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Tunisie

Élections en Tunisie : le Printemps arabe à l’épreuve

Le berceau des soulèvements et révolutions initiées en 2010 vivait ce dimanche un test important pour sa transition démocratique encore fragile. Transition qui déçoit les acteurs de la révolution de 2011.
Image via Wikimedia Commons

Ce dimanche, plus de 5 millions d'électeurs étaient appelés à élire les 217 députés du parlement tunisien. Il s'agit de la deuxième élection organisée dans le pays depuis la révolution de 2011. Une révolution lancée par les soulèvements de la ville tunisienne de Sidi Bouzid en décembre 2010, qui ont conduit au départ du président Ben Ali.

La première élection en 2011 avait été remportée par le parti des islamistes modérés d'Ennahda.

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Trois ans plus tard, la donne semble avoir changé en faveur d'un nouveau parti laïc et protéiforme : Nidaa Tounès (« Appel de la Tunisie »), fondé en 2012. Le porte-parole du parti Ennahda, Zied Ladhari, n'a pas attendu les résultats définitifs et a félicité Nidaa Tounès cet après-midi, en se basant sur les résultats partiels dévoilés dans plusieurs circonscriptions du pays.

Ennhada était critiqué en partie pour son bilan sécuritaire et accusé de laxisme envers les groupes djihadistes - des accusations que le parti dément.

La menace terroriste et l'épouvantail islamiste

Jeudi, des échanges de tirs avec un « groupe islamiste » de la ville d'Oued Ellil, près de Tunis, ont causé la mort d'un policier. Heurts et affrontements ont émaillé les jours précédant les élections, faisant craindre que le spectre d'un attentat ne dissuade les électeurs tunisiens de se rendre aux urnes pour élire leur parlement.

Les frontières poreuses de la Tunisie avec l'Algérie et la Libye facilitent la contrebande et la circulation d'activistes armés. À l'heure actuelle, on estime que 2 400 Tunisiens font le djihad en Syrie et en Irak, et le pays craint leur retour.

En 2013, Mehdi Jomaa a été nommé Premier ministre pour mettre fin à la crise politique qui confrontait Ennahda à l'opposition, et créer les circonstances propices à des élections législatives transparentes. Dans un entretien accordé au site d'information Rue89, il rappelle que l'une de ses missions était de lutter contre les imams radicaux, un point sur lequel il estime que la Tunisie a progressé : « Il y avait 149 mosquées officielles qui échappaient au contrôle du Ministère des affaires religieuses, et beaucoup de mosquées hors la loi. Celles-ci ont été fermées. Il ne reste, aux dernières nouvelles, que dix-sept mosquées qui posent encore problème. »

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Khadija Mohsen-Finan, politologue et spécialiste du Maghreb notamment à l'université de la Sorbonne (Paris I) avait résumé les enjeux de la campagne pour VICE News, quelques jours avant les élections : « On ne sait pas qui est à l'origine des affrontements de jeudi, mais ce sont très probablement des salafistes qui n'adhèrent pas au système démocratique, » explique-t-elle au sujet des troubles. « De toutes les manières, c'est quelque chose qui plane depuis la campagne ; il y a un groupe de personnes qui veut déstabiliser les élections. Mais la vraie tension est ailleurs : elle porte sur le scrutin, sur qui va l'emporter. »

Un schéma politique qui ne correspond pas aux ambitions de 2011

Nidaa Tounès est un parti laïc qui a fait campagne sur son opposition aux « islamistes » d'Ennhada. Le parti a beau être le dernier venu sur l'échiquier politique, il regroupe des hommes politiques connus depuis longtemps. Certains ont servi sous le régime du dictateur déchu Zine El Abidine Ben Ali.

Le leader du parti par exemple n'est pas un nouveau venu. Béji Caïd Essebsi, 87 ans, a été Premier ministre après la révolution de janvier 2011, mais il a aussi servi le père de l'indépendance tunisienne Habib Bourguiba dans les années 1950. On ne peut donc pas parler d'un véritable renouvellement de la classe politique, explique Khadija Mohsen-Finan. Pour elle, c'est un des facteurs qui explique le faible taux de participation à l'élection - 61,8 % d'après les chiffres provisoires de l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE).

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« Les jeunes sont tentés de ne pas voter parce qu'ils peuvent ne pas se reconnaître dans ce schéma politique qui ne correspond pas à leurs ambitions exprimées en 2011. Ils pensaient qu'il n'y aurait plus de parti de l'ordre, qu'il y aurait des figures nouvelles et rajeunies, or ce n'est pas le cas. Ils pensaient que la situation économique et sociale serait meilleure, or le chômage dans le pays est de 15 % - et c'est le double pour les jeunes », expliquait-elle vendredi.

Anissa Bouasker, chargée de communication de l'Association tunisienne pour l'intégrité et la démocratie des élections (ATIDE) partage cette analyse. Interrogée par VICE News au lendemain de l'élection, elle remarque que les villes où il y a eu le plus d'abstention sont « celles qui ont fourni le plus de martyrs à la révolution », comme celle de Sidi Bouzid, le berceau de la révolution de 2011 où le jeune Mohamed Bouazizi s'était immolé par le feu.

Pour elle, la transition démocratique n'est pas encore complète. L'ATIDE relève en effet de nombreux dysfonctionnements pendant la campagne et lors du scrutin : des candidats à l'élection présidant des bureaux de vote (à Béjà par exemple), des enfants faisant campagne devant les centres de vote, ou encore des achats de voix d'électeurs.

Anissa Bouasker dénonce aussi un système informatique obsolète, qui a empêché des Tunisiens résidant à l'étranger de voter. Pour elle, bien que des organismes de contrôle comme l'ISIE aient été mis en place, peu de progrès ont été réalisés : « Cette année, [les élections] n'étaient pas mieux organisées. On n'a pas capitalisé sur l'expérience de 2011. En 2011, les gens étaient enthousiastes. C'était une ambiance de fête. Cette année, c'est l'angoisse du lendemain qui a ramené les gens aux urnes. »

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Une politique du consensus

Les hommes politiques tunisiens semblent cependant chercher le consensus et donner des gages aux électeurs, remarque Khadija Mohsen-Finan. Pour elle, le fait qu'Ennhada ne présente pas de candidat à l'élection présidentielle montre que le parti n'a pas « un appétit politique débordant ». « Ennahda a donné des signes positifs aux Tunisiens en se retirant du gouvernement en 2013 [en pleine crise politique]. Ils jouent sur le consensus et misent sur le long terme, » explique-t-elle.

Lundi matin, la presse tunisienne vantait le calme et l'esprit d'union nationale dans lequel le scrutin s'est déroulé, à l'image du quotidien Le Temps qui écrivait : « Malgré nos dictatures, la démocratie est dans nos gênes. » Interrogée au sujet de ceux qui saluent les progrès démocratiques en Tunisie, Anissa Bouasker répond amèrement : « Oui, tout va très bien Madame la Marquise ».

Suivez Mélodie Bouchaud sur Twitter: @meloboucho 

Image via Wikimedia Commons