Les jeunes prêtres
Photos : Guillaume Chauvin pour VICE FR

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Société

Les prêtres ne sont pas tous des vieux ringards

On a discuté avec quatre jeunes qui ont choisi la foi chrétienne plutôt que de passer leur vie devant un écran plasma à regarder « Les Anges de la Téléréalité ».

Malgré une image à la fois ringarde et répréhensible dues aux déviances condamnables des générations précédentes, Charles, David, Johan et Jérémy parlent ouvertement de cette vocation qui les lie autant à Dieu ainsi que des besoins courants des croyants, alternant bible et smartphone. Leur quotidien relève plutôt d’un don de soi total et d’une recherche du bonheur à travers Dieu, avec des journées parfois plus chargées que celles d’un médecin de campagne. Malgré une crise des vocations, la proportion de prêtres pour le nombre de pratiquants reste bonne. Pour le devenir, il faut passer par le séminaire : l’école des prêtres.

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Le séminaire dure six ans, où chacun mûrit ce projet de vie radical, découvre et teste l’isolement, comme le célibat. La formation du prêtre comporte quatre dimensions : spirituelle, pastorale, humaine (diplomatie du quotidien) et intellectuelle (philosophie puis théologie). Il arrive souvent que certains réalisent ne pas être transcendés et abandonnent ou changent de voie en cours de cursus.

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David.

Cette année 114 prêtres ont été ordonnés en France, mais rares sont les non-croyants à savoir de quoi la foi catholique est-elle vraiment le nom, et pourquoi certains lui consacrent encore leur vie quand on peut passer sa vie devant un écran plasma à regarder Les Anges de la Téléréalité du matin au soir entre deux journées de boulot dans le tertiaire.

David, 33 ans, prêtre

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David.

Vivant dès l'âge de 17 ans avec sa grand mère, David assiste à sa première messe à 20 ans. Habité mais rêvant d’être vétérinaire, il passe un bac S puis réalise que Dieu est sa seule passion. Il fait les démarches pour devenir prêtre, un curé lui dit de revenir après avoir plus travaillé et vécu. Il vends alors des chaussures pendant deux ans puis démissionne. Le même jour, il se tourne vers Dieu : « Je ne savais pas ce qu’était être prêtre mais c’est ce que je voulais ». Il entre au séminaire à 24 ans avant d’être nommé dans le 93 pour y agir « au nom du patron ».

David est devenu prêtre « pour être heureux » bien que « selon la société, ce métier offre tout pour rater sa vie : pas d’argent, pas de carrière, pas de famille… et la Seine-Saint-Denis ». Aujourd’hui, Montfermeil et sa réputation sulfureuse rassemblent quatre prêtres pour une population mixte. David prend ce qui l’intéresse dans chaque rite traditionnel, progressiste ou charismatique, et ne définit pas son rôle comme celui d’un animateur, d’un aide sociale ou d’un psychologue. Il n’est là que pour la foi. Pas celle qui endort les gens mais celle qui les réveille. Je comprends mieux sa collection de DVD Star Wars dont les enjeux et la grande quête lui parlent particulièrement.

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David.

David et ses collègues sont aussi confrontés à de l’intégrisme islamiste, parfois prôné par des ex-catholiques reconvertis. Il considère cela comme une bonne leçon donnée à l’église : « Depuis les années soixante les chrétiens ont trop édulcoré leur approche alors que l’homme a besoin de cadres, ce que propose justement cet islam radical. Oser exiger beaucoup de tes disciples prouve ta confiance en eux, ce qui est exploité par certains islamistes qui disent que « si le prêtre, contrairement à l’imam, te laisse aller au foot plutôt qu’à la messe, c’est qu’il sait qu’il a tort et que son Dieu est faible. » En 2018 l’église récolte ces mauvais fruits qu’elle a semés ». Avec ses propres fidèles il compare le catéchisme à l’école : « l’enfant n’a pas envie d’y aller mais il le doit pour apprendre à se construire ».

