« J'ai décidé de mettre Mémé dans la poubelle »
Illustration d'Émilie Oprescu 

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Crime

« J'ai décidé de mettre Mémé dans la poubelle »

Au procès de Brice, accusé d’avoir caché le corps de sa grand-mère dans une poubelle après l’avoir tuée.

Brice a les cheveux blonds bouclés mi-longs, un visage juvénile et deux grands yeux bleus. À 26 ans, l'accusé est plutôt charmant, quand il ne débite pas les pires insanités. Pour l'instant, derrière la vitre en plexiglas du box des accusés, il écoute le psychiatre Daniel Zagury et se recoiffe régulièrement avec la paume de sa main.

« L'impression dominante, nous dit le psychiatre, c'est qu'il parle beaucoup, mais qu'il ne se dévoile jamais. » Noémie Saidi-Cottier, son avocate, confirme : « Il a une personnalité complexe. »

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C'est un euphémisme. Brice, à qui l'on reproche d'avoir tué sa grand-mère, fait tout ce qu'il peut pour saboter sa défense – au grand dam de son avocate –, professant tour à tour son admiration pour Adolf Hitler, sa haine des « faibles » et sa supériorité intellectuelle. L'effet sur les jurés est désastreux.

« Il est assez cynique, note M. Zagury. Il a une polarisation centrale autour de l'antisémitisme, qui domine sa vision du monde, conjointement à son exaltation de la culture celte. Quand il dit, par exemple, que François Hollande est juif, il est dans une sorte de jouissance. »

Brice, interloqué, sursaute sur son banc : « Parce que Hollande, ce n'est pas un nom juif, peut-être ? »

Le psychiatre poursuit, sans le regarder : « Il n'est pas dans un délire, c'est une logorrhée. Si on le poussait dans ses retranchements, il admettrait sans doute qu'il n'y croit pas. »

Cette fois, Brice se lève carrément et se tourne vers le président de la cour d'assises : « Je peux répondre ? » Le juge le coupe sèchement : « Non ! » Il a déjà trop entendu les justifications antisémites de Brice. Il se tourne vers l'expert : « La manière dont il vivait chez sa grand-mère, est-ce qu'on peut parler d'une forme de parasitisme ? »

Le psychiatre s'apprête à répondre, commence sa phrase, et se fait interrompre par le jeune homme dans le box, furieux, qui le pointe du doigt : « C'est lui le parasite, c'est pas moi, espèce de sale enculé de juif de merde. » Sans sourciller, Daniel Zagury se tourne vers les jurés, hausse les épaules et poursuit sa déposition. Brice, qui fait face à la réclusion criminelle à perpétuité, se rassoit sur son banc, tout sourire, satisfait d'avoir donné la pire image de lui-même.

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En 2013, Brice a tué sa grand-mère, probablement la seule personne pour qui il avait une affection véritable, dans l'appartement de cette dernière. « J'aimais ma grand-mère, c'était la personne de ma famille que je voyais le plus. C'était quelqu'un de cool. Elle avait 70 balais, mais elle était restée jeune. Elle était raciste comme moi, on discutait beaucoup. »

Ensuite, il a caché le cadavre dans une grande poubelle de la ville de Paris, qu'il a laissée dans l'appartement. C'est la mère de Brice qui a découvert le corps, six mois plus tard. Dans son sarcophage en plastique, la vieille dame de 77 ans, décomposée, ressemblait à une momie égyptienne démaillotée.

