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On a discuté avec l’écrivain qui a passé un an au côté du Red Star

Bernard Chambaz a reçu le Grand Prix Sport et Littérature en 2014. Cette même année, il a pu donner libre cours à son amour des joutes du National et de la Seine-Saint-Denis en écrivant sur le Red Star.
Photo : redstar.fr

VICE et le Red Star se sont associés pour suivre la saison des Vert et Blanc de Saint-Ouen sur et hors des terrains, auprès des joueurs, du staff, des supporters et de tous ceux qui gravitent autour de ce club historique du foot français qui joue en National, la troisième division française. Aujourd'hui, on vous présente l'écrivain Bernard Chambaz, qui a passé une année au cœur du club de Saint-Ouen.

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Bernard Chambaz ouvre la porte de son appartement du XIIIe arrondissement de Paris, à côté des Gobelins. On est au milieu de l'après-midi et l'hôte, tout sourire, propose naturellement un café pendant qu'on s'installe dans le salon. Entre deux gorgées d'expresso fumant, ce romancier amoureux de littérature sportive – il a d'ailleurs participé à l'aventure de la revue Desports, qui s'est malheureusement terminée il y a quelques mois – évoque ses deux passions : le sport, et l'écriture. Au fil de la conversation, il parcourt les nombreuses étagères qui couvrent ses murs et qui accueillent des dizaines, voire des centaines d'ouvrages. Parmi eux, deux de ses livres préférés : La solitude du coureur de fond, une nouvelle d'Alan Sillitoe parue en 1959, et 44 jours de David Pearce. « Un chef-d'œuvre », dit-il sobrement.

Bernard Chambaz aime tous les sports, mais cultive une passion plus intense encore pour le foot, qu'il a longtemps pratiqué dans son enfance, passée dans le Val-de-Marne. C'est aussi à cette époque qu'il s'est attaché au Red Star et à son histoire aussi passionnante que cahoteuse. Un passé riche et glorieux qu'il s'est efforcé de conter lors de la saison 2014-2015, durant laquelle il a pu se glisser dans l'intimité du club de Saint-Ouen.

VICE : Bonjour Bernard. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez accepté l'invitation du Conseil général de Seine-Saint-Denis à suivre le Red Star pendant une saison ?
Bernard Chambaz : Pour moi, cette invitation, c'était un peu avoir « le beurre et l'argent du beurre » pour être trivial. On m'offrait l'opportunité d'assouvir une double passion : celle de l'écriture, et celle du sport. J'avais pour consigne de passer un an en Seine-Saint-Denis, avec toute latitude de choisir les équipes que je voulais suivre. J'ai opté pour le Red Star et le Flash de la Courneuve, un club de football américain.

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Je voulais éviter de me cantonner à un seul sport. Pour ce faire, j'avais plusieurs idées : par exemple m'intéresser à l'athlétisme avec des clubs et des villes qui avaient une histoire particulière comme le CA Montreuil, qui représente quelque chose dans l'histoire de l'athlétisme français. J'ai même pensé à des clubs de voile ou d'aviron.

Pourquoi vous êtes-vous arrêté sur le club de foot américain, alors ?
Parce que j'ai une passion pour ce pays, mais aussi parce que l'existence même du Flash de La Courneuve me posait question : comment un des plus gros clubs d'un sport américain, champion de France, a-t-il pu voir le jour en Seine-Saint-Denis, dans un milieu qui baigne dans une identité communiste ?

Pour le foot, c'est autre chose, c'est mon sport à moi. Et puis le Red Star a quelque chose de mythique. C'est un club que je connais depuis la fin des années 1950. L'histoire du club est entourée d'une certaine aura, et peuplée de personnages charismatiques comme Rino Della Negra [joueur du Red Star engagé dans la résistance contre les nazis, ndlr]. Mais une des premières choses que j'ai apprises pendant l'année passée là-bas, c'est que le club d'aujourd'hui porte cette légende de Della Negra mais n'en fait pas sa seule étoile. Je ne dis pas qu'ils la mettent à distance, mais ils ne se réduisent pas à lui.

Par exemple, cette année-là, j'ai assisté un samedi après-midi à une commémoration devant la plaque à l'entrée du stade Bauer. Il y avait une quinzaine de personnes, c'était quelque chose d'émouvant. Il y avait une dimension footballistique, historique et géographique car le Stade Bauer est un lieu très particulier. C'est quand même Saint-Ouen, et un stade magnifique à l'anglaise. En bref, j'ai été très content des moments passés auprès du club.

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J'ai voulu rendre compte du bonheur d'être dans le stade Bauer, dans ce club. Il n'y avait rien d'astreignant.

