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Crime

Dans la prison du « Shérif le plus dur d’Amérique », mieux vaut ne pas avoir de problèmes psychologiques

Une action en justice a été lancée pour attaquer la manière dont le shérif Joe Arpaio s'occupe des prisonniers atteints de troubles psychiatriques.
Prison Maricopa Joe Arpaio
Photo par Joshua Lott/Reuters

Le 21 février 2015, un homme que nous nommerons ici par ses initiales, JP, est mis en garde à vue dans la prison du comté de Maricopa — un vaste complexe près de Phoenix, aux États-Unis. Ici, le paysage aride de l'Arizona est ponctué par de rares palmiers.

Selon le rapport de police, JP présentait des signes d'hallucinations auditives lors de sa mise en garde à vue. Le rapport décrit également un comportement « bizarre », comme si le prévenu était défoncé ou ivre. Le rapport indique également un diagnostic préalable de trouble bipolaire, ainsi qu'une tentative de suicide.

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Durant les premières semaines de sa détention, les gardes ont remarqué que JP « crachait et urinait » dans sa cellule, qu'il était souvent « larmoyant ». Il rotait ou bavait, pour faire taire les voix dans sa tête. JP refusait également de manger et de prendre les antipsychotiques que le médecin lui avait prescrits. Lorsqu'il a finalement été transféré à l'unité psychiatrique de la prison (Mental Health Unit — MHU) le 11 mars, JP avait perdu 9 kilos. D'après le dossier d'admission, il n'avait « pas conscience sa situation, et prétendait avoir des hallucinations auditives ». Après avoir passé un jour dans l'unité psychiatrique, il est retourné en prison.

Son état de santé a continué à se détériorer au cours des mois — JP refusait de se doucher, de manger, ou de prendre ses médicaments. Il lui aura fallu attendre juin pour être transféré vers un centre de traitement (Residential Treatment Center — RTC), après qu'un juge pénal donne raison aux autorités pénitentiaires, qui jugeaient JP « inapte » à subir son procès.

Le dossier de JP est l'un des 47 dossiers versés dans une poursuite engagée vendredi par l'Union Américaine pour les Libertés Civiles (American Civil Liberties Union — ACLU) contre le shérif Joe Arpaio qui dirige cette prison. D'après l'ACLU, Arpaio — qui se vante d'être « le shérif le plus dur des États-Unis » — loge les détenus atteints de troubles psychiatriques dans des « unités de logement punitives » de la prison.

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Faute d'accès à un traitement approprié, les individus atteints de troubles mentaux « voient leur état se détériorer, refusent leurs médicaments et leur traitement, vivent dans des conditions sordides et présentent de plus en plus de symptômes chaque jour ».

Pain moisi

La poursuite judiciaire est accompagnée d'un long rapport écrit par le psychiatre Pablo Stewart, qui a visité trois prisons gérées par le comté de Maricopa ainsi que des cellules d'isolement entre février et août 2015. Les constatations de Stewart sont fondées sur les dossiers médicaux et les dossiers judiciaires des détenus, ainsi que sur ses observations des pratiques au sein d'autres systèmes pénitentiaires.

Stewart a conclu que la prison n'avait pas de « système fiable » pour « assurer le transfert rapide des prisonniers gravement malades vers l'unité psychiatrique ». De plus, il a noté que les soins dispensés aux détenus atteints de troubles psychiatriques dans les prisons ordinaires étaient « dangereusement inadéquats ».

Cette poursuite judiciaire couronne une longue campagne menée par l'ACLU pour l'amélioration des conditions pour les détenus du comté de Maricopa. D'après l'ACLU, les détenus étaient soumis à un régime "de pain moisi, de fruits pourris et d'autres aliments contaminés." La température dans les cellules était extrêmement élevée — suffisamment élevée pour mettre en danger la santé des détenus. Les détenus n'avaient pas accès aux soins psychologiques appropriés et étaient entassés "comme des sardines" lors de leur garde à vue.

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Arpaio et son équipe n'ont pas répondu aux nombreux coups de fil et aux demandes d'entretien de VICE News au sujet du rapport de Stewart et des poursuites intentées par l'ACLU.

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Le Sherif Joe Arpaio parle aux médias et aux manifestants devant la prison Fourth Avenue Jail à Phoenix, le 19 juillet, 2010. (Photo de Darren Hauck/EPA)

En 2008, un juge fédéral a ordonné à Arpaio de mettre fin au surpeuplement dans ses prisons, et de fournir des soins médicaux et des soins psychologiques appropriés. À plusieurs reprises, Arpaio a tenté en vain de mettre fin à l'ordonnance, qui a été prolongée en 2014.

L'ordonnance stipule que les prisons doivent fournir des soins psychologiques appropriés aux détenus atteints de troubles psychiatriques, ou bien de les transférer vers des établissements adaptés à leurs besoins.

Elle indique également que tout détenu « présentant des symptômes actifs de maladie mentale » doit consulter en personne un médecin dans les 24 heures qui suivent son transfert au MHU.

Mais Stewart s'est aperçu que les employés de la prison faussaient souvent les données pour donner l'impression de se conformer à l'ordonnance du tribunal. Après avoir analysé des centaines de dossiers, Stewart a trouvé de nombreux exemples de cas où des détenus auraient dû, de par leur comportement, rencontrer un psychiatre. Ces incidents n'auraient pas été signalés aux autorités. Stewart a noté que certains détenus sujets aux hallucinations et qui semblaient présenter un risque d'automutilation ou de suicide ont attendu parfois deux semaines avant de recevoir des soins.

