La neutralité du net est officiellement abolie aux États-Unis

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La neutralité du net est officiellement abolie aux États-Unis

Pour les défenseurs de la neutralité du net, ce n’est qu’une nouvelle étape de cette bataille qui commence.
Billy  Eff
traduit par Billy Eff

C’est fait. Après qu’une menace à la sécurité a interrompu la réunion pendant un moment, la Federal Communications Commission (FCC) a voté pour l’abrogation des règles sur la neutralité du net établies sous l’administration Obama. Malgré la contestation de deux commissaires démocrates, les protections que défendent la majorité des consommateurs américains sont maintenant chose du passé, et les géants des télécommunications commenceront sûrement à célébrer les Fêtes avant tout le monde.

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Mais avant de lancer votre ordinateur dans le lac, rassurez-vous : tout n’est pas perdu. Dans les prochains jours, semaines et mois – même les prochaines heures –, s’entamera la prochaine phase de la lutte pour la neutralité du net. Elle prendra plusieurs formes, se déroulera en plusieurs lieux, cela ne fait que commencer. Voici à quoi ressemblera cette lutte.

Tenter de convaincre le Congrès d’actionner le frein d’urgence

La première étape pour les défenseurs de la neutralité du net sera de faire pression sur le Congrès américain pour qu’il invoque l’Acte de révision du Congrès (CRA) et adopte une résolution de désapprobation. Ce mécanisme lui permet de casser n’importe quelle mesure législative adoptée par une agence fédérale. C’est ce qu’ont utilisé les républicains plus tôt cette année pour éliminer des mesures de protection de la vie privée sur internet.

« Le CRA est notre meilleure option du côté de Capitol Hill pour l’instant », dit Timothy Karr, porte-parole pour le Fonds d’action pour la liberté de presse, un groupe qui milite pour la neutralité du net. « Nous ne sommes pas intéressés par les efforts visant à trouver un compromis au Congrès mis de l’avant par beaucoup dans le lobby de la téléphonie et du câble. Nous ne croyons pas au résultat d’une bataille législative au Congrès quand les défenseurs de la neutralité du net sont complètement dépassés en nombre par les lobbyistes du câble et des télécommunications. »

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Une manifestation en faveur de la neutralité du net à Boston. Source : Free Press

Bien que les républicains aient présentement le contrôle de la Chambre des représentants et du Sénat, sa position sur la neutralité du net n’est pas aussi unanime que sur d’autres enjeux. Une bonne part des membres républicains du Congrès ont appuyé l’abrogation, mais une poignée d’entre eux se sont prononcés contre cette décision. Avec de récents sondages indiquant que trois électeurs républicains sur quatre sont contre l’abrogation des règles de la neutralité du net et des élections partielles à venir dans 11 mois, il y a une chance que cette voie réussisse.

Recourir aux tribunaux

Les actions en justice sont, à ce stade, inévitables. Les groupes de défense de la neutralité du net et des droits des consommateurs intenteront des poursuites contre la FCC, dans l'espoir qu'un tribunal annulera la décision. Free Press et l'Electronic Frontier Foundation m'ont dit que leurs groupes étaient prêts à porter l’affaire devant les tribunaux.

« La contestation juridique serait probablement basée sur la Loi sur les procédures administratives, en soulignant le refus délibéré de la FCC de reconnaître les preuves économiques et techniques, ainsi que les nombreuses failles dans le processus de discussion », a déclaré Corynne McSherry, directrice juridique de Foundation Frontier.

On ne manque pas d’arguments pour les poursuites judiciaires. Il y a notamment le fait que la période de commentaires du public – sur laquelle la décision devait être fondée – était essentiellement bidon. Le procureur général de New York, Eric Schneiderman, a déclaré qu'elle avait été corrompue par un « très vaste complot » après qu’il a découvert que des dizaines de milliers d'identités new-yorkaises avaient été utilisées pour présenter de faux commentaires. Un total de 18 procureurs généraux ont signé une lettre demandant à la FCC de reporter le vote en raison de préoccupations concernant la cueillette de commentaires. Des chercheurs ont estimé que plus de 80 % de ceux-ci ont été générés par des robots et le Pew Research Center a constaté que seulement 3 % des commentaires avaient été bien vérifiés. Pour de nombreux commentaires, de faux renseignements ont été fournis, comme email@email.com, et des auteurs de commentaires étaient des personnes décédées.

