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mort

Ce que les gens font avec les cendres de leurs proches

« À peu près 40 personnes ont sniffé mon grand-père », et d'autres joyeusetés.

Que faire avec les morts ? C'est un vrai problème, qui ne va faire que s'aggraver. Faut-il les conserver vêtus de leurs habits dans des chambres à moins trente degrés, comme l'imaginait René Barjavel dans Ravage ? Lorsque vous aimez quelqu'un, et que ce quelqu'un crève, il ne vous reste plus que de la chair qui ne va pas tarder à se décomposer. Vous ne pouvez vous satisfaire de balancer ce cadavre à la poubelle, alors il faut bien prendre une décision.

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Dans le monde, les solutions varient. Au Tibet, certains cadavres sont coupés en morceaux et laissés à l'abandon pour satisfaire l'appétit des vautours. Les os sont ensuite moulus puis mélangés à de la farine d'orge dans le but de confectionner des petites pâtisseries. À Madagascar, les habitants enterrent leurs proches pendant sept ans, puis exhument les squelettes et dansent autour. En Grande-Bretagne, c'est la crémation qui semble remporter les suffrages.

En effet, outre-Manche, trois-quarts des corps finissent dans un crématorium. Le procédé est le suivant : du gaz à 600 degrés est propulsé sur le torse du mort pendant deux à trois heures. Rapidement, l'intégralité de la chair brûle. Ensuite, les os calcinés passent dans une sorte d'immense moulin à café. Les cendres obtenues sont ensuite transmises à la famille.

Si la plupart des gens précisent en amont s'ils désirent être incinérés ou non, peu indiquent clairement le futur qu'ils appellent de leurs vœux pour leurs cendres, laissant cette décision à leur famille. Certaines urnes sont tout simplement oubliées, perdues, tandis que d'autres finissent sous l'évier, ou sur la cheminée. Mais, au sein de certaines familles, les restes des défunts ne sont pas forcément considérés comme sacrés. Voici quelques exemples :

Liam Lever, 32 ans, guitariste

VICE : Salut Liam. Comment ton grand-père a-t-il fini sa course à l'intérieur de ta guitare ?
Liam Lever : Eh bien, il est d'abord mort, évidemment. Il voulait être incinéré. On m'a filé un sac entier de cendres. Un jour, j'ai dû creuser un trou dans ma guitare, et je me suis dit que ça serait super de mettre un peu de mon grand-père à l'intérieur. La guitare a réagi bizarrement : de la poussière est ressortie au niveau du pickguard. À chaque fois que je joue, de la poussière sort, et je ne sais pas trop pourquoi. La guitare est censée être parfaitement hermétique.

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Penses-tu que ton grand-père apprécierait d'être dans ta guitare ?
Il a toujours apprécié ma musique, et il m'a souvent suivi lors de concerts. Pour moi, c'est important d'avoir cette connexion. Il a toujours été adorable tout au long de sa vie, et ce n'est pas mon cas. Il me rappelle toujours de ne pas me comporter comme un petit con.

As-tu fait quelque chose d'autre avec ses cendres ?
Un jour, alors qu'on était à l'arrière du van, un mec du groupe a proposé qu'on se fasse une trace. Depuis, c'est devenu un rituel. Des gens sniffent mon grand-père, de temps en temps. Bien sûr, c'est super cliché, et un peu dégueulasse. Mais ça a tendance à souder les gens. Des potes ont même créé un groupe à partir de ça : Grave Lines. D'ailleurs, c'est à force d'en filer à des potes que je me suis décidé à en mettre dans ma guitare, avant qu'il n'y en ait plus.

Et combien de personnes ont eu la chance de sniffer ton papy ?
40, je dirais. Vous savez, si vous écrasez bien les cendres, ce n'est pas si dégueulasse. J'ai déjà sniffé des trucs bien pires que ça.

Alice, 25 ans, voyante

VICE : Salut Alice ! Peux-tu me parler des cendres qu'on voit sur la photo ?
Alice : Ma mère est dans cette urne, entourée d'un immense bordel que j'ai foutu dans ma salle de bains. Personne n'y prête vraiment attention.

Comment a-t-elle atterri ici ?
Ma mère est morte d'un cancer. Elle venait d'une petite ville française, conservatrice. Elle y a perdu la vie. Elle était malade depuis de nombreuses années. On a été la voir là-bas, et elle est morte le jour même. Après la cérémonie, on a pris son urne et on est rentré à Londres. J'imagine qu'elle est ici parce que mon père avait trop de choses en tête, et qu'il s'est contenté de la mettre là. J'avais 10 ans, mon frère 4. Subitement, mon père a dû s'occuper de deux enfants, alors qu'il n'avait jamais été présent jusqu'alors.

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Ça doit être bizarre d'avoir sa mère juste à côté des chiottes, non ?
Ma mère a toujours été instable, hyper protectrice. Je ne sais pas si elle aurait supporté de nous voir devenir des adolescents. Être témoin de la puberté, des gueules de bois… D'une certaine manière, l'avoir à côté de moi dans une urne est la relation la plus « apaisée » que nous aurions pu entretenir. Elle était toujours là quand ça n'allait pas, mais elle était impuissante.

Jason Shulman, âge inconnu, sculpteur

VICE : Salut Jason. Comment ton père a-t-il fini dans cet objet, que l'on voit sur la photo ?
Jason Schulman : Tout d'abord, il est mort. Ensuite, alors que je rentrais du funérarium, je me suis souvenu d'un truc que j'avais lu quand j'étais gamin, un livre qui évoquait le fait que le corps humain contenait de quoi fabriquer 12 crayons, trois clous pour fer à cheval, ou une certaine quantité de sel. Je me suis renseigné pour savoir si un corps contenait assez de fer. J'ai ensuite plongé un immense aimant au néodyme dans l'urne, et j'ai récupéré des fragments de fer ! Après ça, j'ai étalé la cendre sur une table et j'ai noté que des petits bouts d'os oxydés présentaient différentes couleurs. Certains étaient jaunes, d'autres verts, d'autres rouges. J'ai passé trois mois à trier la cendre à l'aide d'un microscope. J'ai placé le tout dans un tube stratifié, avec le fer en haut, puis j'ai fixé un immense aimant au plafond, au-dessus de la structure. On dirait que le fer flotte, c'est magnifique.

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Ton père est-il heureux d'être dans cette œuvre, selon toi ?
Il avait un ego démesuré. Le fait d'être au centre de l'attention lui aurait plu.

Steph Wilson, 25 ans, photographe

VICE : Salut Steph ! Les cendres de ton père ont fini dans ce saule, c'est ça ?
Steph : Mon père est mort d'un cancer du pancréas il y a trois ans. Son surnom était Willow [saule, en anglais, ndlr], et notre arbre préféré était cet immense saule situé au fond de notre jardin. L'arbre a dû être abattu deux ans avant sa mort, et on s'était dit qu'il fallait le replanter. Après son décès, mon frère et moi-même avons dispersé ses cendres à l'emplacement de l'ancien saule. L'arbre a bien pris, mais on a dû déménager. On a donc coupé quelques boutures pour les planter dans notre nouveau jardin.

C'est mignon. Ton père était-il quelque peu « spirituel » ?
Non, du tout, c'était le cliché du businessman capitaliste. S'il était encore en vie, je ne sais pas si on se parlerait encore. Nous nous entendions très bien, mais nous étions tout de même des ennemis. Je suis une féministe revendiquée, et mon père ne l'a pas toujours bien pris. Il était créatif, mais pas vraiment proche de la nature.

@charliegilmour