Sous une boîte de nuit parisienne, un bidonville de migrants
Matthieu Jublin/VICE News

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Sous une boîte de nuit parisienne, un bidonville de migrants

Au bord de la Seine, entre 100 et 200 migrants s’entassent dans un bidonville juste sous des lieux branchés de la capitale.

À 10 heures, ce lundi matin, sous la structure vert pomme du bar en extérieur du club le Wanderlust, le « camp d'Austerlitz » se réveille calmement, aidé par les ouvriers du bâtiment qui commencent à travailler à quelques mètres d'ici. Quelques tentes vertes et bleues commencent à s'agiter, parmi les dizaines installées sur ce quai parisien qui borde la Seine. Adam sort de l'une d'elles. Ce Soudanais de 26 ans vient d'une région voisine du Darfour, touché par un conflit armé depuis 2003. Il n'a pas de papiers, comme une bonne partie des 100 à 200 personnes qui vivent dans ce bidonville.

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Les tentes dans lesquelles les migrants vivent, sous la terrasse du club le Wanderlust.

Ces dernières semaines, une série d'évacuations de tentes de migrants a eu lieu au Nord de Paris, autour de la station de métro La Chapelle, mais aussi à Calais, où sont réunis les migrants qui cherchent à entrer au Royaume-Uni. L'évacuation du bidonville du quai d'Austerlitz, annoncée il y a deux semaines par le préfet de police de Paris, Bernard Boucault, n'a pas encore eu lieu. Contactée par VICE News ce lundi, pour savoir si une évacuation est toujours à l'ordre du jour, la préfecture n'a pas répondu à l'heure où nous publions cet article.

À lire : Près de 400 migrants évacués du plus grand bidonville de Paris

Adam rejoint Ibrahim et Ahmed, deux autres Soudanais déjà réveillés. Tous les trois sont arrivés dans le bidonville il y a environ deux mois. Mais le « camp d'Austerlitz » est plus vieux que ça. De mémoire d'autres migrants, il accueille plus d'une centaine de personnes depuis au moins un an, et divers sans-abri depuis des années. En 2007, une étude universitaire mentionnait déjà son existence, remarquant son emplacement : entre le ministère de l'Économie et de grands bâtiments en verre abritant des banques d'affaires.

Adam et deux autres migrants font face à la Seine, devant les tentes du "camp d'Austerlitz".

Depuis 2012, le bidonville compte un nouveau voisin : la Cité de la mode et du design. Dans cet énorme complexe culturel investi par la jeunesse branchée, on trouve par exemple le Wanderlust, un bar-restaurant à la mode, situé juste au-dessus du bidonville.

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« C'est bizarre de vivre ici, » explique Adam, à propos de la cohabitation entre la population du camp d'Austerlitz et celle du Wanderlust. « Les gens qui font la fête au dessus, ils ne descendent pas trop par ici. Ils regardent, parfois. » Il ajoute, laconique : « Une fois, j'ai vu un mannequin, enfin on aurait dit un mannequin. Ça, c'était bizarre. »

Adam n'aime pas être pris en photo, mais accepte de raconter en détail son parcours. Il a fait partie de ces milliers de migrants, arrivés sur les côtes italiennes ces dernières années. Lui, c'était il y a sept ans environ. Il garde de son Soudan natal une vilaine cicatrice en bas du mollet, due à une balle qui l'a traversé. « Il faudrait que je la fasse examiner, mais je veux avoir des papiers d'abord. » Adam dit avoir payé environ 2 500 euros à des passeurs pour qu'ils l'emmènent de la Libye à la France, via la Sicile. « Je veux rester en France maintenant, » ajoute-t-il, mais il ne semble pas familier de la procédure de demande d'asile.

Adam, au milieu des dizaines de tentes que compte le lieu.

Avec un de ses compatriotes soudanais, il apprend à prononcer « Ofpra », acronyme de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, à qui les migrants adressent leurs demandes d'asile. « Les gens ici, ils aiment bien les papiers, » ironise-t-il.

« Si la plupart des gens n'ont pas de papiers ici, c'est parce qu'ils veulent être réfugiés au Royaume-Uni, » explique Ahmed, un des autres Soudanais réveillé ce lundi matin, avant de partir pour aller prendre sa douche dans un centre d'accueil situé près de la station La Chapelle.

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Ahmed, Soudanais de 30 ans, devant le bidonville.

Le troisième Soudanais, Ibrahim, est dans ce cas. « Je veux aller en Angleterre. Là-bas, je connais des gens, et puis je parle Anglais. » Ibrahim dit avoir essayé cinq fois de rentrer dans un camion en direction du Royaume-Uni, sans succès. « Je vais essayer encore le mois prochain, » annonce-t-il. Arrivé en France il y a deux mois, il est passé par Calais. « C'est difficile aussi, mais c'est plus organisé qu'ici. Dans le camp d'Austerlitz, c'est chacun pour soi. »

À lire : Calais : 14 migrants à l'hôpital après une bagarre générale

Ce lundi, le Collectif de soutien aux migrants du 13ème arrondissement, composé de la Ligue des droits de l'Homme, d'Attac, du Réseau éducation sans frontières (RESF) et de militants du Parti de gauche et d'Europe Écologie Les Verts, devait remettre une lettre à la mairie et au préfet de Paris, pour demander un « hébergement pérenne » de ces migrants, a annoncé la chaîne France 24. En attendant, ces associations, et des groupes de riverains organisent des distributions de vivres et de matériel.

Au matin, deux migrants quittent les tentes pour la journée.

Après la série d'évacuations de bidonvilles de ces deux dernières semaines, la mairie de Paris avait affirmé sa volonté d'ouvrir un centre d'hébergement destiné à accueillir des migrants, avec ou sans papiers, afin qu'ils puissent clarifier leur situation et effectuer leurs demandes administratives. Aucun délai précis n'a encore été donné pour la construction de ce centre.

À lire : Paris réfléchit à un projet de centre d'accueil pour migrants dans la ville

Toutes les photos sont de l'auteur.

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