C'est vrai qu'à travers son histoire et des figures comme Rino Della Negra, le Red Star s'est construit une identité politique très ancrée à gauche. Ça peut sembler étonnant que le club ne tente pas de capitaliser plus amplement dessus…
Je pense qu'ils pourraient le faire mais ne le font pas. La force du club reste son ancrage géographique, mais aussi les personnalités qui le composent. Quelqu'un comme Steve Marlet [ancien international français formé au Red Star, il en est devenu le directeur sportif, ndlr] donne une belle assise au club.

Revenons au projet au sein du Red Star. Quel était votre rôle ?
Mon objectif était basique : écrire toutes les semaines. Après, il faut le faire. Il fallait trouver un angle toutes les semaines pour ne pas se répéter. C'était de l'ordre du plaisir. Il fallait mettre de la littérature dans l'enceinte du stade Bauer, sans prétention aucune ! J'ai voulu rendre compte du bonheur d'être dans ce stade, dans ce club. Il n'y avait rien d'astreignant. J'y allais un jour par semaine. Il y avait des choses que j'aurais bien faites, comme m'entretenir avec les dames qui faisaient les frites et animaient les baraques par exemple, mais la situation n'était pas favorable pour que j'aille plus loin. C'était souvent des mères ou des sœurs de jeunes joueurs.

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Au final, j'ai eu beaucoup de chance vu que ça a été une année où le club a fini champion et est monté en Ligue 2, sans parler de la venue de François Hollande pendant la saison. Il était très content de venir, d'autant plus que Nicolas Sarkozy représentait le PSG. Je pense que la démarche était à la fois naturelle et opportuniste. On s'était entendu sur le fait qu'il devait passer devant la plaque de Rino Della Negra. Il devait venir le soir où le Red Star recevait Strasbourg. Au dernier moment il n'est pas venu car les services de sécurité de l'Élysée n'étaient pas pour, ils avaient peur d'incidents. Finalement, Hollande est venu pour un match de Coupe de France contre Saint-Étienne à Jean-Bouin.

Comment avez-vous trouvé l'ambiance tout au long de la saison ?
Le stade était souvent assez rempli, avec cette particularité qu'il n'y a qu'une tribune [le reste du stade est fermé depuis la tempête de 1999, ndlr]. Ce qui est bien, c'est qu'avec les supporters il y avait une ambiance assurée, même si elle s'est tendue en cours d'année. C'est un paradoxe car plus le Red Star se rapprochait de la deuxième division – enfin la Ligue 2 Pizza Domino (sic), je ne sais plus –, plus les supporters sentaient la fin du Red Star à Bauer approcher. Ils étaient partagés. D'un côté, ils ne pouvaient pas ne pas être heureux. Mais la perspective de ne pas jouer à Bauer les minait.

Après, les gamins avec qui j'étais en contact étaient évidemment très heureux. Les joueurs, eux, étaient conscients qu'ils étaient en train de réussir un truc formidable. Certains m'ont ébloui, comme Jérôme Hergault, qui n'était pas le joueur le plus élégant sur un terrain mais un très bon joueur – si j'ai bonne mémoire, son surnom dans l'équipe c'était « le couteau suisse » –, il était capable de jouer un peu partout. Il avait déjà eu l'expérience d'une montée en D2 avec Luzenac. Il était bien dans l'esprit du club. J'ai beaucoup aimé David Bellion aussi. C'était un peu comme Marlet, une élégance et une classe folle. On a d'ailleurs organisé un match contre les éducateurs du Red Star, avec une équipe d'écrivains sportifs. Marlet a joué contre nous. J'ai vu ce que c'était. Il n'avait besoin de rien faire, il y a quelque chose de fabuleux.

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Il y a un livre superbe d'un écrivain hongrois, qui s'appelle Péter Esterházy. Il raconte qu'il a joué contre le footballeur hongrois Florian Albert, qui est un des plus beaux joueurs du pays des années 1970. Il parle de la classe qu'il a, de sa protection du ballon… Il suffit d'un mouvement pour vous mettre dans le vent, avec son pouvoir d'accélération et la perception du ballon et du terrain. Marlet, c'est l'impression qu'il m'a faite au moment où on a été sur la pelouse !

Vous auriez pu être dans l'équipe de Steve Marlet, car vous avez été un peu éducateur du Red Star, en donnant quelques cours aux jeunes…
Oui, même si c'est là-dessus que j'ai le plus de réserve dans mon rôle au sein du club, sur mon utilité lors de mon passage. Je l'ai fait par conviction sociale, parce que j'aime bien transmettre. J'ai endossé ce rôle pendant les vacances de la Toussaint. Les mômes étaient là en stage, ils faisaient un vague atelier d'écriture l'après-midi et on a fait un petit dictionnaire sur le football. C'est une idée bateau mais c'est pas mal pour les jeunes. Après, sur la quinzaine de joueurs, il y en avait trois ou quatre intéressés, mais je me dis que c'est déjà pas mal. J'en garde un bon souvenir, et je pense que ça prouve que le club a une vraie vertu éducative auprès des jeunes.