« Dieu n’est pas forcément un obstacle au bonheur » – David

Diplomate du quotidien, David raconte ce mariage où les familles souhaitaient du Céline Dion pendant la messe : « D’accord si on envoie un "notre père" au vin d’honneur ». Il tient à ce que tous gardent un bon souvenir de l’église et accepte tout ce qui a du sens pour les paroissiens, en restant compatible avec sa vision de la foi et de l’église. Son avis sur la question du célibat : « Même selon Dieu "l’homme n’est pas fait pour être seul". Ce célibat, qui serait impraticable sans le soutien de la foi, a pourtant un sens évident : la solitude permet le développement d’un amour supérieur. » Et comme David donne tout par amour, il se considère comme « déjà pris », distinguant bien plaisir et bonheur. Dans 10 ans il ne sera plus à Montfermeil mais toujours dans le 93 qui l’a vu naître et qu’il garde dans son coeur. Quand il me dépose au RER, sa voiture envoie un vieux Snoop Dog. David ajoute : « Dieu n’est pas forcément un obstacle au bonheur ».

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Johan, 29 ans, prêtre coopérateur

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Johan.

Avant l’église, Johan se destinait à devenir boulanger et fonder une famille, jusqu’à la révélation de sa vocation, aussi soudaine que certaine. Malgré une mère en larmes et un père ne considérant pas ce choix comme possible métier (« que des pédés et des pédos »), Johan termine son CAP boulangerie par une année prépa « Saint-Paul », puis quatre ans de théologie, un an d’étude liturgique et deux ans de stage pastoral, avant d’être ordonné en la cathédrale de Strasbourg.

« Un des pires souvenirs de Johan concerne une famille qui voulait avancer l’enterrement d’un proche pour partir en vacances plus tôt. » – Johan

C’est la figure mystique de Marthe Robin qui inspire Johan, sa foi vécue depuis son lit et son talent « d’inédie » : ne plus boire ni manger plus qu’une hostie par semaine, ce que Johan avoue ne pas pouvoir envisager. Pour lui la mission du prêtre consiste en l’espérance, l’annonce des évangiles et les bonnes nouvelles. Pour réaliser ses prêches, Johan peut compter sur son inspiration, mais aussi sur des textes et des homélies maintenant disponibles sur smartphones et tablettes, le livre n’étant pas un objet sacralisé par les catholiques. D’ailleurs l’église n’oublie pas ses futurs fidèles et prévoit une appli pour envoyer ses prières directement aux prêtres connectés.

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Johan.

Un des pires souvenirs de Johan concerne une famille qui voulait avancer l’enterrement d’un proche pour partir en vacances plus tôt. Le jeune homme dit pourtant voir plus de bonnes choses que de mauvaises.

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Dans 10 ans, Johan s’espère aussi énergique et appliqué, « malgré les cheveux blancs ». Avant de nous quitter, il m’invite à un repas qu’il prépare et bénit pour deux. « On ne peut pas faire ce métier sans vocation, encore moins sans Dieu. » Johan confie ne pas aimer l’avion. Pourtant, devant le dessert, je me dis que sa place est aussi dans le ciel.

Charles, 34 ans, prêtre coopérateur

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Charles.

Sans son col blanc et son clergyman (l’habit quotidien du prêtre), Charles ressemble à un type normal. « Toujours à la bourre », il arrive pile à l’heure aux messes ou aux enterrements, jamais avant, mais il reste volontiers après avec les paroissiens pour discuter ou pour l’apéro. Amoureux de Jésus, ses camarades de séminaire décrivent sa liturgie plutôt « charismatique ».

