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Santé

La consultation d’un psy encore taboue chez les étudiants en médecine surmenés

Le stigmate que représente une visite chez le psy décourage les étudiants en médecine d’aller chercher du soutien. La performance et l’excellence à tout prix sont bien ancrées dans la culture.
Crédit photo | AP / Charles Dharapak

Les problèmes psychologiques ne sont pas chose rare chez les futurs médecins québécois. Pour beaucoup d’étudiants, on ne retarde pas la demande d’aide uniquement par manque de ressources, mais surtout pour se montrer digne de la fierté et de l’infaillibilité inhérentes au programme.

Une étude réalisée en 2016 par le Journal of the American Medical Association révélait que près de 27 % des étudiants en médecine du Canada et des États-Unis présentaient des signes de dépression. En comparaison, de 8 à 9 % de la population générale en ressentent les symptômes.

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En plus, seulement 16 % des étudiants souffrant réellement de dépression sont allés consulter un médecin. L’un des auteurs de l’étude, Douglas Mata, mentionne que le manque de sommeil des étudiants en médecine peut s’apparenter aux effets du décalage horaire causé par plusieurs vols transatlantiques par semaine pendant plusieurs mois.

Ces statistiques font écho à ce qu’on observe chez le corps médical québécois. Pour la période 2016-2017, le Programme d’aide aux médecins du Québec (PAMQ) fait état d’une augmentation de 40 % des demandes d’aide de la part des médecins.

Les longues études nécessaires à la pratique de la médecine sont souvent une porte d’entrée pour le stress et la pression de performance. Les universités effleurent la prévention des problèmes de santé mentale, mais, selon des étudiants, plus de mesures doivent être mises en place pour déloger l’image d’échec associée au surmenage.

Accès difficile aux psychologues

Sarah* était en première année préclinique lorsqu’elle a commencé à souffrir d’anxiété. Elle était éprouvée par la surcharge de travail de son programme et avait des problèmes avec son copain de l’époque.

La démarche pour se rendre jusqu’à la psychologue œuvrant au Centre de santé et de consultation psychologique (CSCP) de l’Université de Montréal n’a toutefois pas été de tout repos. Ce service est proposé à tous les étudiants de l’université, mais semble déjà surchargé.

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« Il faut appeler le lundi à midi pour avoir ton évaluation, mais quand tu appelles à midi et dix secondes, il n’y a déjà plus de place. Ça peut prendre jusqu’à un mois pour avoir la ligne pour accéder à un rendez-vous d’évaluation, souligne l’étudiante. Une fois que tu réussis à avoir la ligne, tu vas avoir ton évaluation, qui va décider de l’urgence et la nécessité de ta première consultation. »

Après l’évaluation, le temps d’attente pour accéder à la première consultation serait d’environ un mois et demi.

« Tu as droit à 18 séances maximum et ils peuvent seulement en rajouter aux étudiants qui sont vraiment en situation de crise », explique Sarah, qui s’est vu refuser des séances supplémentaires parce qu’elle n’était pas un cas jugé critique.

Elle aurait toutefois espéré pouvoir en recevoir plus. Après la fin des consultations, l’Université de Montréal recommande des psychologues au tarif plus abordable que la normale, mais « ce n’est quand même pas gratuit ».

Quand les étudiants s’en mêlent

Raphaëlle Lalonde-Fortin et Claudia Azuelos sont toutes deux étudiantes à la faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke. Ensemble, elles ont fondé le Programme d’aide aux étudiants en médecine (PAEM) pour soutenir les étudiants en difficulté, tant sur le plan scolaire que psychologique.

« On a cherché des bénévoles qui étaient en deuxième, troisième et quatrième année qui étaient prêts à parler de situations qu’ils avaient vécues dans le passé, explique Claudia Azuelos. En ce moment, on a environ une cinquantaine de bénévoles, on les a mis dans une banque de données, où on dit ils sont dans quelle année et quelle difficulté ils ont vécue pendant leur parcours universitaire. »

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Les services directs d’un psychologue n’étaient toutefois pas adaptés, selon Claudia Azuelos. « On a un psychologue, une fois par semaine au campus de la santé, qui se trouve à environ 20 minutes de voiture du campus principal », explique-t-elle.

Si c’est complexe pour eux d’aller consulter sur leur propre campus, le fait de devoir se déplacer en voiture ruine d’autant plus l’accessibilité aux services, selon Claudia.

Leur idée se base sur l’entraide et sur l’échange entre des personnes ayant vécu le même problème. « Le but est de leur faire comprendre qu’ils ne sont pas seuls », explique Claudia Azuelos. C’est une perception qu’ont beaucoup d’entre eux, selon la cofondatrice du PAEM.

Il existe un réseau d’aide pour les étudiants de l’Université de Sherbrooke, regroupant des professeurs et des médecins bénévoles. Appelés « adjoints à la vie étudiante », ils sont présents pour répondre aux questions des étudiants en difficulté. Ils sont quatre pour les 150 étudiants en médecine sur le campus de la santé à Sherbrooke, précise Claudia Azuelos.

