Arabstazy, le collectif qui veut déconstruire le mythe occidental de la musique arabe
Arabstazy au Caire en 2016 à l’occasion du festival D-Caf 2016, au Shehrazade club - (c) Céline Meunier

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Music

Arabstazy, le collectif qui veut déconstruire le mythe occidental de la musique arabe

À l'occasion de la sortie prochainement sur Infiné de la compilation « Under Frustration », son fondateur nous parle de paranabisme électronique, de musique de transe, de fierté et de revendication de son patrimoine culturel.

« Tu sais, Stazy tient ici pour extase », nous confie Amine Metani, fondateur du collectif Arabstazy. « On n’est la police de rien, ni d’aucun groupe. Les musiques dont nous nous inspirons n’appartiennent à personne. » Par contre, leurs histoires sont complexes, denses, avec des ramifications à chercher bien au-delà de l’Afrique subsaharienne. Comme le Stambali, musique de possession rituelle ancestrale, qui survit dans quelques lieux tunisiens.

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Et c’est typiquement de ce genre de sonorité mystique, réservées aux cérémonies de transe, dont se nourrit le jeune collectif de DJs et producteurs dispersés entre Paris, Tunis et Berlin. Une plongée savante et instinctive dans les patrimoines malmenés de pays qui continuent d’espérer un second souffle démocratique. À la clef ? Un panarabisme électronique, capable de faire exister les undergrounds tunisien, égyptien et même syrien dans une indépendance unie, autrement que par le prisme de la récupération ou du dépoussiérage à l’occidentale.

Esthétique dépouillée et anxiogène, productions ténébreuses pour soirées sous capuche… Le Projet Chaos de Mettani, Deena Abdelwahed, Waf ou Shinigami San livrera incessamment sous peu le premier volet d’une compilation en trois partie, baptisée Under Frustration. En gestation depuis des années, ce projet discographique de l’autre rive sera distribué en France par InFiné, ainsi que par le tout puissant label Boomarm Nation aux États-Unis. Amine Metani, maître de cérémonie franco-tunisien, aux manettes du collectif depuis 2014, nous dit qu'à choisir entre l'instinct et la contextualisation, lui préfère simplement « empoigner son patrimoine ».

Noisey : N3rdistan, Wetrobots, Shinigami San, Deena Abdelwahed, Sama, Mettani, SKNDR ou la vidéaste Waf… Voilà quelques-uns des noms qu’on a pu croiser à l’occasion de vos soirées, de Paris au Caire en passant par Tozeur. C’est quoi Arabstazy ? Une série de messes noires pour reubeus déviants ?
Amine Metani : [Rires] Oui, il y a un peu de ça ! Arabstazy, c’est d’abord un cadre créatif. Un cadre ouvert, aux contours un peu instables, mais surtout tourné vers les musiques – séculaires, modernes ou expérimentales –, issues du monde arabo-musulman. C’est un ensemble de gens, établis de Tunis à Berlin, qui réfléchissent à la façon dont on peut mettre en lumière cette diversité, avec intégrité, en déconstruisant les clichés occidentaux.

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Qui sont ?
L’habitude, quasi-systématique, d’appréhender le monde arabe comme un tout, culturellement homogène.

Mais comment rendre compte de cette complexité, et de la diversité de ces musiques, tout en faisant danser les gens ?
Quand tu vas au musée d’Art contemporain, t’as deux façons de faire. Soit tu t’y rends à l’instinct, et tu te laisses alors remplir par ce que tu vis sur l’instant, de façon brute. Soit tu y vas en mode explication de texte, avec une contextualisation et une intellectualisation très forte. Moi, à ce jour, entre ces deux approches, je n’ai pas tranché. Parce que les deux fonctionnent. Dans le geste de création, je pense que l’on peut, et même que l’on doit, arriver à proposer une infinité de lectures différentes de façon nouées. Donner des niveaux de profondeur différents, mais liés. Sinon tu ne fais que de la musique de surface.

(c) Céline Meunier

Tu penses que les musiques électro-arabes, toute cette scène et ces groupes qui ont émergé ces dernières années souffrent de ce manque de profondeur ?
Je ne suis pas un consommateur de cette scène. Je n’en suis pas familier, sûrement parce que j’ai l’impression d’avoir écouté ça quand j’étais gamin. Aujourd’hui, ça me fait pas grand-chose. Je n'y trouve pas l'autre, l'étrange, la différence dont je suis à la recherche. Donc j’ai pas trop d’avis là-dessus. Mais tu sais, il n’y a pas de problèmes à être abordable et accessible, tout en étant inhabituel. Nous, avec Arabstazy, on fait danser les gens sur des signatures rythmiques hyper cheloues. Et en même temps, on ne le fait pas exprès. Ce n’est pas une posture. C’est juste qu’on est en exploration constante. C’est ça l’idée. Toujours être en recherche. Ne surtout pas répéter des systèmes.

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Pour ce faire, Arabstazy diggue beaucoup dans le panthéons des musiques arabes, tendance possession et cérémonies d’adorcisme…
On puise dans un mot que Macron et ses prédécesseurs aiment beaucoup, le patrimoine !

