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Stéroïdes et Strychnine : une brève histoire du dopage dans le sport

Si le dopage fait la une des journaux sportifs en ce moment, le phénomène n'est pourtant pas récent. Les athlètes se dopent depuis l'Antiquité, et souvent de manière très bizarre.

À quelques semaines des Jeux de Rio, il semble y avoir de nombreuses problématiques à prendre en compte pour les organisateurs. Des inquiétudes par rapport à la hausse du taux de criminalité, au désordre civil et à l'instabilité économique ont été soulevées alors que le virus Zika a déjà poussé quelques grands noms à abandonner les Jeux. Il subsiste des doutes par rapport aux infrastructures et aux services publics à Rio, et certains ont demandé à ce que l'événement soit repoussé voire annulé. En attendant, le monde du sport doit affronter ses propres démons. Car cet été, le sport s'est retrouvé de nouveau face-à-face avec son pire fléau : le dopage.

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Si le dopage était une maladie infectieuse, alors la Russie en est certainement atteinte actuellement. Après la révélation d'un programme de dopage des sportifs russes couvert par l'Etat, l'IAAF avait décidé de bannir tous les athlètes russes des Jeux olympiques. Le CIO a finalement tranché dimanche : la délégation russe pourra participer aux JO, mais les athlètes seront examinés au cas par cas, et tout participant potentiel ayant été contrôlé positif dans sa carrière et ayant subi des contrôles antidopage appropriés et fiables à l'international pourra être présent à Rio.

Le couperet est tombé sur l'athlétisme russe. Photo EPA Image/Kay Nietfeld.

Cependant, le dopage n'a pas toujours été traité avec une telle sévérité. Avant de monter sur nos grands chevaux par rapport aux athlètes russes – sans parler de Tyson Gay, Lance Armstrong, Dwain Chambers et de nombreux autres – l'usage de produits dopants faisait partie intégrante de l'effort athlétique et était récurrent dans le sport de compétition. Le dopage est une caractéristique des Jeux olympiques depuis l'Antiquité et les sportifs essaient d'obtenir un avantage chimique sur leur adversaires depuis la nuit des temps. Ça peut offenser les sensibilités modernes, mais l'amélioration des performances a un passif historique énorme. D'ailleurs, il y a eu des époques où le dopage dans le sport était presque ordinaire.

Les premières fois où le dopage et le sport se sont croisés dans l'histoire remonte à l'époque de la Grèce antique et des Jeux olympiques originaux. À l'époque, l'athlétisme allait de pair avec l'idée de citoyenneté et avec l'aptitude d'un homme à servir sa cité sur le champ de bataille en temps de guerre. Le lancer de javelot est la preuve de la nature martiale des premiers Jeux, tout comme le sont des événements tels que les courses de chars, la lutte et la course en armure. Pendant l'Antiquité, les soldats buvaient souvent des concoctions d'herbes avant de se jeter dans la bataille, soit pour augmenter leurs forces et leur endurance, soit pour qu'ils se comportent en héros. Il s'agissait principalement d'amélioration de performances et ces pratiques semblent être passées du champ de bataille à la piste de course et au gymnase.

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Le site des Jeux olympiques dans la Grèce antique. Image Via Wikipédia.

Les Jeux antiques étaient probablement en proie à ce que l'on appelle aujourd'hui dopage même s'il y a peu de preuves montrant que l'amélioration des performances était tabou comme elle l'est aujourd'hui. Il paraît plus vraisemblable que les avantages chimiques aient été un aspect assez commun de l'événement, juste une autre facette de la compétition féroce inhérente aux Jeux. Il existe des preuves suggérant que des pratiques similaires ont continué d'exister dans les hippodromes romains et il semble que l'usage de produit dopant ait été la norme culturelle. Parmi les peuples barbares qui ont fini par envahir la Grèce et Rome, l'usage d'infusions herbales et autres était tout aussi répandu. Pour ce qu'on en sait, le dopage aurait aussi bien pu être un aspect banal de la compétition, depuis l'Empire Romain au Moyen-âge, et au-delà.

C'est au XIXe siècle que le dopage a certainement connu son apogée. Avec les progrès constants de la science, de la technologie et de la médecine, de nouveaux produits dopants plus efficaces sont devenus disponibles. Mais la plupart d'entre eux étaient incroyablement dangereux et pouvaient être mortels pour leurs consommateurs. Vers la fin du XIXe, les courses à pied de longue distance sont devenues à la mode et certains participants se sont tournés vers le laudanum – un opiacé addictif et potentiellement dangereux – pour rester éveillé pendant de longues périodes. Bientôt, les courses cyclistes de longues distances ont fait leur apparition et les concurrents acharnés ont pris des amphétamines et même de la nitroglycérine pour se donner les moyens artificiels de continuer.

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Major Taylor, mène la course. Photo Via Wikipédia.

Lors d'une course de cyclisme de six jours, à New-York en 1896, le champion Major Taylor a refusé de continuer en disant : « Je ne peux pas continuer en toute sécurité, il y a un homme qui me court après avec un couteau dans la main. » Il avait probablement des hallucinations dues aux effets d'un cocktail de stimulants, ce qui était tout sauf rare. Un article du New York Times de 1897 faisait référence au cyclisme longue distance en parlant de « compétition sportive au cours de laquelle les participants deviennent fous et drainent leurs forces jusqu'à ce que leurs visages deviennent hideux tellement ils sont torturés. » L'article continuait : « Ce n'est pas un sport mais de la torture. » C'était la réalité contemporaine du dopage assumé, qui, à ce stade, avait commencé à avoir des conséquences physiques désastreuses et parfois immédiates sur ses victimes.

