le bloc sont acceptées par une partie des Gilets jaunes, ce qui n’est généralement pas trop le cas dans une manif lambda. Comment expliques-tu cela ?
Je vais en manif depuis le mouvement contre la loi Travail, et déjà à l’époque il y avait des gens qui nous soutenaient, mais c’est vrai qu’avec les Gilets jaunes, c’est plus massif. Il arrive souvent pendant une manif que des Gilets jaunes viennent me voir pour me dire « Merci, courage, faites gaffe à vous », alors que je suis en noir et cagoulé, donc identifiable comme « casseur » ou je ne sais quoi. Ça fait plaisir à entendre, mais bon on continue quand même de se faire embrouiller par certains. Puis au-delà de ça, dans les manifestations de Gilets jaunes, on n’est plus les seuls en première ligne, il y a des jeunes, des vieux, des pacifistes, des moins pacifistes. C’est bien, cela crée un échange, on apprend des uns des autres.

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C’est-à-dire ?
C’est un échange qui se fait de manière informelle, en se regardant les uns les autres. Par exemple, les Gilets jaunes fonçaient sur les flics sans être cagoulés et facilement identifiables. Disons que nous, on sait plutôt bien se camoufler et qu'on se fait rarement choper. Ça nous faisait mal de voir un nombre hallucinant de Gilets jaunes se faire ramasser par la police – pour des trucs qu’ils avaient faits ou pas d’ailleurs. Avant le mouvement, les Gilets jaunes n’avaient jamais non plus été en contact avec un proche qui avait fait de la garde-à-vue après une manif. Dans le milieu militant quand tu te lances dans des actions pas forcément légales, on t’explique très vite que si tu te fais choper ça va durer 48 heures, t’as le droit à un avocat, d’aller voir le médecin, de joindre un proche, puis de refuser la comparution immédiate. Du coup, quand j’ai deux minutes en manif, je rappelle à ceux que je croise leurs droits en tant que citoyen.

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En voyant les dernières manifestations, on pourrait donc dire que les Gilets jaunes ont fait exploser sa structure « classique » – police, black bloc, cortège de tête, puis le reste des manifestants.
Oui, il n’y a plus vraiment de bloc distinct. Cela n’a pas que des bons côtés. Par exemple, quand on a un bloc solide, il y a à l’avant des banderoles renforcées, du coup les tirs de LBD sont moins dangereux. Donc quand il n’y a pas de bloc établi, tu t’exposes beaucoup plus, puis les flics ont gagné en mobilité, donc ils peuvent venir t’appréhender rapidement au beau milieu de la manif. À l’inverse, sortir de la pratique du black bloc peut être une bonne chose, puisque c’est assez facile pour les forces de l’ordre de couper le bloc du reste de la manifestation – comme lors du 1er mai 2018 à Paris sur le pont d’Austerlitz.

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Les Gilets jaunes auraient donc un peu ringardisé le black bloc ?
En réalité, la question de l’efficacité du bloc faisait déjà partie des réflexions avant même l’apparition du mouvement des Gilets jaunes. On s’interrogeait sur cette décomposition du bloc. En gros en 2018, on avait plus un « black tas », qu’un black bloc. Si le black bloc est mort parce qu’inefficace j’ai envie de dire « Tant mieux », si on trouve de nouvelles pratiques. Le but est d’être efficace, que ce soit avec ou sans bloc.

Comment être efficace du coup ?
On sait tous qu’on ne peut pas « gagner » une manif. On sait qu’on ne va pas renverser le gouvernement, mais la question c’est : avant de se faire interpeller ou défoncer par un coup de tonfa, est-ce qu’on aura pu faire des choses intéressantes politiquement ? Comme manifester, scander et faire de la casse politique. Après, manifester ou casser, c’est le truc qui prend le plus de place – parce que c’est dur à réaliser, ça prend du temps, ça peut te traumatiser – mais ce n’est pas ce que je fais de plus important politiquement. Ce qui compte, ce sont les réunions, les débats avec mes camarades ou des gens non politisés, s'organiser, faire des maraudes ou des occupations. Pour vraiment lancer quelque chose, il faut aller au-delà du bloc ou de la manif. C’est d’ailleurs ce que les Gilets jaunes avaient réussi à faire avec les ronds-points. C’est dommage que cette pratique se soit un peu perdue, puisqu’ils expérimentaient véritablement l’autogestion.

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