Lors de cette saison de montée, y a-t-il eu un match fondateur dans votre esprit ?
J'ai un peu oublié… Je ne me souviens pas d'un match en particulier mais plutôt d'un enchaînement au cœur de l'hiver. Je me souviens d'aller à Bauer. Il pleut. Le stade n'est pas très rempli. Le Red Star est 4 ou 5e, contre un 13-14e. Il n'y a pas de raisons que le match soit beau. Et pourtant… Aller voir des matches en plein hiver, c'est quelque chose que j'aime beaucoup.

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Je préfère ne pas bien voir un but et vivre l'ambiance du stade, me laisser guider par elle. La réalité de mon rapport au football réside aussi dans ce sentiment.

Quelle beauté trouvez-vous à un match de National qui se tiendrait en février ?
Pour moi, il y a plusieurs beautés dans le football. Il y a la beauté de luxe, avec des joueurs comme Neymar, devant lesquels tout le monde s'esbaudit. Et une autre, celle d'un match en troisième division. En tout cas, c'est la façon dont je perçois le match.

Dans le football, il y a quelque chose qui se rapproche du baseball, où on a aussi l'esprit qui vaque, ce qu'on ne peut plus faire à la télé. Pour atteindre le même ressenti, il faudrait enlever le son et les replays. Les ralentis, je trouve ça mortel, au sens premier du terme. Je préfère ne pas bien voir un but et vivre l'ambiance du stade, me laisser guider par elle. La réalité de mon rapport au football réside aussi dans ce sentiment.

Comment êtes-vous tombé amoureux du foot ?
Le premier match de foot que j'ai vu, c'était un France-Portugal à Colombes. Il y avait eu 5-2 je crois, avec trois buts de Fontaine. C'est mon grand-père qui m'avait amené, j'avais à peine dix ans et on était dans le virage en bas. Et je n'ai vu aucun but, peut-être juste les filets trembler. Et j'en garde un souvenir fabuleux ! C'est un de mes souvenirs fondateurs de football.

Vous avez commencé par de la poésie, et votre premier roman, L'Arbre de vies, trouvait sa source dans la Révolution française. Comment en êtes-vous arrivé à écrire sur le sport ?
J'ai commencé par la poésie mais dans ces recueils, publiés dans les années 1980, on pouvait déjà retrouver la présence du ballon. Celle des stades aussi. Ce n'était pas des poèmes de sport, mais il y avait certains éléments présents. Ça reflétait un peu ma vie, je jouais au foot trois fois par semaine dans les années 1990. Sur mon premier roman, j'ai choisi la Révolution française comme cadre de l'intrigue, et j'ai décidé de m'emparer du personnage de Couthon. Ce n'est pas un hasard. Couthon était le plus proche de Robespierre lors de la Révolution française. C'était un paralysé qui se déplaçait en fauteuil roulant. Mais lorsque j'ai commencé à écrire, j'ai hésité avec un autre cadre. C'était un roman qui se serait passé dans l'unité de temps d'un marathon. Je voulais faire de la course l'espace-temps des personnages de ce premier roman. Je l'ai écarté parce que je l'ai jugé trop près de moi. J'ai pris l'antithèse.

Et puis, au début des années 2000, j'ai suivi le Tour de France et j'ai commencé à mettre le vélo au cœur de mes romans. Ce n'est qu'en 2009 que j'ai trouvé mon sujet pour le football. Je suis très admiratif du livre de Jean Echenoz sur l'athlète Emil Zátopek, Courir. Je m'en suis inspiré pour l'écriture d'un livre sur Robert Enke, le gardien de l'équipe d'Allemagne, qui s'est jeté sous un train. Je l'ai appelé Plonger.

Quelles sont les différences d'écriture par rapport aux autres genres?
Il n'y en a aucune. Par exemple, juste après Plonger, j'ai écrit un livre sur Giacomo Puccini, Caro carissimo Puccini. J'écris de la même manière sur le football ou l'opéra.

Quand vous écrivez sur le sport ou l'opéra, qu'est-ce que vous voulez faire ressentir ?
Raconter des vies. Montrer les joies immenses dont elles sont faites. Parfois aussi les peines et les chagrins. C'est une manière d'habiter le monde, dire le monde dans lequel on a grandi. C'est aussi une manière, à mon échelle, d'inciter les générations qui viennent à sauvegarder et entretenir tout ce qui a fait l'humanité et l'humanisme depuis la Grèce antique.