« C’est finalement la science qui m’a aidé à trouver la foi » – Charles

Charles s’est toujours senti chrétien, entouré de deux frères ingénieurs, un père mécanicien et une mère prof de maths. Il fait à 22 ans l’expérience de l’amour de Dieu en priant avec d’autres étudiants. Trois ans plus tard, il fait le choix de suivre le Christ et devient prêtre. Après deux ans en CDI chez Vinci, il annonce au mois août entrer au séminaire en septembre. Malgré les questions de l’équipe, l’amitié dure et ses collègues sont présents pour son ordination. Depuis, avec un ami ingénieur et un autre philosophe, ils sont trois étudiants de son groupe de prière à être rentrés dans les ordres. Il n’y a pas de hasard, et « c’est finalement la science qui m’a aidé à trouver la foi ».

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Charles.

Charles est un fonctionnaire rémunéré par l’Etat suite à un accord signé par Bonaparte en 1801 – le Concordat. Ailleurs en France, les ecclésiastiques vivent des dons de la paroisse et de leur diocèse. Il touche 1400 euros par mois, logeant seul ou à plusieurs au presbytère. Entre deux morceaux joués sur son synthé, Charles défend une religion ouverte, lui-même membre du mouvement inter-religieux « coexister » rassemblant des jeunes chrétiens, musulmans et juifs. Malgré cela, il regrette comme beaucoup d’autres prêtres de voir parfois les fidèles s’adresser à l’église comme à une salle polyvalente : « on veut cette musique au mariage, des ballons, et la même chanson que le curé sur Youtube. »

Charles vit son célibat comme une disponibilité du cœur et une fidélité dans la prière. « Quand tu aimes Dieu et l’Église, c’est comme quand tu choisis une fille plutôt qu’une autre. C’était pour moi le choix le plus épanouissant. » Au point qu’il rit quand une amie lui lance : « Si t’en as marre du célibat, appelle moi ! » Sur la même lancée, il explique que depuis les accusations portées contre l’église, il s’oblige, par précaution, à ne plus accepter sur ses genoux que ses neveux et nièces. Pour souffler, Charles jour aux jeux vidéo en ligne, va rouler en vélo ou part en vacances en auto-stop.

Jérémy, 29 ans, Vicaire

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Jérémy.

La prêtrise de Jérémy est la suite naturelle de son engagement paroissial d’enfance. D’abord jeune servant de messe, puis communiant et lecteur, il entre au séminaire à 21 ans. Avant de répondre à sa vocation, Jérémy a suivi des études de graphisme qui lui servent encore quand il faut produire des supports pour la paroisse.

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Un moment fort de sa jeune prêtrise a été son année passée chez des frères franciscains au Maroc. De retour en Alsace, il célèbre sa toute première messe, les fidèles ayant traditionnellement couvert de fleurs le chemin reliant sa maison natale à l’église. Bien que sensible au mystère de la liturgie, Jérémy aime aussi converser avec les croyants ou laïcs plus ou moins originaux qui passent devant chez lui. Il apprécie également la présence active des bénévoles avec qui il collabore, car l’église repose aussi sur eux. Pour lui comme pour encore nombre de prêtres actuels « Dieu est une réalité expérimentale, individuelle et incommunicable ». Loin des « chrétiens du dimanche » que fustige Belmondo dans le film Léon Morin prêtre.

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Inversement au graphiste qu’il aurait pu être, Jérémy apprécie de pouvoir se confronter au monde extérieur et au cycle de la vie, du berceau au cercueil. Un enseignement rare lui offrant de relativiser certaines questions. Sur le célibat par exemple, Jérémy n’hésite pas : « Marié ou pas, la vie est difficile ! Toute vie a ses renoncements, cette forme de renoncement n’étant pas propre qu’aux prêtres : c’est un peu comme une mère de famille qui élève son enfant, elle n’est pas dans une contrainte destructive, rien n’est subi. »

Dans 10 ans Jérémy sera très probablement curé et sait qu'il y aura moins de prêtres. Beaucoup seront retraités ou morts. Le visage de l’église aura changé et il y aura de nouveaux défis et méthodes à adapter pour accompagner spirituellement les fidèles. Je quitte Jérémy, incollable sur les Citroen DS, les voitures de collection et les sketches des Inconnus, pour le laisser préparer l’homélie d’un enterrement dans une heure.

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