Aujourd'hui, devant les jurés, Brice continue de nier l'évidence, sans fournir d'explication convaincante : « J'ai bien compris que, depuis le début, on ne me croit pas, se défend-il maladroitement. Je n'ai pas tué ma grand-mère. » Le président, avec beaucoup de douceur, le met en garde : « Ce serait dommage d'arriver à la fin de ce procès, si la décision ne vous plaît pas, et que vous ayez des regrets, que vous vous disiez : "Je n'aurais pas dû dire ça." Vous dites que vous n'avez pas tué votre grand-mère, mais comment est-elle morte ? »

« Je ne sais pas, répond Brice, je ne sais pas. Je suis revenu après trois jours, et elle était morte. »

« C'est triste à en crever, dira son avocate pendant la plaidoirie. Il est tellement seul. » Effectivement, le jour de Noël, en 2013, Brice était seul. Sa grand-mère était partie chez sa fille Sylvaine, la mère de Brice, dans le Loir-et-Cher. Dans son petit appartement parisien, « Mémé » avait laissé un mot pour son petit-fils : « Bon Noël à toi sans nous. » Signé : « La mère Noël. » Le mot accompagnait un petit cadeau emballé dans un papier Hello Kitty.

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Le 26 décembre, la grand-mère de Brice a pris le train depuis le Loir-et-Cher, pour rentrer à Paris. Son petit-fils devait l'accueillir à la gare.

Six mois plus tard, le 8 mai 2014, à 11h25, les fonctionnaires de police du commissariat du 19e arrondissement étaient contactés suite à la découverte d'un cadavre en état de décomposition avancé placé dans un conteneur poubelle de la ville de Paris, dans un appartement de la capitale.

« Elle aimait son petit-fils, elle le protégeait énormément. Il ne fallait jamais en dire du mal » – un voisin de la grand-mère de Brice

Sylvaine, la mère de Brice, est entendue à la fin du premier jour d'audience. C'est elle qui a découvert le corps. Après avoir signalé la disparition inquiétante de sa mère, et devant l'absence de résultat de l'enquête, elle s'était rendue d'elle-même dans le studio. Au milieu de l'unique pièce, elle avait constaté la présence d'un grand conteneur poubelle, scellé par des sacs plastiques. À l'intérieur, il y avait sa mère.

En larmes, elle prend la parole devant les jurés : « Je… Je le savais depuis le début. Je savais que c'était lui, je ne peux pas vous l'expliquer. Depuis deux ans, Brice n'avait plus aucun ami. Il disait qu'il était trop bien pour les autres. Il était devenu agressif, il tenait des propos incohérents à l'égard des juifs. »

À côté du conteneur poubelle, sur une petite table, les policiers ont trouvé une lettre, signée par Sylvaine. Elle demandait à son fils de changer de comportement vis-à-vis de sa grand-mère, à laquelle, selon elle, il manquait de respect : « Brice, ne deviens pas ordurier avec le peu de personnes que tu as dans ton entourage. » Brice avait beau s'entendre avec sa grand-mère, il passait son temps à lui réclamer de l'argent, quitte à l'insulter lorsqu'elle n'en donnait pas assez. Thérèse était terrorisée à l'idée de ne pas pouvoir suivre financièrement, allant même jusqu'à s'endetter pour donner de l'argent à son petit-fils.

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« Elle aimait son petit-fils, elle le protégeait énormément. Il ne fallait jamais en dire du mal », se souvient un voisin. Depuis quelques mois, Brice était presque tous les jours chez sa grand-mère. « Elle l'adorait ; il l'adorait », confirme la mère. « Mémé » aimait tellement son petit-fils que, quand il venait, elle refusait qu'il dorme dans le lit de camp. Elle lui prêtait son propre lit, quitte à être couverte de bleus le lendemain. Et personne ne pouvait la forcer à se ménager un peu : « Nous lui disions que ce n'était pas rendre service à Brice que de le traiter comme ça, mais elle ne voulait rien entendre », se souvient le père.

Que s'est-il passé, le 26 décembre, dans l'appartement parisien, pour qu'un cadavre soit découvert six mois plus tard ? Ici, deux versions, qui ne divergent finalement pas tant que ça, s'affrontent, tout en s'accordant sur plusieurs points : quand la grand-mère de Brice est rentrée du Loir-et-Cher, elle a été accueillie par son petit-fils, comme convenu. De retour à l'appartement, une dispute a éclaté. Brice réclamait de l'argent et, pour une fois – peut-être parce qu'elle venait de passer quelques jours avec sa fille, qui lui disait de ne pas se montrer aussi généreuse – la grand-mère a résisté. Brice l'a traitée de « radine », a ramassé une gifle, s'est énervé, l'a poussée. Mémé est tombée sur le sol.

