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Gaming

« Control » m’a rappelé pourquoi les consoles physiques vont mourir

Malgré une certaine joie, j’ai fait un saut dans le passé, vers un monde parallèle où tout est en 20 images par seconde et scintille tel un écran publicitaire de supermarché.
Paul Douard
Paris, FR

Si je devais hiérarchiser les types d’utilisation de ma Playstation 4, cela donnerait quelque chose comme, 75% de streaming, 15% de chauffage pour mon chat et 10% de gaming. Ce triste constat découle de deux choses. La première est que les jeux vidéo sur console ne ne m’excitent plus. Condamné à devoir les acheter (enfin, ça dépend) à un prix excessif pour errer au milieu d’un open world aussi vaste que vide dont la seule occupation proposée est la collecte de 10 000 plumes de cygnes, j’abandonne. La seconde est que je suis un furieux joueur de Counter-Strike, et que jusqu’à présent, peu de jeux ont réussi à me faire oublier ce premier amour. Peut-être The Last of Us. Mais ne reste ensuite que l’amertume de centaines de titres tout juste bons à occuper une soirée entre potes. Alors que j'étais résolu à passer le reste de mon existence à attendre paisiblement la mort – ou Half-Life 3, l’un n’empêche pas l’autre –, me voilà proche du chatouillement à la vue de Control, le nouveau jeu des studios finlandais Remedy sorti le 27 août dernier.

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Control est TPS (Third person shooter N.D.L.R.) d’action dans lequel le joueur incarne Jesse Faden, une civile qui soupçonne le Bureau Fédéral de Contrôle – une agence gouvernementale clandestine – d’être responsable de la captivité de son frère Dylan disparu il y a 17 ans. Dès les premiers instants du jeu, on comprend que rien ne va puisque les bureaux de l’agence sont vides d'âmes. Après coup, on début notre « enquête » (je veux dire par là, appuyer 5 000 fois sur la même touche pour récolter des milliers de documents censés nous en apprendre un peu plus) et une ambiance de complot militaro-industriel-extraterrestre pointe le bout de son nez. Ce qui frappe dès le départ, c’est la pâte artistique. Elle est très sommaire, mais efficace. Les décors sont bruts, faits de béton et de longs couloirs, le tout faisant penser à des bâtiments staliniens du XXe. Bref, c'est beau. Ajoutez à cela de la parapsychologie, des corps qui flottent et des murs qui bougent (dans la réalité, ou dans la tête de Jesse, qui sait ?). Me voilà lancé dans une aventure à la croisée entre X-Files et Alias me dis-je – avec un flingue aux munitions illimitées et des pouvoirs psychiques me permettant de tout détruire (de pacifier la zone). Je suis donc ravi.

Mais alors que j’étais prêt à laisser une seconde chance à cette vieille machine grâce à Control, il a simplement fallu que deux PNJ (Personnage non jouable N.D.L.R) apparaissent à l’écran pour que l’envie d’étendre une machine surplombe celle jouer.

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Si les gunfights sont convaincants, rapides et équilibrés et qu’il est possible d’exploser l’intégralité des décors, de terribles ralentissements commencent à faire chuter le nombre d'images par seconde vers le chiffre zéro, me rappelant les dernières heures de mon ancien PC. Pensant qu’il s'agit là d’une texture qui termine de se charger, je continue plein d’entrain, trouvant les mécaniques de destruction plutôt bonnes et l'ambiance complot, tueries et force interdimensionnelle agréable. C’est alors que je fis rapidement face à l’éventualité d’une crise d’épilepsie tant mon écran ressemblait à un arbre de Noël. En plus des ralentissements qui venaient entrecouper mon expérience, l'ensemble des éléments clignotait et scintillait. L’aliasing était si présent que la moindre courbe ressemblait à un escalier. Je finis par mourir bêtement car les saccades intempestives m’empêchaient d’y voir clair. J’avais l’impression d’être ivre. Ma pauvre console peinait à afficher tout ce qui se déroulait à l’écran, laissant au joueur (moi, vous) un goût amer dans la bouche. Jouer à Control sur console m'a semblé aussi nul que de jouer à un FPS avec une manette.

« Le modèle des consoles qui durent dix ans n’a plus de sens aujourd’hui, tant les évolutions technologiques les surpassent dès le jour de leur sortie »

À cet instant, je me plongeais dans une rage interdimensionnelle tout en me rappelant pourquoi ma console prend autant la poussière depuis quelques temps. Je venais de faire un saut dans le passé, vers un monde parallèle où tout est en 20 FPS et scintille tel un écran publicitaire de supermarché. Control est un excellent jeu : le « level design » est travaillé, les combats vifs et l’ambiance sombre – aussi, il dure au moins quinze heures, ce qui est rare de nos jours. Mais voilà, le problème est qu’il n’a rien à faire sur une console sortie en…2013. Mais il coûte le même prix qu'un jeu sorti en 2013. Je n’y vois que du gâchis. En fait, Control est à l’image de nombreux jeux sur console : il mélange espoirs et frustration. Le jeu est bon, mais la machine ne suit pas. Certes, Remedy a promis un patch pour améliorer les performances graphiques, mais cela ne règlera sans doute pas tout et pourrait même baisser certains aspects visuels du titre. En fait, la console physique est une antiquité qui ne peut plus suivre.

