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Culture

« Baby, It’s Cold Outside » a peut-être simplement mal vieilli

Une des chansons des fêtes les plus populaires de tous les temps est tranquillement retirée des ondes. D’où vient cette controverse et est-elle justifiée?

Le temps des fêtes approche à grands pas, et les stations de radio commencent déjà à nous mettre dans le mood. Les décorations font leur apparition sur les maisons et les centres commerciaux sont bondés de gens prévoyants bercés par des classiques musicaux comme All I Want for Christmas is You ou les traditionnelles reprises de Michael Bublé.

Il y a une chanson qu’ils n’entendront peut-être pas cette année, pour la première fois depuis longtemps : Baby, It’s Cold Outside, le classique de 1936, repris d’innombrables fois par divers artistes.

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Au Canada, Rogers Media et Bell Media ont annoncé que la chanson ne fera pas partie de la programmation de leurs stations de radio cette année. Aux États-Unis, plusieurs chaînes de radio ont aussi décidé de retirer la chanson de leurs ondes.

C’est vrai que, dans le climat social actuel, le classique écrit il y a près de 85 ans par Frank Loesser et sa femme paraît un peu… gauche.

Ce que raconte la chanson est assez simple : une demoiselle se présente en soirée chez son amoureux, qui tente de la convaincre d’y passer la nuit, car il fait froid dehors. Dans un style « appel et réponse » – les chanteurs se parlent en chantant chacun à son tour, ligne par ligne – la demoiselle énumère toutes les raisons pour lesquelles elle ferait mieux de partir, alors que l’homme énumère des raisons et des excuses pour qu’elle reste.

À la première écoute, pour quelqu’un de moindrement conscientisé à l’ère du #MoiAussi, la chanson semble avoir un côté malaisant : l’homme tente désespérément de ne pas laisser partir celle qu’il désire malgré ses maintes protestations. Ça devient encore plus cringy lorsqu’on s’attarde à certaines phrases de la chanson, comme « What’s in this drink? » (« Qu’est-ce qu’il y a dans ce verre? »), que plusieurs pourraient interpréter comme étant une référence à la drogue du viol. Qui plus est, dans les partitions, les rôles du chanteur et de la chanteuse sont respectivement décrits comme celui du « loup » et de la « souris ».

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Les avis restent néanmoins partagés quant au fondement de la controverse qui entoure Baby It’s Cold Outside. Si certains croient que la chanson est dépassée et déplacée, d’autres maintiennent que c’est un classique qui ne peut pas être jugé selon les normes d’aujourd’hui. Et une fraction croit que c’est en fait un bijou particulièrement progressif du féminisme de l’époque, que nous interprétons seulement mal à cause de la différence dans les codes sociaux.

Slay Belle, rédactrice au magazine d’intérêts féminins Persephone, écrivait en 2010 un billet intitulé « Listening While Feminist » dans lequel elle fait l’apologie de Baby It’s Cold Outside à travers la lentille du féminisme actuel. Elle y note entre autres que tout au long de la chanson, la voix féminine donne plusieurs indices qu’elle veut rester, mais qu’à l’époque où la chanson a été écrite, une femme « respectable » non mariée ne pouvait pas être simplement seule avec un homme, chez lui, et encore moins en train d’y prendre un verre. Elle doit donc, pour garder bonne figure, faire mine de ne pas pouvoir rester, tout en lui ouvrant la porte pour qu’il puisse lui donner des raisons de rester.

De plus, ajoute Slay Belle, à aucun moment la femme elle-même ne donne d’indications laissant croire qu’elle ne veut pas rester. Ce qui l’inquiète, c’est la réaction que pourraient avoir ses proches. D’après la rédactrice, « c’est le discours romantique classique. Ils passent un moment intime ensemble où il est beaucoup moins contraint par les exigences sociales et donc il peut se permettre de lui demander de rester. Il présume qu’elle refusera, sauf qu’elle ne veut pas refuser. C’est sa mère, son père, sa tante, les voisins qui veulent qu’elle rentre en pleine tempête. Elle, elle passe un moment agréable. »

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Comme l’historien musical Thomas Riis l’explique à NPR, la question « What’s in this drink? » était à l’époque commune, et était surtout une blague par laquelle les gens accusaient l’alcool d’être responsable des mauvaises décisions qu’ils étaient en train de prendre. Il aborde aussi, dans le même sens que Slay Belle, la dynamique du couple, expliquant que ce n’est pas que la femme ne veut pas rester, c’est qu’elle ne veut pas se faire juger par la société si elle reste. Elle se demande quelles sont ses options et si elle doit courir le risque de ruiner sa réputation de demoiselle « acceptable ».

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Par contre, d’autres maintiennent que, si le but initial n’était pas de promouvoir la coercition sexuelle, la chanson pourrait tout de même avoir un effet négatif. La pièce musicale fait partie de la culture populaire nord-américaine, jouant dans des films comme Les Muppets ou encore la série Glee. Les jeunes (et certains adultes) qui y sont exposés pourraient donc ne pas comprendre toutes les subtilités impliquées, et simplement voir la chanson comme étant une normalisation de la coercition. D’autres encore se la sont appropriée, et l’ont changé pour qu’elle reflète la réalité et les mœurs d’aujourd’hui.

Il y a de bonnes chances que les intentions initiales de Loesser au moment de l’écrire aient été tout à fait honorables et sans malveillance. Peut-être que c’est simplement que la chanson a mal vieilli, comme le concède en partie son fils, qui maintient toutefois que la chanson écrite par ses parents avait simplement pour but de divertir leurs invités à Noël.

Que vous décidiez de continuer de l’écouter ou non, il n’y a certainement pas de pénurie de classiques de Noël qui sont sans l’ombre d’un doute exempts de paroles controversées.

Billy Eff est sur internet ici et .