L'un des cas les plus célèbres du début du XXe siècle est celui du coureur américain Thomas Hicks qui a gagné le marathon des JO de 1904 après qu'on lui a fait ingérer un mélange de strychnine et d'alcool. Alors qu'il s'approchait de la fin de la course, son entraîneur, Charles Lucas, lui a injecté le produit et lui a fait boire un verre de cognac. Cela lui a donné le regain d'énergie nécessaire : avec une seule injection, il a fini champion. Malheureusement, la strychnine est extrêmement toxique et l'a quasiment tué. Il a été dit qu'il était « entre la vie et la mort » après la course et bien qu'il se soit remis à temps pour recevoir sa médaille, il n'a plus jamais pris part à une compétition d'athlétisme.

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Thomas Hicks après sa victoire aux Jeux de 1904. Photo Via Wikipédia.

C'est autour de cette époque que le monde du sport a commencé à voir le dopage d'un mauvais œil. Non seulement il était mauvais pour la santé des athlètes, mais il était également une insulte à l'idéal du sportif gentleman. L'idée de l'athlète clean a commencé à se développer et la stigmatisation sociale du dopage s'est progressivement répandue. Néanmoins, l'usage de stimulants dans le sport pendant les quelques décennies qui ont suivi a été bien documenté, alors que les abus de cocaïne, de caféine et d'amphétamines sévissaient vraisemblablement encore au moment des Jeux olympiques de Berlin en 1936.

Ce n'est pas avant 1960 que les fédérations de sport ont commencé à bannir certaines substances et le Comité international olympique n'a établi ses règles sur le dopage qu'en 1967. Cela a été en partie provoqué par le développement de stéroïdes anabolisants lors de la décennie précédente et les sérieux problèmes de santé qui avaient commencé à se déclarer parmi les consommateurs. L'origine des abus de stéroïdes dans le sport peut être retracé à John Ziegler, un physicien américain qui a lancé son usage auprès de l'équipe d'haltérophilie américaine. Les haltérophiles gagnaient de la masse en très peu de temps et produisaient du muscle très rapidement. Malheureusement, beaucoup d'entre eux ont vite commencé à développer de sérieux problèmes cardiaques, dont certains conduiront à leur mort prématurée.

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John Ziegler, le papa des stéroïdes. Via getbig.com.

Le développement des stéroïdes anabolisants par Ziegler est indissociable du contexte sportif, à savoir la grande rivalité olympique pendant la Guerre froide. Le bras de fer idéologique entre les Etats-Unis et l'URSS se jouait constamment entre leurs athlètes respectifs, les triomphes éventuels d'un des deux pays étant récupérés pour faire de la propagande. En 1954, Ziegler est allé à Vienne avec l'équipe d'haltérophilie américaine et s'est lié d'amitié avec un physicien russe qui, un jour, saoul, lui a demandé : « Qu'est ce que tu donnes à tes gars ? » Il s'est avéré que son homologue russe donnait de la testostérone à ses compatriotes, ce qui a inspiré Ziegler à chercher une alternative plus forte et plus efficace. Il a fourni des stéroïdes prototypes à ses athlètes et cela a eu des effets dévastateurs sur la santé de certains.

Bien que les stéroïdes et les autres produits dopants étaient sur le point d'être mis sur la liste de substances bannies, cela n'a eu pour effet que de développer le dopage clandestin. L'ère de la consommation de drogues dopantes à outrance était révolue, mais le dopage illégal tel qu'on le connaît aujourd'hui ne faisait que commencer. On n'en verra plus l'usage assumé lors des compétitions sportives, comme lors de la saison de 1962-63 en Angleterre au cours de laquelle l'équipe d'Everton a été sacrée championne de première division alors même que beaucoup de leurs joueurs étaient chroniquement dépendants de la benzedrine, amphétamine puissante. Au lieu de ça, le dopage est devenu un petit secret, destiné à n'être révélé que sporadiquement par de grands scandales.

Il y a eu l'équipe olympique de l'Allemagne de l'Est de 1970 et 1980, avec beaucoup de joueurs qui se voyaient administré systématiquement des stéroïdes anabolisants depuis leur plus jeune âge. Puis il y a eu les Jeux de Séoul en 1988, au cours desquels Ben Johnson a battu le record du monde du 100 mètres et à qui on a retiré sa médaille après avoir été contrôlé positif à un stéroïde appelé stanozolol. Six des huit finalistes l'accompagnant, dont Carl Lewis, Linford Christie, Dennis Mitchell et Desai Williams ont été impliqués dans des scandales de dopage plus tard dans leur carrière. Ils étaient les plus grands noms de l'athlétisme et leur réputation ternie est devenue le symbole de la prévalence perfide du dopage.

Depuis, on a vu des centaines d'athlètes dévorés par des scandales de dopage. Le nombre de cas augmente au fur et à mesure que les autorités améliorent leurs techniques de détection des substances interdites. Michelle Smith, Marion Jones, Justin Gatlin, Asafa Powell – la liste est longue. En effet, remis dans le contexte de la trouble et longue histoire du dopage, le scandale qui entoure aujourd'hui les athlètes russes n'est qu'une autre note de bas de page. Les produits dopants et la compétition sportive ont marché main dans la main pendant des siècles et pourraient bien continuer de faire ainsi pour les siècles à venir.