C'est ici que les deux scenarii s'écartent et présentent, chacun, quelques zones d'ombre. La version de l'accusation, c'est que la grand-mère est morte sous les coups de son petit-fils. Le médecin légiste, malgré la difficile analyse d'un corps putréfié, a noté la présence de deux hématomes, l'un sur l'arrière du crâne, l'autre à l'avant. En tombant, la grand-mère n'aurait pas pu souffrir de telles blessures, sur deux faces opposées de la tête. Elle portait également des marques de strangulation.

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La version de Brice, c'est que sa grand-mère s'est relevée, et puis qu'il est parti. Il ne l'a pas frappée, elle allait bien. Quand il est revenu, trois jours plus tard, sa grand-mère était morte. Paniqué à l'idée qu'il pourrait être accusé d'un crime, Brice a nettoyé la pièce et le cadavre, puis récupéré un conteneur poubelle : « J'ai décidé de mettre Mémé dans la poubelle. » Il a ensuite scellé l'ouverture avec des sacs plastiques pour que l'odeur ne s'échappe pas, puis il a fui en Bretagne, où il a vécu pendant six mois en ponctionnant la carte bleue de la vieille dame.

« Comment est-ce que vous avez eu cette idée, de mettre des sacs plastiques pour faire un joint ? », demande l'avocate générale, Maryvonne Caillibotte. Brice sourit : « C'est une bonne question. » Il indique par un signe des épaules qu'il ne sait pas. « Merci. Parce que c'est une bonne idée », poursuit la magistrate. « Pendant six mois, il n'y a eu aucune odeur dans l'immeuble. » Brice, flatté par la reconnaissance de son savoir-faire, répond poliment : « Merci. » L'avocate générale, qui lui retourne son sourire, reprend : « Voilà, je vous rends le compliment. »

« Adhérez-vous toujours aux idées nazies ? », lui demande le président de la cour d'assises. « Absolument », répond Brice avec beaucoup d'entrain.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, Brice, à force de nier l'évidence et d'égrainer les clichés antisémites, a fini par se rendre sympathique aux yeux de l'accusation. Peut-être parce que son antisémitisme, ses provocations au fur et à mesure des débats, apparaissaient finalement comme une façade peu crédible, destinée à dissimuler un immense gouffre affectif, et une profonde tristesse.

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Rien ne permet vraiment d'expliquer pourquoi Brice, peu à peu, depuis l'adolescence, s'est enfoncé dans la solitude, au point de ne plus avoir aucun ami, aucune relation amoureuse. Tout semble avoir basculé lors du divorce de ses parents, quand il avait douze ans. Sa mère, avec qui il a vécu seul, sans revoir son père jusqu'à ses dix-huit ans, a sombré dans la dépression, s'est soignée à l'alcool et au cannabis. Dès le début du collège, Brice, auparavant très satisfaisant à l'école, a commencé à sécher les cours, à se plaindre de l'ennui, à devenir agressif vis-à-vis de tout le monde, à développer des idées politiques radicales.

« Adhérez-vous toujours aux idées nazies ? », lui demande le président de la cour d'assises. « Absolument », répond Brice avec beaucoup d'entrain. « Peu d'êtres humains peuvent se vanter d'avoir eu un empire aussi grand que celui d'Hitler. » Pourtant, depuis plusieurs années, Brice dit qu'il s'est écarté du nazisme, et qu'il est désormais plus proche de la culture celte.