(c) Céline Meunier

Justement, quelle place occupent le patrimoine et la question de l’histoire nationale dans les pays d’où pas mal d’entre vous sont originaires ? Tunisie, Égypte… Des pays qui vivent aujourd’hui des périodes post-soulèvement plutôt troubles.
La question de l’identité est primordiale. Surtout à notre époque, surtout pour le Maghreb et sa jeunesse. Écoute, dans la vraie vie, je suis chercheur au CNRS, de formation scientifique. Ce qui fait que je suis quelqu’un de précis, surtout avec les termes que j’emploie. Or je pense que la question de l’identité, lorsqu’elle est associée aux raccourcis, aux approximations, mène au conflit. Ou au repli identitaire, ou au djihadisme. Il faut empoigner son patrimoine. Il faut le faire fièrement, mais peut-être et surtout avec précision. N’importe qui plonge dans son histoire se rendra alors compte que son identité est mosaïque. Personne n’est un pur-sang de souche, ça c’est un mythe politique qu’on invoque en temps de crise. Comprendre la généalogie de ta famille, l’histoire de ton village, de ton pays, c’est comprendre le mélange. C’est comprendre que les identités sont liquides, et qu’elles coulent en continu. Après, au final, je pense surtout qu’il faut être généreux avec cette question de patrimoine. Il faut laisser les gens digguer dans le truc. L’histoire des musiques arabes est ouverte, elle s’écrit au présent et n’appartient à personne en vrai. N’importe qui a le droit de s’en inspirer, il n’existe pas de copyright sur le Stambali, le Gnawa ou le Diwan.

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Ça tombe plutôt à pic cette licence chez InFiné ? Plutôt cool qu’ils vous donnent de la force sur cette compilation…
Tu sais, les gens qui nous donnent de la force sont nombreux sur Under Frustration. Un projet de la sorte réunit plein de personnes de l’ombre…. À commencer par Roi Assayag, qui a sélectionné les morceaux avec moi – et m’a fait découvrir la moitié des artistes de la compile –, ou encore Olivier Chantôme qui a mis à disposition d’Arabstazy une série de photos prises au Liban aux frontières syrienne et israélienne. Après pour revenir sur la signature avec InFiné, tout ça date de l’époque durant laquelle Arabastazy était un groupe. Un trio, composé de Deena Abdelwahed, Waf notre vidéaste, et moi. Et même un quatuor, notamment au Caire avec Shinigami San… Lorsque Deena a pris le large pour se concentrer sur sa carrière solo, elle a signé un premier E.P. chez InFiné, l’année dernière. Le label a entendu parler de notre projet de compilation et il y a eu un beau renvoi d'ascenseur de la part Deena. Aujourd’hui, son succès nous permet de signer une toute nouvelle artiste tunisienne comme Mash, qui clôture la compilation avec un track bien cérébral. C’est aussi ça la dynamique du collectif, faire rejaillir sur l’ensemble, la réussite d’un seul individu.

L’artiste parisienne Fatäk, en ouverture de la soirée Arabstay à Champ Libre. (c) Céline Meunier

Deena, qui elle a une vision complètement futuriste des musiques électroniques issues des mondes arabes…
Deena, c’est la meuf du futur, à fond dans la nouvelle vague électronique arabe. C’est elle qui porte le plus haut tout le délire Panarabique 2.0. Moi je me sens plus proche des esthétiques sombres et perdues, de l’animisme, du maraboutage, des musiques de transes, nées des nombreuses superstitions qui innervent les sociétés maghrébines.

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Shinigami San, Deena Abdelwahed, Mettani, Waf x Arabstazy (c) Céline Meunier.

Quelles autres esthétiques peut-on entendre sur Under Frustration ?
Mash a une approche très noise. Cette jeune productrice, basée à Tunis, signe « Echoing », un de mes tracks préférés du projet. J’aime son approche instinctive, très noise. Dans un autre genre, The Triangle est un groupe qui s’est monté en composant leur morceau pour la compile. Il s’agit d’un trio d’Alexandrie. En fait, la scène égyptienne est scindée en deux je trouve. Il y a une grosse dichotomie entre toute la vague Électro-chaâbi, un mouvement bien ghetto documenté dans le film de Hind Meddeb, où tu croises pas une seule meuf, et à l’inverse, toute l’avant-garde cairote. Une avant-garde où tu vas trouver Rozzma par exemple.

Avec une approche plus intellectuelle ?
Avec une approche plus électronique. Pas mal des gens de cette autre vague égyptienne étaient au Lycée américain, il sont mieux dotés, mieux organisés, plus visibles. Bon, après moi, musicalement je préfère. Même si là on parle d’une scène qui tient dans un mouchoir de poche, c’est genre trente, quarante personnes. Under Frustration fait aussi figurer au casting Muudra, l’ancien boss d’Audiocalligraphy. Lui, c’est un pur anonyme, un mec qui parle de lui à la troisième personne, bien mystérieux… On sait peu de choses de lui, si ce n’est que le track de sa compile fait référence aux Hémichis, une communauté d’Arméniens islamisés. Et puis, pour finir il y a le Tunisien Shinigami San, notre père à tous. Franchement, un mec qui nomme son collectif World Full of Bass mérite toute notre attention, tu ne penses pas ?

La compilation Under Frustration d'Arabstazy sortira le 25 mai chez Infiné. Vous pouvez déjà la précommander ici.

Théophile Pillault est sur Noisey.