FYI.

This story is over 5 years old.

Art de vivre

Comment le troisième jeudi de novembre est devenu une fête du vin

Le simple fait de dire « beaujolais nouveau » vous vaudra soit un roulement des yeux, soit un sourire. Comment ce vin est-il devenu si emblématique et source d’autant de discorde?
1527170797082-24
Crédit photo: Christophe Sales

Au Québec, comme un peu partout dans le monde, le troisième jeudi de novembre est chaque année un jour de célébration. À minuit pile, les vins de beaujolais nouveau sont commercialisés, et c’est la fête, car ces bouteilles de jus gouleyant sont attendus depuis longtemps. Pourtant, pour plusieurs, les beaujos nouveaux ont une très mauvaise réputation, et leur lancement n’est pas du tout motif à célébration. Si j’en suis moi-même aujourd’hui friand, je l’ai souvent évité, car lors de mon tout premier cours de vin, mon professeur avait simplement clamé : « on n’aime pas ça, les beaujolais nouveaux ».

Publicité

Mais c’est quoi, au juste, un beaujolais nouveau? Et pourquoi ces vins sont-ils aussi détestés?

Une tradition de soif

L’histoire du beaujolais nouveau commence au XIXe siècle, quand des restaurateurs se mettent à acheter des barils de vin du Beaujolais très jeunes, souvent lorsque la fermentation est à peine complétée. Ces vins de soif, dont la fermentation s’achève souvent en transport de la région aux grandes villes, sont vendus à prix modiques dans des cafés et bistros, souvent versés directement du tonneau.

En septembre 1951, des changements législatifs interdisent la commercialisation de vins l’année courante avant le 15 décembre. Mais des syndicats viticoles s’opposent et militent contre cette mesure, et obtiennent gain de cause. La loi est modifiée le 13 novembre de la même année, et précise « dans quelles conditions certains vins peuvent être commercialisés dès maintenant sans attendre le déblocage du 15 décembre ». C’est une victoire pour les vignerons du Beaujolais, qui peuvent maintenant commercialiser un « beaujolais nouveau ».

Pendant longtemps, la date de commercialisation a été fixée au 15 novembre, mais puisque c’est un processus bureaucratique officiel, la date tombait souvent le weekend, ce qui voulait dire qu’il fallait attendre avant de pouvoir offrir ses produits. En 1985, la journée de mise en marché a donc été fixée au troisième jeudi de novembre, et c’est encore le cas aujourd’hui.

Publicité

Une commercialisation gênante

Si le beaujo nouveau (et le beaujolais en général) a longtemps eu une réputation peu enviable, c’est en partie à cause de son plus grand hater et de son plus grand défenseur.

Dépendamment à qui vous parlez, le beaujolais fait partie, ou pas, du vignoble de la Bourgogne. La Bourgogne est, évidemment, le royaume du pinot noir, et on y fait parmi les vins les plus exceptionnels (et dispendieux) de la planète. Le beaujolais est quant à lui le royaume du gamay, un raisin noir à jus blanc parfaitement adapté au sol et au climat beaujolais, ce qui fait donc qu’il peut produire beaucoup de vin de qualité variable. Par contre, toute la réputation de la Bourgogne est basée sur son rendement limité et son dévouement à une qualité exceptionnelle.

En 1395, Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, a interdit la culture du gamay, qu’il a désigné comme étant « déloyal » et dont il a écrit dans un traité qu’il produisait un vin « de très grande et horrible âpreté, plein de très grande et horrible amertume ». Les habitants du duché bourguignon ont donc retiré tous leurs plants de gamay, qui s’est trouvé une maison dans le beaujolais, qui n’appartenait pas au duché et a donc pu conserver ses vignes.

Près de six siècles plus tard, dans les années 1970, Georges Duboeuf, un négociant de la région, veut redorer l’image du beaujolais. Il mise donc sur le marketing, avec des étiquettes qui tapent à l’œil et des publicités. Comme il achète ses raisins et cuvées de d’autres producteurs, il peut vendre beaucoup plus de vin que quiconque, et devient en quelque sorte l’ambassadeur à l’étranger du beaujolais. À cela s’ajoutera la tradition des fêtes du beaujolais nouveau, avec des événements qu’il aidera à organiser un peu partout dans le monde.

Publicité

Pour plus d'articles comme celui-ci, inscrivez-vous à notre infolettre.

D’autres suivront son exemple, avec des stunts publicitaires douteux, comme des bains de beaujo nouveau au Japon, ou la fois où des ours ont été engagés pour faire rouler des tonneaux de beaujo nouveau sur la place Rouge. Cela fera rayonner la région à l’international, mais mettra aussi la pression sur les producteurs de produire toujours plus. Mais de surproduire, surtout avec un cépage relativement simple comme le gamay, ça peut nuire à la qualité du vin.

Une renaissance

Aujourd’hui, le beaujolais nouveau et sa région retrouvent tranquillement leur gloire. Le terroir a vu naître le retour au vin nature dans les années 70 avec des producteurs révolutionnaires comme Lapierre et Foillard, et leurs enfants reprennent maintenant les domaines en encourageant leurs pairs à joindre le mouvement. Les vins du beaujolais sont aujourd’hui parmi les plus prisés. Les partys de beaujolais nouveau gardent leur popularité partout à travers le monde, prennent des formes plus cool, des wine raves aux soirées gastronomiques, et leur arrivée est plus attendue que jamais.

Pour l’année 2018, on peut s’attendre à des nouveaux assez classiques. Si ceux de l’an dernier étaient assez riches et puissants, ceux de cette année se rapprocheront de la norme, c’est-à-dire des jus gouleyants, gouailleurs, avec un accent sur le fruit et des notes exotiques comme de la banane, et peut-être une infime trace d’acétone.

Billy Eff est sur internet ici et .