« J'ai essayé de parler de spiritualité avec lui », déclare son père, un grand bonhomme à l'allure sérieuse, lui-même protestant. « Mais ça n'a pas de fond. Sa spiritualité, c'est comme si vous construisiez votre culture scientifique en lisant des articles de Science et Vie. »

« Est-ce que vous n'avez pas l'impression que votre fils est complètement déconnecté de la réalité ? », lui demande Noémie Saidi-Cottier. « Oui, complètement », répond le père. Pas assez pour les experts, en tout cas, qui n'ont noté ni altération ni abolition du discernement chez le jeune homme.

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Pour la psychologue qui l'a examiné pendant sa détention, et à qui il semble avoir fait une très mauvaise impression, Brice fait preuve d'un manque d'empathie flagrant. Il est manipulateur et menteur.

L'avocate générale, qui semble avoir pris le jeune homme en affection, interroge la psychologue : « J'ai l'impression qu'il en rajoute, pour passer pour quelqu'un de plus méchant qu'il ne l'est réellement. » La psychologue ne semble pas souscrire à cette idée : « Je me suis posé la question si, derrière ce masque, il n'y avait pas une affectivité, mais je ne peux pas l'affirmer. » Pour elle, Brice n'est pas dépressif.

Brice réagit à ce bilan de personnalité avec la même politesse : « Forcément, quand un juif analyse un antisémite, il va tenter de le démolir. »

« Ma mère a eu cinq enfants, de quatre pères différents. On s'est tous senti un peu délaissé. » – Jean-Jacques, oncle de Brice

« On est une famille très fermée », dit Jean-Jacques, l'un des fils de Thérèse. « Il y a des choses qui ne se disent pas, dans une famille. » Ému, l'oncle tremble devant la barre quand il témoigne. De sa poche, il sort une petite lettre. C'est un récit écrit par l'un de ses frères décédés, qui évoque la naissance de « Mémé » pendant la Seconde Guerre mondiale, dans des conditions très difficiles. La suite de sa déposition fait émerger le portrait d'une longue dépression familiale, de rancœurs ressassées depuis des dizaines d'années. « Ma mère a eu cinq enfants, de quatre pères différents. On s'est tous senti un peu délaissé. » Sur les trois garçons, tous sont devenus militaires, et deux sont morts. Les filles, Sylvaine et Sophie, ont quitté la maison quand elles avaient dix-huit ans.

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Cette dernière fond en larmes au moment où elle se présente devant les jurés. D'une voix tremblante, elle se force à témoigner : « Moi, je n'ai pas eu la même mère que ma petite sœur. Elle a été maladroite avec moi. Je n'avais pas le droit de parler à la maison. La seule chose que ma mère me disait, c'était : "Ne réponds pas." Et mon père… Il ne disait rien. La seule chose qu'il me disait, c'est : "Tu n'es pas ma fille." À dix-huit ans, pour mon anniversaire, ma mère ne m'a pas fait de cadeau. Elle a juste préparé ma valise, et puis elle m'a jetée dehors. » Sophie a vécu dans un foyer pendant plusieurs années, avant de pouvoir s'assumer financièrement.

La dernière fois que Sophie a vu Brice, il avait trois ans. Son témoignage, aussi bien sur les faits que sur la personnalité de l'accusé, ne devrait pas permettre d'éclairer l'affaire. D'ailleurs, quand elle demande si elle peut ajouter quelque chose à la fin de la déposition, le président lui répond un peu sèchement : « Rapidement alors, parce que les experts viennent d'arriver. »

Et pourtant, à travers son récit un peu décousu, entrecoupé de sanglots, on comprend un peu mieux. On comprend que Brice n'est pas seulement un gamin perdu au milieu de nulle part, mais l'héritier d'une longue liste de secrets et de rancunes toujours pas digérées. En 1991, le père de Sophie s'est suicidé, d'une balle dans la tête. Pour éviter à sa mère d'être accusée de meurtre, Sophie a dû livrer un faux témoignage.

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Le dernier jour du procès, à l'occasion de la plaidoirie de l'avocat de Sophie, Louis-Romain Riché, une nouvelle vérité émerge devant les jurés : Sophie n'est pas la fille de celui qu'elle croyait être son père, mais celle de son oncle. Elle l'a appris par sa mère, quand elle avait quinze ans.

