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Éthiopie : la contestation grandit, la répression aussi

Le gouvernement a déclaré l’état d’urgence début octobre. En deux semaines, plus de 2 600 personnes en été arrêtées par les autorités.
via AP

Début octobre, l'Éthiopie a déclaré l'état d'urgence et a intensifié la répression d'un mouvement de contestation anti-gouvernement. En deux semaines, les autorités ont arrêté des milliers de manifestants. Certains sont très jeunes.

Suite à ces rassemblements sans précédents qui ont éclaté partout dans le pays, plus de 2 600 personnes ont été arrêtées, dans les régions d'Oromia et d'Amhara, dont 450 à la capitale Addis Abeba. Certains des détenus sont des entrepreneurs qui ont fermé leurs entreprises ou des professeurs qui ont « abandonné leurs écoles ». En juin, l'ONG Human Rights Watch a rapporté que « des dizaines de milliers » de manifestants avaient rencontré le même sort depuis le début des contestations, il y a 11 mois.

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Le véritable chiffre est probablement beaucoup plus important que ce qui a été communiqué par le gouvernement, selon Fisseha Tekle, le principal chercheur d'Amnesty International pour l'Éthiopie. Il nous a expliqué que les arrestations se poursuivent et que les autorités se concentrent sur des jeunes personnes.

« Ils doivent avoir une sorte de liste, les forces de sécurité, parce qu'ils n'arrêtent pas tout le monde, mais ils visent les jeunes, puisque ce sont eux qui protestent depuis un an », dit Tekle. « Ils n'interpellent pas des gens plus âgés ; les étudiants sont leur cible principale. »

Les manifestations ont débuté en novembre dernier. L'élément déclencheur a été un projet du gouvernement d'expansion de la capitale. Ce plan a été abandonné mais la contestation ne s'est pas calmée : le peuple laisse remonter des décennies de frustration accumulée envers la coalition au pouvoir, menée par le Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens.

« Cette coalition est au pouvoir depuis 25 ans et beaucoup de gens veulent voir quelque chose de différent », nous a dit Clémentine de Montjoye, de Defend Defenders — un groupe de défense de ceux qui oeuvrent pour les droits de l'Homme en Éthiopie.

Addis Abeba restreint les activités de ces militants dans le pays et c'est pour cela que beaucoup hésitent à parler ouvertement. Nous avons contacté une personne qui travaille au sein d'un groupe de défense des droits de l'Homme en Éthiopie, sous couvert d'anonymat. Selon cette source, les contestataires leur disent : « nous n'avons plus rien à perdre, peu importe si nous sommes tués. »

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Selon un rapport publié le 18 octobre par Amnesty International, : « L'usage excessif et arbitraire de la force meurtrière par les forces de sécurité pour disperser des manifestants a entraîné la mort de quelque 800 personnes dans les régions Oromia et Amhara depuis novembre 2015. »

Il est désormais difficile d'avoir des détails sur ce qu'il se passe, surtout en dehors d'Addis Abeba. Et même dans le cas où quelqu'un parvient à se connecter à Internet, tous ont peur de parler. « Les gens sont suspicieux à cause de la surveillance sur Internet et sur les portables, alors ils peuvent ne pas [se sentir capables de ] parler au téléphone de ce qu'il se passe », a dit Tekle.

Nous avons effectivement contacté plusieurs militants sur place, pour discuter de la situation actuelle. Mais à cause de la peur et du manque de connexion, nous n'avons pas pu leur parler.

L'état d'urgence a été décrété pour six mois, après un important incident début octobre, lorsqu'un mouvement de foule a fait 55 morts pendant le festival Irreecha, le jour de l'Action de grâce du peuple Oromo. En plus d'augmenter le pouvoir des forces de l'ordre en Éthiopie pour pouvoir arrêter arbitrairement des citoyens, l'état d'urgence cherche à faire taire les critiques du régime. Il est désormais interdit d'entrer en contact avec ceux qualifiés d' « étrangers » sur les plateformes comme Twitter ou Facebook. « Les autorités militaires prendront des mesures par rapport à ceux qui regardent et publient [des messages] sur ces réseaux sociaux », a déclaré Siraj Fegessa, ministre de la Défense éthiopien.

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Le Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme a fait deux demandes d'accès au pays dans le but de mener une enquête internationale, indépendante et impartiale sur les violations supposées. Le gouvernement éthiopien les a toutes refusées.

De plus, le pouvoir a cherché à limiter l'impact des organisations de défense des droits de l'homme à partir de la loi sur les organisations caritatives. Cette nouvelle législation empêche toute organisation de défense des droits de l'Homme d'agir en Éthiopie si plus de 10 pour cent de son financement provient de sources étrangères.

Selon Tekle, Amnesty International évite de contacter ceux qui sont restés dans le pays pour ne pas révéler leur localisation.

Dans un rapport publié le 20 octobre par Defend Defenders, l'ONG dit avoir des preuves qu'au moins 27 journalistes ont été inculpés pour terrorisme depuis la nouvelle loi antiterroriste, promulguée en 2009. « Ils ont intimidé, arrêté et chassé la plupart des médias indépendants. Alors si les personnes veulent manifester leur mécontentement, le seul moyen de le faire est [d'aller] dans les rues » a dit de Montjoye.

Mais pourquoi la communauté internationale ne fait pas plus pression sur le gouvernement d'Éthiopie ?

Une des raisons peut être l'emplacement stratégique du pays en Afrique dans la crise migratoire.

Selon la haute représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères, qui a cité un récent rapport, l'Éthiopie est parmi les cinq pays clés de l'Afrique qui, depuis quatre mois, ont obtenu des « meilleurs résultats » dans le plan de l'UE pour retenir la vague migratoire.

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Addis Abeba est également vu comme un rempart stratégique contre l'extrémisme islamiste dans la corne de l'Afrique. Le pays est depuis des années un acteur de la lutte contre le groupe terroriste al-Shabaab, actif dans la Somalie voisine.


Cet article a d'abord été publié sur la version anglophone de VICE News.

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