FYI.

This story is over 5 years old.

Ukraine

Héroïnomane dans la Crimée russe

Depuis le 1er mai, la région a été forcée d’adopter la législation russe en matière de lutte contre la drogue. L'enfer pour les toxicomanes.
Image via Le Département des affaires étrangères d'Australie

Cet article a d'abord été publié sur le site de VICE.

L'annexion récente de la Crimée par la Russie a des effets dévastateurs sur les 806 héroïnomanes enregistrés dans la péninsule. Ces derniers recevaient des traitements de substitution aux opiacés - méthadone, etc. - jusqu'à ce que Vladimir Poutine décide d'envahir la région au début de l'année. La communauté internationale avait félicité l'Ukraine par le passé pour ses innovations en matière de lutte contre la drogue, notamment lors de la mise en place d'un programme d'échange de seringues et de prescription de substances médicamenteuses. Tout cela avait fait diminuer les crimes liés au trafic de drogue et réduit la transmission du VIH au sein de la communauté. Mais depuis le 1er mai, la région a été forcée d'adapter la législation russe en matière de lutte contre la drogue, et celle-ci est sérieusement archaïque.

Publicité

L'Alliance internationale contre le VIH, ONG spécialisée dans la lutte contre le sida, a déclaré en juillet qu'au moins 20 personnes étaient décédées depuis l'arrêt de ces programmes. Certains héroïnomanes ont fui hors de Crimée afin de continuer à recevoir les traitements en vigueur en Ukraine tandis que d'autres, sans le sou, ont été emprisonnés pour consommation de drogue. Parmi ces 20 décès, on dénombre 3 suicides, dont un patient qui avait tenté de s'échapper d'un centre de désintoxication russe.

Pavlo Skala, le responsable de l'ONG en Ukraine, traite actuellement 56 patients originaires de Crimée. Skala a déclaré à VICE qu'il estimait qu'une quarantaine de ces héroïnomanes finiraient par retourner en Crimée faute de moyens financiers.

« Des dizaines mourront avant la fin de l'année » prédit Skala, qui critique avec véhémence les politiques sanitaires russes qui prônent le sevrage immédiat et semblent se foutre de la dépendance des patients. Selon ses recherches, 90 % des patients rechutent après de tels traitements. Comme il nous l'a expliqué, cette information n'avait jamais été divulguée. « [Les autorités russes] sont en colère depuis la parution de cette information par notre ONG. Ils prétendent que leurs patients sont heureux. La réalité est bien sûr très différente. »

Oksana, âgée de 35 ans, en est un parfait exemple. Elle a récemment contacté Radio Liberté Ukraine afin de raconter son histoire. Comme elle l'a dit aux auditeurs, elle a eu de la chance ; elle a quitté au bon moment l'une des cliniques de Simferopol pour prendre la direction de Kiev.

Publicité

« Lorsque j'ai appris la fermeture du programme d'aide aux héroïnomanes en Crimée, je suis devenue folle. Je serais peut-être morte si j'étais restée là-bas. Je suis handicapée et je sais ce que cela fait d'être abandonnée. Les anciens patients de Simferopol qui n'ont pas eu la possibilité de partir vivent dans des conditions terribles. La plupart pensent au suicide », a-t-elle raconté.

Malgré le succès de la législation ukrainienne, employée aujourd'hui par 55 autres pays dans le monde, la Russie demeure hostile à de telles avancées. Viktor Ivanov, chef de l'agence fédérale antidrogue de Russie, est un fervent opposant à la politique ukrainienne.

« La méthadone n'est pas un remède. Ici en Ukraine, elle circulait sous le manteau et était revendue sans le moindre contrôle. Les prix ont par conséquent explosé et elle est devenue une source de revenus pour les criminels », a-t-il déclaré le 26 mars dernier lorsqu'il annonçait que la Russie interdirait désormais la méthadone en Crimée.

Ivanov avait déjà déclaré en 2012 qu' « aucun essai clinique n'avait prouvé l'efficacité d'une telle méthode. » Cette affirmation a par la suite été démentie par la communauté scientifique internationale, l'ONU et l'OMS, qui a déclaré que les traitements de substitution étaient « l'une des solutions les plus efficaces pour lutter contre la dépendance aux opiacés. »

Scott Burris, directeur du Center for Health Law, Policy and Practice de Philadelphie, a répondu directement à Ivanov en décrivant son propos comme relevant de « la pure fantaisie - si ce n'est du mensonge éhonté. » Selon Burris, « aucun protocole de traitement contre la drogue n'a été mieux étudié que celui de la méthadone. Il a toujours fonctionné, pas simplement selon nos critères mais aussi en comparaison aux autres formes de traitement. »

Pendant ce temps-là, en Ukraine, le rétablissement des traitements de substitution aux opiacés demeure la priorité d'un groupe d'activistes, le Réseau eurasien des consommateurs de drogue, lequel organise régulièrement des manifestations à Kiev afin de pousser le gouvernement à agir.

L'Alliance internationale contre le VIH promeut l'abrogation de la politique russe de lutte contre la drogue en mettant en avant le fait que l'ancien programme avait fait diminuer les infections au VIH, à la tuberculose et à l'hépatite C. Alors même que l'Ukraine a réussi à faire baisser ces chiffres, la politique du gouvernement russe a entraîné une augmentation des cas de VIH en Russie - passés de 170 000 en 2004 à 1,2 million aujourd'hui.

La Russie semble malheureusement ravie de provoquer rejet et stigmatisation de la part de la communauté internationale. Car, si l'addiction est dans une certaine mesure une affaire de choix, la propagation des maladies transmissibles ne devrait pas l'être.