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Ballon rond

En fait, le foot est un sport de gauche

Si, si... Voici 5 preuves indiscutables
Pierre-Emerick Aubameyang sur son nouveau jouet en septembre 2017. Photo Instagram 

On a tendance à l’oublier, mais le foot n’a pas toujours été un sport de droite alliant capitalisme échevelé, salaires à huit chiffres et mondialisation effrénée. Et il n’a pas toujours été cet opium du peuple divertissant les supporters pour anesthésier leur esprit critique. Bien au contraire, si l’on en croit Mickaël Correia, auteur du livre, Une histoire populaire du football (La Découverte) , le ballon rond a pu être un formidable catalyseur de révoltes. La preuve en 5 moments clés.

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« Ladies football club » ou quand les Anglaises gagnent le droit de vote sur le terrain

Entre la passion des tabloïds pour les « WAGS » dénudées et le traitement réservé au foot féminin, le foot est souvent épinglé pour son côté macho. Pourtant, il a aussi participé à l’émancipation des femmes. À l’apogée de l’empire britannique, des militantes féministes – les futures « suffragettes » - décident se mettre au foot. En montant carrément des équipes nationales. Sous les quolibets des hommes. La palme revenant à Robert Miles, star du cricket de l’époque, qui après le premier Angleterre-Ecosse féminin de 1881, lancera sans complexe : « La maternité, c’est aussi un sport, le vrai sport de la femme ». Les joueuses affrontent aussi l’hostilité du public qui envahit le terrain à plusieurs reprises. Non pas pour porter les buteuses en triomphe, mais pour perturber le déroulement des matchs… Obligées de jouer sous pseudos, les fondatrices du British Ladies Football Club, créé en 1894, enchaîneront tout de même 150 matchs en trois ans.
Pendant la Première guerre mondiale, alors que les hommes sont aux champs de bataille, 150 clubs féminins sont créés dans le royaume. Le niveau de jeu devient très bon, à tel point que les filles réussissent à attirer 35 000 personnes à Saint-James Park, le stade de Newcastle. Entre les actions violentes des suffragettes (attentats à la bombe, grèves de la faim…), les footballeuses marquent les esprits et participent au grand mouvement qui conduira à la conquête du droit de vote en 1918.

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Le « match de la mort » : quand Ukrainiens ridiculisent les Nazis

Printemps 1942. Les Nazis roulent sur l’est de l’Europe et sur l’Armée Rouge. Après avoir pris Kiev, la Wehrmacht organise un championnat de foot local entre ses différentes troupes, histoire d’égayer le quotidien de ses soldats. Au même moment, Josef Kordik, un boulanger ukrainien fan du Dynamo Kiev, recueille dans sa boutique Nikolaï Troussevitch, l’ancien gardien de but du club, tout juste sorti du camp de prisonniers où il croupissait. Les deux hommes nourrissent une idée folle : recréer une équipe de foot 100 % ukrainienne. Et retrouvent six anciens coéquipiers de Troussevitch et trois anciens du Lokomotiv Kiev, l’autre club de la ville, qui acceptent tous d’enfiler le maillot du nouveau FC Start. Pour vivre, toute l’équipe travaille aux fourneaux de la boulangerie de Kordik et, sur son temps libre, commence à affronter des équipes de collaborateurs ukrainiens, puis de soldats nazis. Tous balayés par ces anciens pros.
L’affront ultime survient lorsqu’ils infligent une cuisante défaite aux aviateurs de la Luftwaffe, qui remonte jusqu’aux oreilles de l’état-major nazi. Histoire d’asseoir la domination allemande, les généraux imposent une revanche devant 45 000 spectateurs - et sous haute surveillance. Comprendre : l’arbitre, un officier SS, semble frappé de cécité sur les tacles et autres arrachages de maillots allemands. Mais les joueurs ukrainiens emportent le match 5-3. La déculottée est sévère. Mais elle se paiera cher : arrêtés par la Gestapo dans la foulée, l’équipe sera décimée : un des joueurs mourra sous la torture et huit autres seront déportés au camp de Syrets.

