L'art queer à l'époque où l'homosexualité était interdite

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Culture

L'art queer à l'époque où l'homosexualité était interdite

La Tate Britain expose des œuvres qui soulèvent des questions toujours actuelles.
Lauren O'Neill
London, GB

Cet article a été initialement publié sur VICE UK.

2017 marque le 50e anniversaire de la dépénalisation de l'homosexualité en Grande-Bretagne. Cet anniversaire est paradoxal : d'un côté, c'est un événement marquant en ce qui concerne la liberté d'expression ; de l'autre, c'est également un rappel honteux lié au fait que ces libertés, que l'on tient désormais pour acquises, ont longtemps été interdites par la loi.

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Cette ambivalence est au centre de la nouvelle exposition organisée à la Tate Britain de Londres, Queer British Art 1861-1967. L'exposition met autant en avant des œuvres créées un siècle avant la dépénalisation de l'homosexualité que des créateurs vedettes de l'après-guerre marginalisés en raison de leurs préférences sexuelles, et offre un regard unique sur la résistance dont ont fait preuve les personnes queer à une époque où elles étaient traitées comme des criminels.

Pour en savoir plus sur cette thématique, j'ai pu rencontrer Ellie Jones, une doctorante qui a participé à la création de l'exposition au côté des conservateurs de la Tate.

Henry Scott Tuke – « The Critics » (1927)

Henry Scott Tuke – « The Critics » (1927)

VICE : L'exposition a été organisée à l'occasion du 50e anniversaire de la dépénalisation de l'homosexualité au Royaume-Uni. Les œuvres exposées sont-elles encore d'actualité aujourd'hui ?
Ellie Jones : À l'époque où ces œuvres ont été réalisées, les termes « lesbienne », « gay », « bisexuel » ou « trans » n'étaient que peu connus, et beaucoup des artistes représentés ne font pas partie de ces catégories comme on les comprend de nos jours. Des événements marquants, comme le procès d'Oscar Wilde en 1895 [l'auteur irlandais a été assigné en justice en raison de son homosexualité], ont participé à mettre les questions d'identité sexuelle sur le devant de la scène, face à une opinion publique de l'époque qui considérait les pratiques sexuelles et les expressions de genre comme secondaires.

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Cela dit, les artistes du siècle dernier ont fait face à des problèmes qui sont toujours palpables aujourd'hui, et on ne peut pas vraiment se vanter des progrès accomplis. Les artistes du Bloomsbury Group [un groupe d'intellectuels et d'artistes britanniques du début du XXe siècle], par exemple, se sont posé des questions sérieuses au sujet de l'influence de la sexualité sur notre existence : « Avec qui peut-on vivre, et de quelle manière ? » ; « Comment doit-on réagir si l'on tombe amoureuse d'une femme, tout en appréciant les hommes le reste du temps ? » ; « Comment échapper au carcan du genre ? » Vous comprenez l'idée.

Cette exposition explore le b.a.-ba de la question : à quoi ressemble l'art queer, ou plutôt, qu'est ce qui rend un objet queer ?

Paul Tanqueray – « Douglas Byng » (1934)

Paul Tanqueray – « Douglas Byng » (1934)

Pensez-vous qu'une partie de la culture queer a toujours été présente, en quelque sorte ?
Si nous avons décidé d'exposer des œuvres datant d'avant la dépénalisation, c'était pour montrer que la culture queer a toujours trouvé et trouvera toujours un moyen de s'exprimer, même lorsque la loi est contre elle. L'éventail d'objets exposés – des portraits d'amoureux aux costumes fabriqués spécialement pour les drag-queens – témoigne de l'approche novatrice avec laquelle les artistes queer ont fait face à l'oppression. Il existe quelques histoires tragiques, mais également des moments remplis d'humour, de triomphe et de libération.

En quoi l'art queer au Royaume-Uni a-t-il changé depuis 1967 ?
La plupart des œuvres de l'exposition se concentrent sur le corps. Des artistes ayant travaillé avant la dépénalisation, comme Keith Vaughan, David Hockney ou Francis Bacon, ont commencé à repousser les limites de la représentation figurative.

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Depuis, l'art queer a proliféré et s'est diversifié avec un accès plus large aux matériaux, aux médias et à Internet. En 2017, la Tate expose un large éventail d'artistes queer qui mettent en lumière ces changements, comme Wolfgang Tillmans et Cerith Wyn Evans.

Keith Vaughan – « Drawing of two men kissing » (1958-73)

Keith Vaughan – « Drawing of two men kissing » (1958-73)

Quel était votre objectif au moment de participer à la création de cette exposition ?
On a essayé d'inclure des œuvres qui représentent le plus d'identités et d'expériences différentes. Queer British Art est la première exposition de ce genre, et j'espère qu'elle sera le déclencheur d'un dialogue plus vaste autour de la représentation et de la préservation des œuvres queer. Nous tenons à ce que les gens sachent qu'il ne s'agit pas d'une représentation complète de l'art queer britannique.

Quelles sont les œuvres les plus importantes de l'exposition, selon vous ?
Une de mes œuvres favorites est un dessin de Simeon Solomon intitulé « The Bride, Bridegroom, and Sad Love » (La Mariée, le Marié et l'Amour Triste), que l'on peut résumer comme une représentation déchirante de cette troisième personne qui tient la chandelle. Sa représentation d'un amour impossible est à vous fendre le cœur.

Simeon Solomon – « Sappho et Erinna dans un jardin à Mytilène » (1864)

Pour finir, pouvez-vous nous parler du sens de l'exposition, pour vous ?
Récemment, j'ai lu le livre de l'artiste David Wojnarowicz, Au bord du gouffre, et j'ai en tête une citation : « La sexualité représentée par l'image me réconforte dans ce monde hostile. »

Je pense que cette phrase résume bien l'exposition. Nous donnons une voix à des vies et des expériences que l'on a tues, dissimulées ou même oubliées pendant longtemps. L'exposition permet d'évacuer cette colère et de trouver un certain apaisement.

L'exposition Queer British Art 1861-1967 se déroule à la Tate Britain de Londres du 5 avril 2017 au 1er octobre 2017. Vous pouvez retrouver plus d'informations sur le site de la Tate Britain.

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