« Cette famille, c'est du Zola, c'est glaçant », constatera l'avocate de Brice, Noémie Saidi-Cottier, pendant sa plaidoirie. L'avocate générale ne peut qu'acquiescer : « Cette histoire de famille, elle nous a un peu explosé à la figure. Une cour d'assises, ce n'est pas un cabinet de thérapie familiale, mais il arrive que l'audience devienne un lieu de parole. C'est comme ça. »

Autour d'un cadavre dans une poubelle, une famille entière se dévoile brutalement devant les six jurés. De génération en génération, la dépression semble s'être installée comme un membre du foyer. Aujourd'hui, c'est Brice, l'héritier, qui doit en répondre devant la cour d'assises.

Alors que le dernier jour du procès s'achève, le visage de Brice a changé. Il a de grands cernes sous les yeux, paraît décomposé. Son avocate l'a senti également : « Il n'était pas pareil ce matin, il me l'a dit. Il se rend compte qu'il va être condamné. »

Le président l'interroge une dernière fois sur les faits :

« – Vous dites que vous êtes entré dans l'appartement, et que votre grand-mère était morte. À votre avis, que s'est-il passé ?
– Je ne sais pas. Il aurait pu se passer n'importe quoi. Je sais que le fait de spéculer ne va pas me rendre service. Sur le moment, je me suis simplement dit qu'elle était tombée.
– Vous ne vous êtes pas dit qu'elle avait été victime de violences, que quelqu'un avait tué "Mémé" ? Ça arrive, quelqu'un qui entre par effraction.
– C'est vrai.
– Aujourd'hui, si l'on ne peut pas préciser un certain nombre de choses, c'est aussi et surtout à cause de vous, parce que vous avez nettoyé la pièce et que vous avez caché le corps.
– Bien sûr, bien sûr.
– Quand vous l'avez trouvé, pourquoi est-ce que vous n'avez pas appelé la police ?
– Je n'allais pas appeler la police et arriver avec le pantalon plein de sang. Ils m'auraient accusé tout de suite.
– Mais pourquoi est-ce que vous aviez le pantalon plein de sang ?
– Parce que j'avais nettoyé la pièce.
– Mais si vous n'aviez pas nettoyé ?
– Ma grand-mère aurait été retrouvée six mois plus tôt, avec les odeurs. Je me serais retrouvé ici six mois plus tôt. »

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« Vous savez, à la fin de la vie, on termine tous de la même manière. Ce qui change, c'est la façon dont on accompagne cette mort. Honnêtement, personne n'oubliera cette poubelle. » – l'avocate générale

L'avocate générale clôt les débats en lui posant une dernière question : « Vos déclarations sont très évolutives, notamment par rapport au lieu de la dispute. D'abord, vous dites qu'elle a eu lieu dans le salon, puis dans la cuisine, puis dans la salle de bains. En fait, vous essayez simplement de trouver une histoire convaincante, qui corresponde aux éléments de l'enquête ? » Brice, sans perdre le sourire aimable qu'il aura gardé pendant tout le procès, répond simplement : « Absolument. »

Avant les réquisitions, l'avocate de Sylvaine rend compte du regard que la mère porte sur son fils : « Pour elle, Brice est devenu un monstre qui doit être jugé pour le mal qu'il a fait. Elle vous demande d'entrer en voie de condamnation sans retenue. Elle a fait le deuil de son fils. »

À 14 heures, le dernier jour, Maryvonne Caillibotte prend ses réquisitions : « Tout est sur la table, tout a été examiné. Il n'est pas question d'arbitraire ici, pas question de dire "j'aime" ou "je n'aime pas". Il est question de rigueur. L'enjeu est rude, puisque Brice encourt la peine maximale, la réclusion criminelle à perpétuité. »