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Certains détenus étaient tellement perturbés qu'ils ont été jugés inaptes à suivre un procès. Par conséquent, leurs procès sont au point mort et ils sont coincés indéfiniment en isolement cellulaire. Au lieu de les envoyer dans les hôpitaux de la région pour être soignés, Maricopa County place souvent les détenus atteints de troubles mentaux en isolement cellulaire, où leur état se dégrade davantage.

Allers-retours entre l'isolement et les cellules spécialisées

Pour Eric Balaban, conseiller juridique du Projet National des Prisons de l'ACLU et l'un des avocats engagés dans l'action contre Arpaio, les détenus atteints de troubles mentaux du comté de Maricopa sont coincés dans un cercle vicieux, sans aucune chance de guérison. Il estime qu'environ 20 pour cent des détenus atteints de troubles psychiatriques nécessitent une intervention médicale, soit « en moyenne, environ 1 400 hommes et femmes ».

Stewart donne l'exemple d'une détenue qui avait écrit sur les murs avec ses excréments, a inondé sa cellule à maintes reprises, et présentait des signes « de détresse évidente ». La patiente, qui avait l'habitude de hurler et de jurer, était logée la plupart du temps dans une unité normale de la prison Estrella du comté de Maricopa, plutôt que dans le MHU.

Une autre détenue aurait fait des allers-retours pendant un an entre l'isolement cellulaire à Estrella et le MHU. Durant ses longs séjours en isolement, explique Stewart, son comportement devenait de plus en plus psychotique. D'après son dossier, sa cellule était jonchée de déchets, elle s'enduisait le village de sang lorsqu'elle avait ses règles, jetait son uniforme dans les toilettes et s'arrachait les cheveux pour les manger. Deux jours après sa sortie du MHU, le psychiatre a noté que la détenue semblait « confuse et désorientée » et qu'elle souffrait peut-être de « troubles de la perception ».

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Il y a généralement deux types de services psychiatriques au sein des prisons du comté de Maricopa. Le premier est le MHU — une infirmerie de 60 lits pour les patients en phase aiguë. Le deuxième est une unité psychiatrique de 268 lits. Pour y être admis, les détenus doivent satisfaire aux critères d'admission — il faut, par exemple, qu'un détenu ait tenté de mettre fin à ses jours. Pour Stewart, les critères d'admission sont trop sévères. Dans de nombreux cas, les détenus étaient hospitalisés pour une ou deux nuits, avant de retourner en prison.

Balaban s'est aperçu que le traitement des détenus atteints de troubles psychiatriques dans les prisons du comté de Maricopa était très différent des pratiques observées dans les autres prisons du pays.

Notamment, le programme de réhabilitation est forcément punitif puisqu'il se situe dans la prison même, plutôt que dans un hôpital. Balaban ajoute que les programmes offerts dans les RTC proposent généralement « un éventail d'activités psychosociales », qui mettent l'interaction sociale au centre de la guérison.

Dans sa requête déposée vendredi, l'ACLU demande au tribunal d'ordonner le transfert des détenus atteints de troubles psychiatriques vers des unités psychiatriques externes.

Des pratiques dures

Ce n'est pas la première fois qu'Arpaio et ses prisons s'attirent les foudres des critiques. Le shérif de 83 ans est devenu tristement célèbre pour ses pratiques peu orthodoxes et souvent draconiennes. Il force les détenus à vivre sous des tentes dans la chaleur écrasante de l'Arizona, et à porter des sous-vêtements roses. Il a également réintroduit les travaux forcés et le système des « chain-gangs ».

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« Trop de prisons dans ce pays ressemblent à des hôtels », explique Arpaio, défendant son mode opératoire. « Ce n'est pas normal. Comme je le dis souvent, 'Les gens ne devraient pas vivre mieux en prison qu'à l'extérieur.' Ici, dans mes prisons, ce n'est pas le cas. »

Les équipes d'Arpaio sont également accusées d'avoir mal enquêté ou refusé d'enquêter sur près de 400 délits sexuels signalés dans la région de Phoenix entre 2005 et 2007. D'après les autorités, il n'y avait pas assez de temps pour enquêter sur tous les délits, à cause du nombre élevé de plaintes. Des dizaines de victimes de viols mineures se sont retrouvées abandonnées à leur sort. « S'il y avait des victimes, je demande pardon aux victimes », avait dit Arpaio à l'époque, lors d'une conférence de presse.

En 2010, à la suite d'enquêtes menées par le FBI et par un grand jury, un juge fédéral a déclaré que le shérif avait « abusé de son pouvoir » en engageant des procédures d'enquête contre ses adversaires politiques. En 2011, les responsables budgétaires de Maricopa se sont aperçus qu'Arpaio avait détourné ou gaspillé environ 100 millions de dollars. Ces fonds avaient été alloués à l'achat d'équipements pénitentiaires et aux services d'aide aux détenus. Au lieu de cela, l'argent a servi à financer des enquêtes contre les adversaires d'Arpaio et aux opérations de lutte contre le trafic d'êtres humains. En 2013, après un recours intenté par l'ACLU, un juge de la cour de district des Etats-Unis a décidé qu'Arpaio s'était livré « au profilage racial » et avait abusé des détentions illégales pour cibler les immigrants.

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D'après un rapport publié l'année dernière par l'Arizona Republic, Arpaio et ses pratiques auraient coûté 142 millions de dollars au contribuable en frais et règlements juridiques.

Mais malgré ses déboires avec la justice, Arpaio a été réélu à plusieurs reprises avec des marges à deux chiffres. Après avoir affiché une cote de confiance à 70 pour cent pendant des années, le shérif a vu sa popularité s'effriter, et sa cote est aujourd'hui à 38 pour cent. Malgré tout, Arpaio a annoncé qu'il sollicitera un nouveau mandat en 2016.


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Cet article est d'abord paru sur la version anglophone de VICE News.

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