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C’est le problème que j’ai avec ma Playstation 4 – et ça doit être pire pour les propriétaires d’Xbox, désolé – mais elle est en fin de vie et il est peut-être temps qu’elle laisse sa place. Nous risquons d’avoir le même soucis avec Cyberpunk 2077 qui n'est pas certain de voir le jour sur les prochaines consoles. Et quand bien même. Le modèle des consoles qui durent dix ans n’a plus de sens aujourd’hui, tant les évolutions technologiques les surpassent dès le jour de leur sortie. Alors que l’obsolescence programmée est la norme, comment augmenter la qualité des production de jeux avec de telles contraintes techniques ? À part deux ou trois opus, dont les années de développement et la pression exercée sur les développeurs ont pu rendre l’impossible envisageable – à savoir, un jeu fluide, beau et pas trop con –, le reste termine bien souvent dans les oubliettes. Et sortir des versions de consoles surboostées pour contrer cela n'est qu'une rustine. Ces consoles 2.0 sont elles-aussi dépassées quand elles sortent et permettent simplement à des gens de justifier l'achat d'une nouvelle télévision 4K, pour néanmoins jouer en 25 fps à des jeux peu ou pas optimisés.

Ainsi, on se retrouve soit avec des objets inutilisables, à la manière de nos magnétoscopes et des lecteurs mini disc, soit avec des jeux qui régressent techniquement. Quand on voit l'écart de niveau technique entre des jeux sortis à dix ans d'interval, on ne peut qu'être triste. Une vidéo montrant l'écart entre Far Cry 2 et Far Cry 5 fait mal au cœur, tant l'écart dans les détails et les animations sont minimes, voire régressifs. Certes, une fougère peut maintenant s'afficher en 4K, mais la durée de vie des consoles de salon empêche une évolution plus rapide des titres car il faut sans cesse que le jeu puisse tourner sur une console vieille de dix ans. Les consoles poussent aux compris, et souvent aux mauvais : préférer la haute définition, argument marketing, en lieu et place d'une expérience correct pour le joueur.

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« Le PC pourra toujours survivre à cela car, en plus de l’esport, il offrira toujours plus de flexibilité et de confort à des joueurs plus exigeants. »

C’est sans doute pour cela que la Playstation et la Xbox, malgré leurs ventes plutôt bonnes pour la première, deviennent avant tout des « FIFA Machine » dédiées de plus en plus aux jeux entre potes, et également à un truc vague qu’on appelle “media center”, à défaut d’être faite pour jouer dans de bonnes conditions. Si Control est un bon jeu, les machines qui occupent nos foyers actuellement ne lui rendent pas honneur (et il n'est pas le seul), il est sans doute temps de passer à une nouvelle ère vidéoludique.

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Si les consoles physiques commencent à éprouver de la peine à suivre les développements, le cloud gaming veut en être la réponse technique et financière. Le débarquement prochain de Stadia, le service de cloud gaming de Google à 129 euros qui souhaite « mettre fin à l’ère des consoles physiques » veut justement augmenter les possibilités. En supprimant le support physique, tout reposera sur les jeux – donc les développeurs qui auront peut-être plus de champ libre – et non sur la puissance de votre machine. Ainsi, il n’y aurait plus de produit obsolète, mais des jeux jouables à leur pleine capacité : la Stadia affirme pouvoir gérer un flux constant en 60 fps si vous avez une bonne fibre, ce qui évidemment n'est pas encore le cas pour beaucoup de Français. Ainsi, la machine pourrait (dans un monde idéal) s'adapter continuellement sans demander aux joueurs de payer une nouvelle console.

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Google n'est pas le seul en enclencher le pas. De son côté, Microsoft propose le Xbox Game Pass et son projet xCloud afin de pouvoir à long terme se positionner comme une société de service. Derrière, Amazon souhaiterait se lancer lui-aussi dans le cloud gaming d'ici 2020. Récemment, le patron de Nintendo Shuntaro Furukawa (qui jusque-là avait toujours eu une vision légèrement différente de Microsoft et Sony) expliquait que « Sur le long terme, peut-être que notre stratégie va s'émanciper des consoles de jeux vidéo - la flexibilité est aussi importante que l'ingéniosité ». Les consoles physiques empêchent la marge de manœuvre, les nouveautés et les défis et provoquent de la frustration.

Cette vague qui semble se dessiner vers le cloud gaming a aussi d'agréable qu'elle signe la fin pour les constructeurs de console leur volonté absurde de créer des « consoles-PC » – la PS4 Pro et X Box One X. On ne cherche pas la même chose avec une console et un PC, la console (ou son futur sur le cloud) doit offrir des conditions optimales de jeu à des gens qui ne veulent pas changer de matériel tous les ans, installer des drivers sur une carte graphique qui peut fondre à tout instant ou encore d'avoir une tour de contrôle faisant un bruit de tondeuse dans sa chambre. Le PC pourra toujours survivre à cela, car en plus de l’esport, il offrira toujours plus de flexibilité et de confort à des joueurs plus exigeants. Si le cloud gaming vient à se démocratiser, reste à savoir si les développeurs auront effectivement plus de possibilités sur ces nouveaux systèmes, ou si encore une fois, il faudra attendre dix ans pour voir une feuille d'arbre en 3D dans un jeu. De même côté joueurs, si la facilité du cloud gaming est intéressante et pourrait permettre à des personnes moins ou peu fortunées de profiter de jeux dans d'excellentes conditions, il faudra du temps si un système basé sur l'abonnement ne dégradera pas la qualité des productions, à l'instar d'un Netflix, et si le catalogue sera à la hauteur.

Je dis ça, mais rassurez-vous, la Playstation 5 et la Xbox Scarlett vont bien débarquer en 2020 et nous offrir des jeux en 5K.

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