Pour elle, impossible d'oublier ce cadavre, retrouvé dans un cercueil en plastique : « Vous savez, à la fin de la vie, on termine tous de la même manière. Ce qui change, c'est la façon dont on accompagne cette mort. Honnêtement, personne n'oubliera cette poubelle. »

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Pour appuyer sa conviction de la culpabilité de Brice, la magistrate s'appuie sur l'accumulation d'indices qui pointent tous vers le jeune homme : Brice est la dernière personne à avoir vu sa grand-mère en vie, elle présentait plusieurs blessures incompatibles avec une mort subite, il n'y avait aucune trace d'effraction dans l'appartement, Brice a nettoyé la pièce, caché le corps, pris la fuite et n'a révélé à personne que sa grand-mère était morte. « Tournez ça dans tous les sens, c'est incohérent. » À tous ces éléments déjà accablants s'ajoute le profil de l'accusé, décrit par les psychologues à travers une longue liste d'adjectifs péjoratifs.

« Ce qui m'intéresse plutôt, c'est sa personnalité, ajoute Maryvonne Caillibotte. Les éléments favorables, ils n'émergent pas immédiatement dans ce dossier. Je pense qu'on peut mettre en creux de cette affaire cette blessure causée par le divorce de ses parents. Je ne fais pas de la psychologie à deux euros. Je crois que Brice reste, sur le plan humain, plus que cette succession d'adjectifs négatifs. »

Après avoir rappelé la fonction de la peine, qui est de protéger la société sans pour autant anéantir les individus qui constituent cette société, elle demande 12 ans de réclusion criminelle.

« Vous avez le droit de le trouver odieux, vous n'avez pas le droit de le condamner pour cela. » – l'avocate de Brice

Noémie Saidi-Cottier, derrière elle, sait qu'elle va devoir rattraper quatre jours d'audience pendant lesquels Brice a livré « un spectacle pathétique » : « S'il est une vérité certaine, c'est que celui qui m'a fait l'honneur de sa confiance pour le défendre n'a rien fait pour se rendre sympathique. » Elle se tourne ensuite vers l'accusé : « Il faut bien le reconnaître, mon plus grand ennemi pour vous défendre aujourd'hui, c'est vous-même. »

Pendant plusieurs minutes, elle s'attache à décrire celui pour qui personne, à la barre, n'est venu dire un mot gentil, une parole positive : « J'ai une image de lui différente, et je suis là pour la faire partager, parce que c'est mon devoir. Je le concède, il est infréquentable. Il n'existe que par ses idées, toujours plus extrêmes, toujours plus farfelues. » Mais s'il y a selon elle quelque chose qu'il ne faut pas oublier, c'est que ce procès est aussi celui de la solitude, celle de deux êtres – « un tandem branlant » –, une grand-mère et son petit-fils, qui ne vivaient que l'un à travers l'autre.

Sur la culpabilité, elle évoque le « doute sérieux » et la possibilité d'une mort subite causée par le stress : « Y a-t-il, dans ce dossier, une preuve irréfutable ? » C'est sur ce doute, et sur la certitude que Brice aimait sa grand-mère, qu'elle demande aux jurés de requalifier le crime de « meurtre sur ascendant » à « violences volontaires ayant entraîné la mort sans l'intention de la donner ».

Pour ce qui est de la peine : « Honnêtement, je m'attendais à plus. Peut-être que ça tient à l'insuffisance des preuves, à la légèreté de ce dossier. » Elle termine : « Vous avez le droit de le trouver odieux, vous n'avez pas le droit de le condamner pour cela. »

Avant que les six jurés ne se lèvent pour délibérer, Brice est invité à prendre la parole une dernière fois : « J'ai l'impression qu'avoir eu la parole ces derniers jours ne m'a pas été très favorable. Je crois que je vais m'abstenir d'en rajouter. »

Quand ils reviennent quelques heures plus tard, les jurés condamnent Brice à 12 ans de réclusion criminelle pour le meurtre de sa grand-mère.

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