L’importance de se comprendre

Raphaëlle avait éprouvé des difficultés au début de sa deuxième session, remettant longuement en question sa présence dans le programme. Elle se sentait surtout isolée par le fait qu’elle semblait être la seule à avoir un trouble de l’apprentissage et aurait pu bénéficier d’un programme tel que le PAEM.

« J’avais l’impression que j’étais la seule un peu outsider à cause de mon trouble de l’attention. Je me trouvais inadéquate, explique-t-elle. Je pense que si j’avais su que j’avais des ressources et que je comprenais que d’autres vivaient ces choses, j’aurais pu m’associer avec eux et passer à travers. »

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L’ambiance compétitive du programme vient tout de suite en tête quand le sujet de la détresse psychologique des étudiants en médecine est abordé.

Selon Claudia Azuelos, ce n’est toutefois pas nécessairement la compétition qui fait en sorte que les étudiants en médecine sont moins enclins à partager leur souffrance ou leurs difficultés, mais plutôt leur personnalité.

« Par les entrevues, ils ont cherché un profil d’étudiant qui serait capable de passer à travers les études en médecine, indique Claudia Azuelos. Vu qu’on est tous un peu dans ce moule, on n’est pas portés à vouloir s’arrêter dès qu’il y a une petite difficulté. On a tendance à vouloir la surmonter seul. »

L’étudiante ajoute que cette manière de voir les choses encourage les étudiants à se rendre au point de non-retour, où ils n’ont plus le choix d’aller chercher de l’aide.

« Les gens perfectionnistes et sensibles qui ont vraiment à cœur d’être de bons médecins dans la vie ne vont plus savoir quand s’arrêter, ne vont plus voir quand ils ont assez donné », explique Raphaëlle Lalonde-Fortin.

Présentement en année sabbatique, Raphaëlle prend du temps pour elle et insiste sur l’importance de l’accessibilité et la formation adéquate des psychologues. « Je me mets dans un contexte où la première fois que j’ai vu ma psy, c’est parce que j’ai pris une pause, explique-t-elle. Quand on va commencer à avoir des psychologues qui vont comprendre notre réalité, ils pourront s’adapter et aider beaucoup d’étudiants. »

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Sortir de la stigmatisation

En 2011, la Fédération médicale étudiante du Québec (FMEQ) a réalisé un sondage qui a permis de fixer une charte de recommandations aux lieux d’embauche des futurs médecins. La durée des journées de stage, une journée d’étude allouée aux étudiants et l’importance d’avoir un mentor sont abordées par le groupe dans leurs propositions.

Les universités possèdent souvent leur propre centre de soutien psychologique destiné exclusivement aux étudiants en médecine. Toutefois, ces organismes n’ont bien souvent pas la capacité d’envoyer l’étudiant directement chez un psychologue et ainsi obtenir un avis du médecin pour alléger sa charge de travail, au besoin.

À l’Université de Sherbrooke, ces consultations passent par les adjoints à la vie étudiante qui peuvent aider l’élève à s’orienter vers un psychologue. Kévin St-Laurent a eu recours à ce service dans un moment difficile de son parcours.

« L’an passé, on avait notre plus grosse session de préclinique. J’ai commencé à vraiment stresser, l’ambiance était terrible. Pas mal tous les étudiants que je côtoyais se sentaient mal dans leur peau, souligne-t-il. J’ai commencé à faire de l’insomnie à cause du stress, je dormais maximum une heure par nuit. »

Après une semaine, il a décidé de consulter un médecin qui lui a prescrit des médicaments temporaires et lui a remis un avis lui permettant de repousser ses examens.

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Après une rencontre avec un adjoint à la vie étudiante pour comprendre ce qu’impliquait l’annulation d’un examen, Kévin St-Laurent a pris les devants, repoussant son premier examen à la période estivale.

« Je pense que ce qui explique la mauvaise qualité de la santé mentale des étudiants en santé et en médecine relève plus d’un désir d’avoir l’air infaillible, de ne pas vouloir avouer qu’on est à bout, souligne l’étudiant. En fin de session, les adjoints à la vie étudiante peuvent répondre à plusieurs appels d’étudiants en détresse par jour. »

Il croit qu’il existe effectivement un dysfonctionnement, mais est incertain de sa source. « Il y a clairement quelque chose qui ne marche pas, mais je ne sais pas si ça relève autant du manque de ressources que de l’idée que se montrer faillible est un tort », explique le futur médecin.

Raphaëlle Lalonde-Fortin souligne que leur programme semble bénéfique pour les étudiants, mais qu’il y a encore matière à amélioration. « On a seulement eu deux demandes d’aides au PAEM cette session chez les étudiants en première année, même si plusieurs ont éprouvé des difficultés, explique l’étudiante. Pourtant, ils sont 14 à avoir quitté le programme ou avoir pris une pause. »

* Le prénom de la personne citée a été changé pour préserver son anonymat.

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