Claude
Photos: Lucile Boiron pour VICE FR 

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témoignage

Claude, 66 ans et 50 ans de tapin

« J'aime faire l'amour dans une chambre, prendre le temps de bavarder, parfois. Je sympathise régulièrement avec ces femmes. J'en ai vu certaines pendant près de dix ans. »
CB
propos rapportés par Clémentine Billé

Honteux. Voilà comment je me sentais quand je suis ressorti de ma première fois avec une prostituée. Je me suis dit que je n’irai plus. Mais quinze jours après, j’y retournais et, depuis, je n’ai plus jamais arrêté. J’avais 16 ans et j’en ai 66 aujourd’hui. Pendant 50 ans, j’ai dû connaître 500 femmes. J’ai perdu ma virginité avec l’une d’elles et je n’ai pas cessé d’aller les voir, même quand j’étais engagé dans des relations sérieuses, à raison d’une ou deux fois par semaine en moyenne. Je ne me définis pas pour autant comme addict. Disons que c’est une habitude plutôt.

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J’ai sauté le pas à l’automne 1968. J’habitais Villejuif. Dans la cité où je vivais, des copains disaient aller mater des prostituées de la rue Saint-Denis, à Paris. J’y suis allé et j'ai fait la connaissance de ce quartier à l’époque très majoritairement dédié au travail du sexe.

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J’aurais pu faire autrement c’est vrai. Je plaisais aux filles, j’ai eu des amourettes, et plusieurs occasions d'aller plus loin, mais j’étais vraiment timide, je ne savais pas y faire. Et puis, je voulais ma liberté. Pas d’engagement, personne qui me demande ce que je fais, si on peut se voir, où je vais : rien. Pas de sentiments à gérer : je les ai toujours fuis de toute façon. Toujours est-il que j’étais quand même tiraillé sur le plan sexuel. Je me suis persuadé qu’avec une professionnelle, ce serait plus simple. Elle saurait me guider.

Ma première rencontre était avec une femme blonde, à savoir si c’était une perruque ou ses réels cheveux, ça, je n’en sais rien. J’ai mis du temps à la choisir. Rue Saint-Denis c’était un peu la caverne d’Ali Baba à l’époque. Il y en avait des rousses, des brunes, des minces, des rondes, des jolies, des un peu moins. Elles se comptaient par dizaines. Je déambulais entre elles, je les regardais : je me souviens avoir fait ça au moins deux heures. Il fallait sûrement quelqu’un qui me rassure. J’en ai finalement repéré une. Je suis passé plusieurs fois devant, sans oser l’aborder. À force, c’est elle qui m’a interpellé. J’ai commencé à sortir mon argent. « Non non non, ce n’est pas comme ça que ça se passe, suis moi », m’a-t-elle dit, comme pour mieux me rassurer.

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À l’époque, cela se passait dans des hôtels de passe, qui ont ensuite disparu dans les années 1970. Je l'ai suivie dans l'un d'eux, tout en croisant d’autres clients dans l’escalier. À l'étage se trouvait une femme derrière un comptoir : la gérante. Elle a donné la clé à la fille, et une serviette. Ça m'avait intrigué, j’ai trouvé ça bizarre, me demandant à quoi elle pouvait servir. La dame m'a alors demandé si c'était ma première fois avec une prostituée, puis la première fois tout court. Je ne pouvais pas lui dire non. C'est là qu'elle m'a mise à l'aise en disant : « Tu sais ça va bien se passer, tu n'es pas le premier, tu ne seras pas le dernier ».

« Te voilà un homme »

J'étais un peu intimidé. J’ai regardé autour de moi, l’ameublement était succinct : il y avait un lit, une armoire, un portemanteau, un fauteuil, une chaise et puis une petite salle de bains et un bidet. « Déshabille-toi », m’a-t-elle alors intimé avant de me demander de venir faire la toilette. Je lui ai présenté mes mains, elle s'est mise à rigoler. Je me suis trouvé un peu bête, je ne pensais pas que ça se passait comme ça, j'étais gêné. Elle a regardé si je n’avais pas d’écoulement au niveau du pénis, ni de petit bouton, puis elle a lavé et séché mon sexe. Je pensais que celle-ci était une maniaque de la propreté. J’ai vite compris avec toutes mes autres partenaires que c’était un passage obligé, un rituel que je suis toujours. Une fois notre affaire terminée, elle m'a simplement dit : « Te voilà un homme ».