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Les « fellaghas du ballon » : quand des footballeurs défendent l’indépendance de l’Algérie

« Ils nous gouvernent avec leurs fusils et leurs machines. Mais sur un terrain de football, nous pouvons leur montrer qui sont vraiment les plus forts. » Pour Ferhat Abbas, l’un des leaders indépendantistes algériens, le foot est une arme. Que le FLN va magnifiquement utiliser pendant la guerre d’Algérie, grâce à plusieurs de ses joueurs évoluant alors en championnat de France. Parmi eux, Rachid Mekhloufi, la star de Saint-Étienne. Il fait partie des 12 joueurs algériens à quitter la France de nuit et en catimini pour rejoindre le FLN en 1958, et donc à snober les Bleus avec qui il était pourtant censé disputer la Coupe du monde en Suède. Un séisme en France, où Paris Match publie une photo des déserteurs assortie de cette légende : « Maintenant, ils sont au pays des femmes voilées et de l’eau ».
Les « fellaghas du ballon » entament alors une tournée mondiale dans les pays communistes amis - Chine, Vietnam, Yougoslavie, Roumanie, Tchécoslovaquie - où ils offrent à la cause algérienne une vitrine footballistique hors du commun. Respecté pour son engagement et admiré pour son talent, Rachid Mekhloufi revient jouer à Saint-Étienne à l’indépendance. Mieux, il y remporte la Coupe de France en marquant deux buts en finale. Le général de Gaulle lui remet le trophée en lui glissant un élégant : « La France, c’est vous » resté dans la légende.

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La « démocratie corinthiane » : quand Sócrates ébranle la dictature brésilienne

Pour la jeunesse brésilienne des années 1980, la « démocratie corinthiane », c’est un peu leur Woodstock à eux : un bol d’air frais qui souffle sur une société étouffée par la junte militaire au pouvoir. Pour les footballeurs du SC Corinthians, l’équipe de Sao Paulo à l’origine de l’aventure, tout commence en 1981, quand le club élit à sa tête Adilson Monteiro Alves, un jeune sociologue opposé au régime. Avec l’appui du vestiaire et notamment de Sócrates, Casagrande et Wladimir, trois de ses joueurs stars, il décide que le club fonctionnera en autogestion.
Concrètement, cela signifie que tout est soumis au vote et que les recettes des matchs sont redistribuées équitablement entre tous – joueurs, chauffeur de bus ou femme de ménage. Le club, qui devient une sorte de laboratoire populaire de la démocratie, interpelle les Brésiliens : si l’autogestion et la démocratie directe fonctionnent dans le football, pourquoi cela ne marcherait-il pas à l’échelle de la société ? D’autant que l’équipe gagne deux fois le championnat pauliste grâce aux exploits de Sócrates, le meilleur joueur de l’équipe.
En parallèle, un vaste mouvement anti-dictature commence à se bâtir. Pendant les manifs monstres de 1984, Sócrates, pourtant censé partir en Italie pour un contrat mirobolant, met en jeu sa carrière en disant lançant devant la foule : « si la dictature chute, je reste au Brésil ». Que les footeux ont eu, parfois, une conscience sociale et politique.

Les « Ultras d’Al Ahly » : quand les supporters précipitent à la chute de Moubarak

On les réduit souvent à une bande de bourrins violents uniquement capables de hurler « arbitre enculé » depuis leur kop. Cette image réductrice des ultras n’a jamais été aussi éloignée de la réalité qu’en janvier 2011, aux prémices du printemps arabe. À la veille de la grande manifestation anti-Moubarak, les ultras d’Al Ahly, le club le plus titré du pays et d’Afrique, mobilisent leurs milliers de fans pour soutenir les manifestants. Bien organisés, habitués aux affrontements contre la police dans les stades, ils s’attaquent même au barrage défendant le Parlement égyptien à coups de fusées. Leurs chants moqueurs et leur sens de la punchline les propulsent à la tête du mouvement d’opposition au régime qui occupe alors la place Tahrir, qu’ils transforment en forteresse grâce à leur expertise en matière d’incendies de voitures et de jets de projectiles de toutes sortes.
Un mois plus tard, Moubarak démissionne, mais l’armée qui assure l’intérim n’oublie pas combien les ultras d’Al Ahly peuvent être dangereux pour l’ordre établi. Un an plus tard, les forces de sécurité ne bougent pas le petit doigt quand, lors d’un match contre Al Masry, un club de Port-Saïd, les ultras locaux massacrent les fans d’Al Ahly. Pire encore, pendant la bagarre générale, les portes du stade sont fermées. Bilan : 74 morts et plus de 200 blessés, un bain de sang vécu comme une vengeance orchestrée par le pouvoir militaire par les ultras d’Al Ahly.

Une histoire populaire du football par Mickaël Correia, 416 p., Éditions de la Découverte