Truffière Chasse
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La truffière : l'art de chasser la truffe sans emmerder personne

N’importe qui peut planter des arbres truffiers chez lui. Il n’y a pas de règles ni de taxes sur les récoltes.

Deux heures en compagnie d’Edouard, trufficulteur de Dordogne, permettent d’acquérir les rudiments pour détecter le précieux Tuber melanosporum, la truffe emblématique du Périgord. Avec son chien Lino, on a humé et retourné pas mal de terre.

« Je ne cache jamais de truffes avant de faire visiter ma truffière »,

marmonne Edouard en conduisant ses invités dans les allées boueuses qui mènent à sa plantation. Cette annonce est rassurante pour les visiteurs. Ils ont maintenant la certitude que s’ils découvrent une truffe, il s’agira véritablement du fruit du hasard. Chez Edouard, on ne creuse pas, on pratique le « cavage ». Ce qui revient à accomplir le même geste, plus finement. Avant de se retrousser les manches, Edouard tient à préciser qu’il est avant tout un passionné.

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« J’ai 4,5 hectares, dont 1,5 ha consacré à la truffe. Je suis le premier à m’être déclaré 100% trufficulteur. Je fais ça depuis 16 ou 17 ans. Je vais pouvoir peut-être vivre uniquement de ma culture. Dans deux ou trois ans, cela sera possible »,

se félicite-t-il en désignant un chêne vert du doigt.

De décembre à février, la période est idéale pour ramasser les meilleures melanosporum. Mais le trufficulteur sait aussi se contenter de brumales, une espèce moins courtisée qui se récolte jusqu’à mars.

Dans sa truffière perdue au milieu de la Dordogne, Edouard utilise des arbres bien connus pour leur capacité de symbiose avec la truffe : le chêne, le chêne vert ou encore le noisetier. Ces essences peuplent son terrain cabossé. « Mon métier, c’est ces trois arbres. Quand ils sont encore en pots, je place des spores dans la terre. Quand ils germent, ils créent du mycélium. C’est ce mycélium qui va s’accrocher aux racines de mon petit arbre et engendrer des truffes quand il aura passé du temps en pleine terre. » Sous les petits arbres, on aperçoit rapidement des « brûlés ». Quand un arbre donne des truffes, l’herbe se replie. C’est ce qu’on appelle le brûlé : le champignon de la truffe produit une toxine à effet désherbant. « Quand les gens sortent de chez moi, ils sont capables de braconner. Mais un brûlé ne veut pas dire qu’il y a des truffes. Cela signifie qu’il y en a eu, qu’il y en a ou qu’il y en aura », s’amuse le vieil homme en lâchant son chien.

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Avec les mouches, on ne ramasse jamais toutes les truffes d’un arbre et elles peuvent ainsi continuer à se nourrir et se reproduire

Edouard peut compter sur Lino, un jeune canidé à l’odorat infaillible. D’autres trufficulteurs utilisent des truies, mais il faut les tirer en arrière avant qu’elles ne mangent les truffes en quelques secondes. Edouard indique que la meilleure façon de se débarrasser de la truie est de faire diversion avec des grains de maïs. Il y aussi la mouche à truffe qui se pose au-dessus des zones propices. « Chercher des truffes à la mouche marche bien, mais c’est plus long ! Le chien pour moi, c’est top. Un chercheur m’a confié qu’il y avait moins de mouches cette année. Avec leurs chiens, certains cultivateurs ramassent toutes les truffes qu’un arbre peut donner et les mouches à truffes n’ont plus de quoi se développer. Avec les mouches, on ne ramasse jamais toutes les truffes d’un arbre et elles peuvent ainsi continuer à se nourrir et se reproduire », déroule Edouard.

Lino se met en quête d’une première truffe puis stoppe la marche soudainement. Il gratte la terre machinalement. Edouard se saisit alors d’une motte et la porte à ses narines. Imprégnée par la truffe et gorgée d’humidité, la terre ne peut mentir. Une truffe se trouve quelques centimètres au-dessous.

Avec un pic, nous déblayons suffisamment de terre pour apercevoir le Graal. « Elle doit faire dans les 60 grammes », sourit Edouard. Lino est aussitôt récompensé. « Tant que je n’ai pas la truffe, je ne le paye pas. Il va donner la patte pour obtenir une récompense, mais il faut d’abord que je voie la truffe. Pour le moment, il ne m’a pas jamais menti ».

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Le trufficulteur n’a pas de fusil pour défendre sa propriété, mais il sait que des braconniers lui rendent parfois visite. Il les croise tous les samedis au marché de Sarlat. « Je sais qui vient chez moi, les chasseurs me l’ont dit. Mais nous n’avons pas trop ce problème par ici. Dans le sud-est de la France, c’est plus répandu. Il y a eu un mort y’a trois ans. Certains mettent des caméras et même des détecteurs de mouvements », s’étrangle Edouard. Rien ne sert de clôturer : les indésirables utilisent des pinces pour couper le grillage ; pénètrent dans la truffière et referment la brèche au moment de partir. « Cela ne se voit même pas », souffle Edouard.

N’importe qui peut planter des arbres truffiers chez lui. Il n’y a pas de règles ou de taxes sur les récoltes.

Dans le milieu du diamant noir du Périgord, il vaut mieux demeurer discret. Le trufficulteur ne tient pas à révéler combien de kilos il récolte chaque année grâce au flair de Lino et l’entretien méticuleux de sa truffière. « J’ai un arbre champion qui me donne que des grosses patates au niveau du tronc. Celles-là, je me les garde. Il faut ramener des spores tous les ans à ses arbres. Je décongèle et recongèle des truffes cinq fois consécutivement pour donner un choc thermique puis je les place en terre. Des spores se libèrent et pénètrent la terre ».

Sur le plan législatif, n’importe qui peut planter des arbres truffiers chez lui. Il n’y a pas de règles ou de taxes sur les récoltes. Une simple déclaration foncière classant le terrain en « verger » ou en « truffière » est suffisante pour vivre de cette activité. « Les trufficulteurs sont âgés, ils ne se renouvellent plus. Le problème, c’est qu’on parle d’un travail de longue haleine. Quand on plante des arbres à truffes, on n’est pas sûr d’en obtenir un jour. La moyenne européenne, c’est 40 % de réussite », déplore-t-il. Loin de vouloir conserver le filon pour lui, Edouard appelle de ses vœux le retour des jeunes vers cette activité. Selon lui, la France laisse filer le marché au profit de l’Espagne et l’Italie, où la pratique est plus répandue.