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Le lendemain matin, j'avais la sensation d'être assommé. L'orgueil, peut-être, d’avoir payé pour du cul. Mais j’ai voulu recommencer. Il y avait toutes ces femmes excitantes à disposition. Il y avait la rue Saint-Denis, mais aussi les quartiers des Galeries Lafayette, des gares parisiennes et bien d'autres encore. J’ai continué, jusqu’à trouver une routine, en y allant une ou deux fois par semaine. J'ai vadrouillé de quartier en quartier, et même de pays en pays. Je suis allé jusqu'en Belgique et en Suisse, histoire de comparer. Finalement mon QG est resté la rue Saint-Denis et ses alentours.

En 1975, je suis tombé amoureux de Sylvie*. C’est la première fois que je n’ai pas fui devant mes sentiments. Notre histoire a duré dix ans. Jamais elle n’a su que j’allais voir des prostituées. Ni elle, ni nos deux enfants. J'avais d’ailleurs arrêté quatre mois au début de notre relation avant de recommencer. J’avais l’impression de ne pas la tromper, parce qu’il n’y avait pas d’affect, aucun sentiment. J’y allais avant le travail, parfois après. J’ai prétexté des cours de sport auxquels je ne suis jamais allé !

« Je pense notamment à Cynthia, avec qui j'ai vécu de beaux moments pendant les années 1980. C'est une mère de deux enfants qui s'est prostituée car elle n'avait pas d'argent, huit ans durant, avant de trouver un emploi dans l'administration »

C’était assez facile pour moi de lui cacher ce genre de dépenses. Comme à ma compagne d'après, avec qui je suis resté six ans, jusqu'en 1993. J’étais responsable logistique d’un magasin de bricolage, avant ma retraite il y a un an. Nos comptes étaient séparés, je gagnais bien ma vie, autour de 3 000 euros nets par mois. Je piochais dans l’argent de mes primes, dont je ne lui parlais pas. Je m’y retrouvais avec des passes à 50 ou 60 francs en 1968, qui sont devenues 50 ou 60 euros aujourd’hui.

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Parce qu’au final, je reste sur les tarifs de base. Je ne demande rien de particulier à ces prostituées. Si vous voulez des pratiques plus spéciales dirons-nous, c’est plus cher. Moi je reste sur fellation ou coït, parfois les deux. Dans les positions, c’est elle au dessus, ou l’inverse. Quand j'y repense, j'avais des pratiques bien plus variées avec mes compagnes, d'ailleurs assez ouvertes sur le plan sexuel, qu'avec les prostituées. Une passe, c’est quand même standardisé : un même cheminement, une même mise en scène. Un peu comme au théâtre, acte 1, acte 2. Je savais comment ça commençait, je savais comment ça finirait. Mais j'avais cette envie de connaître d’autres femmes. J’aime le changement sans que ce soit dangereux pour mon couple.

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Après, je n'aime pas toutes les formes de prostitutions. J’aime le confort. Le bois de Boulogne où ça se passe au milieu des arbres, ou dans une caravane miteuse, ce n'est pas pour moi. J'aime faire l'amour dans une chambre, prendre le temps de bavarder, parfois. Je sympathise régulièrement avec ces femmes. J'en ai vu certaines pendant près de dix ans. Quelques-unes sont mêmes devenues mes confidentes, d'autres presque des amies dont je connais la vie, et avec qui il m'arrive de partager un café après la passe. Je pense notamment à Cynthia, avec qui j'ai vécu de beaux moments pendant les années 1980. C'est une mère de deux enfants qui s'est prostituée car elle n'avait pas d'argent, huit ans durant, avant de trouver un emploi dans l'administration. Elle a été initiée par une nana rencontrée dans une chambre d’hôpital.

Bien sûr, j’aurais pu prendre des maîtresses. J’en ai eu occasionnellement d’ailleurs. C’était davantage pour me prouver que je pouvais aussi séduire. Que je n’avais pas besoin de sortir le portefeuille pour avoir une autre femme. Mais ce que j'aime chez la prostituée, c'est qu'elle ne demande rien. Ni à se voir, ni à quitter sa femme. Et sur le plan purement sexuel, quand on a une relation normale, il y a un échange, je fais en sorte que le plaisir soit partagé. Avec la prostituée, non. Elle est là pour me faire du bien : j'aime m'en remettre à cette femme, savoir qu'elle prendra toutes les initiatives et que je n'ai aucune pression. Parce qu'avec une prostituée, on a le droit d’être égoïste.

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