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Manifestation à Latham, New York. Source : Free Press

La procédure à laquelle la FCC a recouru pour abroger les mesures législatives, une notice of proposed rulemaking, exige des agences qu’elles prennent en compte les commentaires pertinents dans un cadre officiel en vertu de la Loi sur les procédures administratives. Vu tous les problèmes entourant la période de commentaires, il est possible de soutenir que la FCC n’a pas respecté son obligation à ce stade, ce qui invaliderait sa décision. C’est une position avec laquelle est d’accord la commissaire démocrate de la FCC Jessica Rosenworcel.

« C’est fou. On a volé l’identité de deux millions de personnes afin de corrompre notre audience publique », a écrit dans un communiqué Mme Rosenworcel mercredi. « Dix-neuf procureurs généraux des États-Unis nous ont demandé de reporter ce vote pour qu’ils puissent enquêter. Malgré cela, dans moins de 24 heures, il est prévu que nous nous prononcions sur la décision d’éradiquer la neutralité du net. Nous ne devrions pas nous prononcer sur aucun article de loi basé sur cette audience corrompue. J’invite tous mes collègues à reporter ce vote pour que nous puissions faire la lumière sur ce gâchis. »

Dicter nos propres lois encadrant la neutralité du net

Bien que la FCC ait fait part de sa volonté de préempter l’adoption de lois dans les États, les décideurs dans chacun de ceux-ci et des groupes citoyens espèrent maintenir l’internet libre à ce palier. À cette fin, des décideurs des États doivent présenter en toute transparence des projets de loi en faveur de la neutralité du net. Par exemple, le représentant de l’État de Washington, Drew Hansen, a présenté mercredi le projet de loi H.B. 2282, qui interdirait aux fournisseurs d’accès à internet de bloquer tout contenu ou de ralentir le service.

« La FCC a affirmé qu’il a le pouvoir de préempter les lois adoptées dans les États, mais ce n’est pas nécessairement vrai, m’a dit M. Hansen par téléphone. Je peux dire que j’ai le pouvoir de faire apparaître des licornes sur la pelouse de Capitol Hill demain, mais il est possible que ça ne se produise pas. »

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M. Hansen m’a dit que, parce que la FCC plaide, il n’a pas l’autorité pour réglementer l’internet. Il ajoute que, du moins à Washington, on fera tout ce qui sera possible pour qu’internet reste libre, du moins au niveau des États.

« C’est un sacré bordel »

Il faut s’attendre à des tentatives semblables dans les États et les villes, ainsi qu’à un plus grand effort pour établir des réseaux à large bande municipaux, une possibilité qui gagne en popularité, surtout dans les villes qui ont peu accès à internet.

Quand des villes ou des groupes locaux parviennent à créer leur propre internet, ils peuvent exiger que la neutralité net en soit une caractéristique fondamentale, ce qui non seulement préserve l’accès libre à internet, mais crée une pression sur les concurrents privés qui les poussera à faire de même. Personne ne voudra passer du service internet municipal à celui d’AT&T, si ce dernier ne permet pas d’accéder à Netflix.

Faire campagne pour de vraies règles et peut-être une toute nouvelle agence

Au coeur de ce débat, il y a un enjeu majeur : les règles assurant la neutralité du net n’étaient pas parfaites non plus. Même s’il vaut mieux avoir quelques règles que rien du tout, soumettre les fournisseurs d’accès à internet à une loi datant de 1934 était une solution imparfaite.

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« C’est un sacré bordel », me dit David Farber, un ancien directeur de la technologie à la FCC (et parrain de l’internet). « Ces règles n’étaient pas du tout conçues pour ça. »

M. Farber souligne que, même si les défenseurs de la neutralité réussissent à faire infirmer la décision de la FCC, le parti républicain répliquera probablement, et des mesures législatives qui fluctuent constamment sont inutiles. La réalité, c’est qu’aucune des agences en place en ce moment n’a même un semblant d’idée de ce à quoi ressemblera la technologie de l’avenir, et les comparaisons à des services comme l’aqueduc et des produits comme le pétrole, même si ce sont les meilleures analogies possibles dans notre système législatif, ne conviennent pas du tout. Afin de réellement maintenir internet libre, il est essentiel que la population en reprenne le contrôle, mais il est également essentiel d’établir un cadre législatif moderne et approprié.

« Ce qu’il faut, c’est qu’une organisation non gouvernementale relativement bipartisane qui met sur pied un modèle d’autorité que le Congrès pourrait transformer en loi, me dit M. Farber. Ce Congrès semble tout simplement incapable de gérer quelque chose d’aussi controversé que ça. »