La chute de Raqqa
Le rond point Al-Naïm au centre de Raqqa, lieu d'exécution des prisonniers de Daech. ©André Hébert / les Belles Lettres

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récit

La chute de Raqqa : un jeune Français au cœur de la bataille contre l'EI

En septembre 2017, une coalition internationale fondait sur Raqqa pour libérer la ville de l'emprise des djihadistes. En première ligne aux côtés des Kurdes, un volontaire français participait à l'assaut final.

Alors que la dernière poche de résistance de l'organisation État islamique tombe actuellement au sud de la Syrie, un jeune combattant français raconte dans Jusqu'à Raqqa, aux éditions Les Belles Lettres, son engagement aux côtés des Kurdes. André Hébert (un pseudonyme) livre dans l'extrait que nous publions ci-dessous les jours précédant l'assaut final contre les djihadistes et leur capitale de facto.

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Comme un défi, un pied de nez aux bombardements, l’appel à la prière retentit dans Raqqa dévastée. Le crépitement d’une mitrailleuse lui répond, un drone cherchant sa proie survole le quartier en bourdonnant. Daech s’accroche à chaque mètre carré de sa capitale syrienne. Le califat n’a de cesse d’agoniser et emporte dans sa chute un nombre incalculable de vies.

Le 25 septembre 2017, nous encerclons le stade et le centre-ville : les djihadistes qui y sont retranchés y périront tous. Nous sommes leurs fossoyeurs. Smaïn, Aboud, Azad, Mounzour, sans oublier Hassan qui, hier, est tombé en martyr, voici les noms de mes camarades qui parmi tant d’autres libérèrent ce fief de l’État islamique aux prix de combats acharnés. Dans la nuit, nos ennemis ont mené une contre-attaque sanglante. L’un d’entre eux est mort sous nos fenêtres, tué d’une rafale de kalachnikov.

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Un véhicule suicide utilisé par les combattants de l'Etat islamique ©André Hébert / les Belles Lettres

Cela fait maintenant six jours que nous occupons un immeuble en ruine. Nous vivons sur deux étages, dans l’étroite cage d’escalier de l’habitation qui avant la guerre devait ressembler à un HLM de banlieue parisienne. Le palier et l’accès aux étages supérieurs sont bloqués par des barricades de meubles et surveillés en permanence. Nous dormons à même le sol, parfois sur une couverture, au milieu des douilles, des débris, des restes de repas, des armes et des munitions. Les toilettes débordent, nous suffoquons, pris à la gorge par l’odeur d’immondices qui règne dans cette porcherie où seules les mouches semblent se plaire.

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Ce refuge exigu et crasseux a malgré tout le mérite de nous protéger de la pluie de roquettes qui s’abat sur nous. À chaque impact d’un de ces projectiles, à chaque bombardement d’un avion de la coalition, les murs tremblent, des morceaux de plâtre tombent du plafond. Après plusieurs jours de ce vacarme, les déflagrations incessantes écrasent l’esprit et nous assomment. Malgré le bruit et le manque de sommeil, il nous faut rester vigilant. L’ennemi semble arriver à être partout à la fois tout en restant à peine visible. Nous avons percé des meurtrières dans les murs donnant sur la rue et tirons au moindre mouvement.

Les djihadistes sont si proches que, lors des rares moments d’accalmie, on peut les entendre marcher, ramper au milieu des débris pour s’infiltrer dans les immeubles adjacents. Selon le haut commandement, le moral de nos adversaires est brisé. Ici, ils nous opposent une résistance farouche. Les moudjahidines vendront chèrement leur peau. Dans la nuit, ils ont enflammé un bâtiment voisin, piégeant ses défenseurs dans leur sommeil. Condamnés à contempler ce sinistre spectacle sans pouvoir porter secours à nos amis, nous désespérons de notre impuissance. Un homme se jette du troisième étage pour échapper aux flammes. Il sera vengé.

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Dans la vieille ville de Raqqa ©André Hébert / les Belles Lettres

Cela fait dix-neuf heures que nous n’avons ni eau ni nourriture. Les véhicules du ravitaillement refusent de se rendre jusqu’à notre position : « Trop dangereux », disent-ils. Lorsque les forces et les vivres nous manquent, c’est le souvenir de nos morts qui nous pousse à continuer le combat. Les martyrs sont légion et chacun attend son tour. Blessé ou tué, ces derniers jours cela paraît être la seule façon de quitter Raqqa.

Un combat de plus, un dernier immeuble à investir, la victoire finale semble pourtant à portée de main. La ville réputée imprenable il y a quelques mois est maintenant prête à tomber. Le temps passe au ralenti tant il nous tarde d’achever le califat de Daech. Pour arriver à ce résultat, il aura fallu de longues années d’une guerre à laquelle j’ai participé. Deux ans déjà se sont écoulés depuis que j’ai pris la décision de m’engager dans le YPG.

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Jusqu'à Raqqa d'André Hébert est disponible en librairie.

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